Slavia, le café préféré de Václav Havel

C’est très certainement le café le plus célèbre de Prague. Situé juste en face du Théâtre national, au bord de la rivière Vltava, le Café Slavia possède une longue et riche histoire qui remonte à la fin du XIXe siècle. Tout comme le Café Louvre, que nous avons évoqué dans une précédente émission, le café Slavia a toujours été fréquenté par les artistes et intellectuels tchèques et étrangers. Parmi eux, le prix Nobel de la littérature Jaroslav Seifert ou encore des dissidents tchèques, et notamment, bien entendu, un certain Václav Havel. Radio Prague vous propose une visite des lieux.

« Par la porte secrète du quai de Vltava
D’un verre transparent
Jusqu’à l’invisible,
Aux gonds
Enduits d’huile de rose,
Guillaume Apollinaire arrivait parfois.
La tête encore cernée de pansement de guerre,
Il s’asseyait parmi nous
Et lisait des poèmes, beaux, brutaux,
Que Karel Teige traduisait sur l’instant. »

C’est avec ces vers que Jaroslav Seifert a immortalisé l’ambiance de ses rencontres au café Slavia dans un poème éponyme publié dans le recueil « La comète de Halley ».

L’époque de gloire : vue sur Prague à louer

Café Slavia,  photo: Petr Vilgus,  CC BY-SA 3.0

Le café ouvre en 1884 à une adresse très lucrative : au palais Lažanský, au carrefour des rues Narodní et Smetanovo nábřeží, à côté d’une grande nouveauté pragoise – le Théâtre national, inauguré quelques années auparavant. Très vite, cette proximité avec l’un des principaux symboles de la culture tchèque fait du Slavia un café emblématique dans lequel se réuniront régulièrement plusieurs générations de l’élite artistique. Le compositeur Bedřich Smetana, les écrivains Franz Kafka, Rainer Maria Rilke et Karel Čapek, ou encore le duo de comédiens Jiří Voskovec et Jan Werich, tous y ont leur table et s’y laissent inspirer par l’ambiance.

Café Slavia,  photo: Ondřej Tomšů

Les grandes baies vitrés, qui d’un côté donnent sur le théâtre et de l’autre sur la Vltava et le Château de Prague, contribuent grandement à la popularité du café. Pas plus aujourd’hui qu’autrefois, aucun autre café à Prague n’offre une telle vue. A l’époque, les clients venaient au Slavia pour assister, en toute tranquillité, aux grands événements qui se tenaient dans la rue, comme par exemple les funérailles du premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk en 1937. Actuelle manager du café, Zuzana Matějková en dit un peu plus :

« Les fenêtres du café permettaient aux clients de voir le cortège funèbre. A l’époque, quand un tel événement d’importance se tenait à proximité du café, les places qui se trouvent à côté des fenêtres étaient même louées. Un peu comme au théâtre, il fallait donc payer sa place pour voir ce qui se passait dans la rue. »

Un café de la dissidence tchécoslovaque

Bien que nationalisé en 1948 par le régime communiste, l’établissement continue d’attirer l’intelligentsia tchèque, y compris dans les années 1960 et 1970. Le café Slavia est alors fréquenté par les dissidents, signataires de la Charte 77 et autres personnalités opposées au mode de pensée officiel. Il devient également le café préféré de Václav Havel. C’est d’ailleurs là, au Slavia, que l’écrivain et futur président rencontre sa première femme Olga… Zuzana Matějková :

Café Slavia,  photo: Ondřej Tomšů

« Václav Havel s’asseyait toujours à cette table au fond du café. C’était ‘sa place à lui’, ce que rappelle d’ailleurs une photo accrochée sur le mur au-dessus de la table. Il s’asseyait près de la fenêtre, dans l’espace fumeur, car il fumait beaucoup. »

Tout au long de son existence, le café Slavia a été témoin de nombreux tournants historiques. C’est devant ses fenêtres qu’ont défilé, en 1989, les premiers manifestants de la Révolution de velours… L’épreuve la plus difficile arrive néanmoins plus d’un siècle après son ouverture, avec la privatisation de l’établissement dans les années 1990 :

« Le café a été fermé et réaménagé à plusieurs reprises. La plus longue période de fermeture a duré de six à sept ans ; c’était après la révolution. A l’époque, le café a été racheté par des Américains qui avaient promis de le rénover et de le rouvrir. Mais rien ne s’est passé. Le café a été sauvé grâce au président Václav Havel qui, lors d’un spectacle au théâtre Na Zábradlí, a lancé une pétition en faveur de la réouverture du café Slavia. Suite à cette initiative, le café a rouvert ses portes deux ans plus tard, en 1998. »

Václav Havel n’a jamais cessé de fréquenter le café, pas même lorsqu’il remplissait les fonctions de président. Au contraire, il y emmène même ses invités officiels, comme par exemple Hillary Clinton.

