A Ústí nad Labem, foot et fair-play confrontés à la réalité

Photo: Guillaume Narguet

Langage universel, le football permet de mener de multiples projets sociaux et de transmettre des valeurs autres que celle de la gagne à tout prix. En République tchèque, une organisation appelée « Le football pour le développement » (Fotbal pro rozvoj) se charge de cette mission, à travers notamment l’organisation d’une Ligue du fair-play et la mise en œuvre d’un jeu éducatif en trois phases appelé Football3. Mercredi dernier, une équipe du Football pour le développement organisait un tournoi dans un quartier très défavorisé, majoritairement rom, d’Ústí nad Labem, en Bohême du Nord. Reportage.

« Le projet Fotbal pro rozvoj – Le football pour le développement - vise à développer, à travers le football et une formation adaptée, certaines compétences telles que la communication et la prise de décision ou à encourager certaines valeurs comme la solidarité, le respect et le fair-play. C’est un projet qui a pour but d’aider des jeunes issus de milieux moins favorisés. »

Dans un portrait diffusé l’année dernière par la RTBF sur les Belges du bout du monde, c’est ainsi qu’Ansley Hofmann, responsable à Prague de Fotbal pro rozvoj, avait présenté ce projet associatif auquel il n’est pas le seul à participer…

Sonia Ennafaa,  photo: Guillaume Narguet

« Je m’appelle Sonia Ennafaa et suis la coordinatrice de Football pour le développement. Je suis chargée de l’organisation de la Ligue du fair-play, qui existe depuis quelques années dans plusieurs régions tchèques, à Prague, Olomouc, Ostrava, Plzeň, Karlovy Vary et donc Ústí nad Labem. Nous sommes ici sur le terrain d’un club social de Člověk v tísni où se retrouvent régulièrement des enfants des alentours pour des activités extrascolaires. Nous travaillons avec ce club dans le cadre de notre Ligue du fair-play. Ce sont eux qui organisent ce tournoi de ce que l’on appelle le Football3. C’est la méthode via laquelle nous utilisons le football à des fins éducatives. »

Nové Předlice,  photo: Gustav Pursche,  ČRo

Mirek fait partie des enfants, âgés de 6 à 16 ans, qui ont participé à l’après-midi football qui s’est tenue à Ústí nad Labem, dans le quartier de Nové Předlice, une localité qualifiée en tchèque de « socialement exclue » et où se trouve un important ghetto rom. Mirek, lui aussi d’origine rom, a même marqué le but qui, sur le terrain, a permis à son équipe de faire match nul… Un résultat qui est resté nul entre les deux équipes y compris après le débriefing d’après-match entre les animateurs et les joueurs sur le respect des règles convenues avant le début du match… Comme l’explique sur son site Streetootballworld.org, une association qui entend changer le monde grâce au football, et notamment le foot de rue, le Football3 incorpore des leçons clés de vie dans chaque match. Sonia Ennafaa précise cette noble idée :

Photo: Guillaume Narguet

« Football3 est une méthode selon laquelle on joue au foot, bien sûr, mais comme il n’y a pas d’arbitre, ce sont les joueurs qui s’arbitrent eux-mêmes. Ils doivent donc d’abord se mettre d’accord sur les règles qui seront celles du jeu et ensuite disputer le match en s’efforçant de respecter ces règles. Puis à la fin du match les joueurs des deux équipes se retrouvent pour discuter de la manière dont ils ont joué, s’ils ont bien respecté toutes les règles en question et s’il y a eu des problèmes. Et c’est à eux de distribuer des points entre eux, qui s’ajoutent au résultat du match sur le terrain. Si donc les buts inscrits sont pris en compte, des points de fair-play sont aussi attribués, ce qui au bout du compte donne un résultat final au match différent de celui obtenu sur le terrain. »

Photo: Guillaume Narguet

Le flair quoi ?

