Sortie du documentaire sur Marta Kubišová, interprète de « l’hymne de la Tchécoslovaquie occupée »

Photo: Kristýna Maková

Le film vient de recevoir le prix du public au festival de Karlovy Vary : Magický hlas rebelky (la voix magique de la rebelle, en français) sort dans les salles tchèques ce jeudi. Ce documentaire consacré à la chanteuse Marta Kubišová revient sur son parcours hors du commun, à son courage après l’écrasement du Printemps de Prague et à son retour sur le devant de la scène pendant la Révolution de velours.

Photo: Kristýna Maková
Pas évident pour la documentariste Olga Sommerová de réaliser un film sur une égérie qui a déjà fait l’objet de plusieurs documentaires télévisés au cours des vingt-cinq dernières années.

Mais l’expérience de celle qui a récemment signé le portrait de la sportive Věra Čáslavská lui permet de relever le défi.

Surtout, le documentaire est co-produit par la télévision publique tchèque et l’accès illimité aux archives lui a permis de trouver quelques perles rares, à commencer par le clip tourné pour la chanson Modlitba pro Jana, la prière pour Jan.

On y voit la jeune et belle Marta Kubišová interpréter la chanson écrite par l’écrivain Pavel Kohout en hommage au philosophe Jan Patočka, initiateur de la Charte 77 mort en cellule après interrogatoire de la StB.

Olga Sommerová,  photo: ČTK
Moins de dix ans plus tôt, ce n’était pas la prière pour Jan mais la prière pour Marta (Modlitba pro Martu) qui allait définitivement faire de Marta Kubišová une « rebelle à la voix magique », cible de la nomenklatura communiste chargée par Moscou de remettre de l’ordre en vue de normaliser le pays.

La chanson, à l’origine, avait été écrite pour une série télévisée ; le texte et son interprétation singulière par Marta Kubišová en ont fait l’hymne d’un pays envahi et oppressé, comme le souligne un historien de la musique dans le documentaire.

« Maintenant que le contrôle perdu de tes intérêts va te revenir, ô peuple, il va te revenir » : cette phrase (avec le même mot en tchèque pour contrôle et gouvernement : vláda) reste l’un des passages les plus forts de cette prière, sûrement la goutte de trop pour les apparatchiks.

« C’est quand même un peu dur de chanter ça depuis plus de 45 ans sans que ce soit encore vrai dans les faits », regrette toutefois la chanteuse dans ce nouveau film qui lui est consacré.

Plusieurs témoignages viennent éclairer le spectateur sur la violence psychologique qu'elle a subie pour son soutien à Alexander Dubček et son refus de tout compromis avec la ligne dure du régime en place après 1968 : Václav Havel, entre autres, Dana Němcová ou encore Václav Neckář, qui faisait partie avec Marta Kubišová et Helena Vondráčková des Golden kids, un trio formé par un producteur malin et précurseur.

Marta Kubišová et Golden Kids,  photo: ČT
En mai 1968, les Golden kids étaient même en concert à l’Olympia à Paris. Et au micro de Radio Prague, Marta Kubišová a évoqué ce voyage inoubliable de cinq semaines:

« J’en garde les meilleurs souvenirs, notre séjour a été pimenté par la révolte étudiante, c’était un peu l’aventure…. M. Coquatrix nous avait mis à disposition sa voiture et son chauffeur. Il nous baladait en dehors de la ville et nous ramenait le soir à l’Olympia pour nos 25 minutes de concert. Avec Václav et Helena on terminait la première partie du concert de Jacqueline Maillan. »

Retour au pays difficile après cette échappée française: bruits de bottes et chaînes de chars le 21 août à Prague. Une prière pour Marta, quelques mois de répit puis une fin de carrière anticipée et brutale orchestrée par le pouvoir, et voulue surtout par les femmes des hommes au pouvoir, selon un des historiens interrogés dans le film.

1989 - un balcon sur la place Venceslas et Marta au micro pour une prière qui donne chaud au cœur et les larmes aux yeux des manifestants qui scandent son nom. Fin du totalitarisme et fin d’une traversée du désert pour celle qui porte encore les mêmes lunettes que Nana Mouskouri et qui, contre mauvaise fortune bon cœur, en a profité pour s’occuper de sa fille et d’animaux qu’elle adore.

Surveillée et harcelée par la police secrète, elle n’avait pourtant pas hésité à signer la Charte 77 et à en devenir une de ses porte-paroles. Une très grande dame, que ce nouveau documentaire permet de rapprocher des plus jeunes générations, comme le prouve le prix du festival de Karlovy Vary.

Marta Kubišová,  photo: Jan Sklenář
On pourrait la croire blindée après toutes ces péripéties, mais elle avoue sans ambages :

« C’était émouvant de voir ce film, je ne m’y attendais pas à ce point-là. Après avoir tourné pendant tout ce temps avec Olga Sommerová je me doutais de ce que ça allait donner. Finalement à la première à Karlovy Vary, j’ai pleuré comme une môme, mais seulement à la fin, seulement à la fin… »

Vu le nombre d’yeux rougis à la sortie de la salle, elle n’était pas la seule.

La sortie du film est prévue à une date très symbolique - le 21 août - en Slovaquie, où Marta Kubišová reste également très populaire.