Les temps modernes : un café de luxe avec une clientèle variée

Tout comme il a inspiré Jaroslav Seifert, le café, qui a conservé son style Art Nouveau, avec le mobilier d’origine, attire toujours les artistes ; ses intérieurs apparaissent dans les clips de différents chanteurs populaires et l’écrivain germano-tchèque Ota Filip fait référence à l’endroit dans son roman intitulé « Café Slavia ». Voisin de l’Académie des sciences et de la FAMU, l’école de cinéma pragoise, le Slavia, qui peut accueillir quelque 300 clients, ce qui en fait un des plus grands cafés de la capitale, attire toutefois une clientèle très variée. C’est d’ailleurs ce qu’indique la manager du café :

Café Slavia,  photo: Ondřej Tomšů

« Le café sert toujours de lieu de rencontre pour de nombreux acteurs et metteurs en scène. Nous y voyons aussi de plus en plus de politiciens. Mais la majorité de nos clients sont des gens ‘ordinaires’, et surtout des étrangers qui viennent au Café Slavia pour découvrir son histoire et profiter de la belle vue. »

Pourquoi le cacher, le Slavia est devenu un endroit très touristique, comme le confirme la présence de ces deux jeunes Françaises pour lesquelles un passage au Slavia a constitué une étape presque obligatoire lors de leur séjour à Prague :

« C’est mon père qui m’a recommandé de visiter le café. Il y était venu en 1988 lors de son voyage à Prague. Nous avons vérifié que le café existait toujours. Nous y sommes donc allées une première fois il y a deux jours, c’est donc notre deuxième visite aujourd’hui. »

« De plus, le café est référencé dans notre guide touristique. Nous nous sommes donc dit qu’il devait s’agir d’un bon café. »

« Quant à son histoire, nous ne la connaissons pas beaucoup. Nous savons seulement que par le passé, c’était un café littéraire et que Kafka le fréquentait. »

« Mais c’est très cosy. »

« Et puis, les prix ne sont pas très élevés. Du moins en comparaison avec la France, les cafés ne sont en général pas chers ici. »

Absinthe et musique live

Café Slavia,  photo: Ondřej Tomšů

Des plats traditionnels tchèques, ainsi que différentes spécialités figurent sur la carte du Slavia. Côté boissons, l’établissement propose bien entendu tous les cafés imaginables, parmi lesquels notamment le « Slavia », un café dans lequel sont versées quelques gouttes d’absinthe, cette boisson légendaire qui était très prisée des anciens clients du café. Zuzana Matějková :

« Jaroslav Seifert buvait de l’absinthe dans notre café. Il le décrit d’ailleurs dans son poème ‘Le Café Slavie’ où il dit qu’après avoir bu de l’absinthe, il ne voit plus la rivière Vltava et la tour de Petřín, mais la Seine et la tour Eiffel. »

« En l’honneur du poète
Nous buvions de l’absinthe.
Elle était d’un vert
Plus vert que tous les autres,
Et si de notre table
Nous regardions par la fenêtre
La Seine coulait le long du quai.
Ah oui, la Seine !
Et pas très loin de là, sur quatre jambes plantées
S’élevait la Tour Eiffel. Un jour Nerval vint, coiffé d’un
haut-de-forme.
Nous ne savions pas alors
Et lui non plus ne sait pas
Qu’Apollinaire portait le même
Lorsqu’il-était-une-fois, il tomba amoureux
De la belle Louise de Coligny-Châtillon
Qu’il nomma Lou. »*

Café Slavia

L’absinthe a inspiré aussi l’œuvre « Le buveur d’absinthe » du peintre impressionniste Viktor Oliva. Devenu le symbole du Café Slavia, le tableau, réalisé en 1901, exprime, tout comme les autres « buveurs d’absinthe » de Manet, Picasso ou Maignan, l’esprit « fin de siècle ». Boisson symbolique de cette époque, la « fée verte » y prend la forme d’une jeune femme séduisante et démoniaque, assise sur une table, à côté d’un buveur désabusé. L’atmosphère du Café Slavia ne serait pas ce qu’elle est sans musique. Chaque soir à partir de 17 heures, un pianiste y joue de légères mélodies qui se mélangent aux bavardages des clients.

*La traduction en français du poème « Kavárna Slávie » de Jaroslav Seifert a été reprise du sitehttp://www.circe.paris-sorbonne.fr/villes/cpraguois/cafeslavia/index.html