Photo: Guillaume Narguet

Bien que donc relativement simple en théorie, le principe du Football3 est cependant parfois plus compliqué à mettre en application dans la pratique, surtout auprès de jeunes pour lesquels la notion de fair-play est encore très vague, comme le confirment les fréquentes disputes sur et en dehors du terrain. Mirek, lui, malgré son attachante curiosité, semblait avoir entendu parler de cette notion de fair-play pour la première fois de sa vie…

« Flair… ? Oui, fair-play ! Pour moi, ça veut dire jouer. Mais par exemple, quand on fait une faute, on doit lever la main et s’excuser. Quand on a joué, je n’ai pas aimé que les autres se crient dessus. »

Jiří Hovorka et Sonia Ennafaa,  photo: Guillaume Narguet

Jiří Hovorka a lui aussi participé au tournoi. Mais le football n’est pas, loin s’en faut, sa seule préoccupation. Employé de Člověk v tísni (People in need), la plus grande ONG existante en République tchèque, Jiří, ou Jirka comme l’appellent les enfants, est le responsable du club dit « nízkoprahový », littéralement « de bas seuil », un terme pour désigner un centre social pour tous, qui chaque après-midi de la semaine, accueille les jeunes et leur propose gratuitement diverses activités. Même si tout ne s’est pas forcément passé comme imaginé ou prévu, Jirka s’amuse de la manière dont les enfants ont fait leur le concept de Football3 :

« Je pense qu’ils ont tous un certain sens du fair-play. Ce qui leur est plus difficile, c’est de l’appliquer. Ou disons qu’ils ont une autre notion du fair-play que la nôtre ou celle à laquelle on pense habituellement. Par exemple, avant un match, un gamin a proposé comme règle du jeu que si un adversaire lui donnait un coup de pied, il aurait le droit de lui rendre… Dans un certain sens, c’est du fair-play, non ? Simplement, ils envisagent les choses un peu différemment… »

Le club 'nízkoprahový' Mixer,  photo: Guillaume Narguet

Au cœur d’une minorité rom à la fois laissée à l’abandon mais qui a elle-même bien du mal à se prendre en main, Jirka, que l’on a interrogé juste avant que n’éclate un violent conflit entre deux bandes de gamins issus de quartiers différents de la ville, reconnaît que son quotidien n’est pas toujours évident à vivre :

« Le sentiment que tout cela ne sert à rien ? Oui, ça m’arrive… Mais il y aussi de bons moments qui compensent. Globalement, au plus profond de moi, je suis convaincu que ce que je fais a un sens. Mieux vaut de toute façon, sinon ce n’est même pas la peine, même si je ne sais pas si je resterai très longtemps. Je suis ici depuis neuf mois, j’ai déjà eu quatre collègues qui sont partis et actuellement je suis seul. Alors, évidemment, ce n’est pas facile tous les jours. Mais les enfants viennent au club aussi pour moi, pour Jirka comme ils disent, c’est déjà pas mal… »

« Ouaih, certains viennent pour discuter, ça dépend des jours, de leur humeur et de leur envie. Mais ils nous arrivent de parler de choses plus sérieuses. Par exemple, l’autre fois, nous avons parlé des personnes handicapées parce qu’ils s’en moquaient et aussi parce que c’est souvent une insulte qu’ils se lancent entre eux. J’ai essayé de leur expliquer ce qu’être handicapé pouvait signifier, car d’une certaine manière ils sont tous plus ou moins handicapés ici, socialement parlant.  Bon, je ne leur ai pas dit ça, mais c’est le genre d’activités ou de discussions que nous pouvons avoir. »

Le club 'nízkoprahový' Mixer,  photo: Guillaume Narguet

Et selon Sonia, ce dialogue peut donc se faire à travers le football. Son expérience à Prague et ailleurs en République tchèque montre que le projet de la Ligue du fair-play fonctionne :

« Souvent, cela prend un petit moment avant que les enfants acceptent l'idée qu’il ne s’agit pas seulement de shooter dans un ballon, mais aussi de réfléchir, de respecter et d’écouter les autres. Nous, en tant que médiateurs, nous essayons de parler et d’intervenir le moins possible. Notre but est vraiment de faire parler les enfants et de les laisser s’exprimer. Bon, cela ne marche pas tout de suite, mais généralement, à la fin de la session, ils acceptent un peu mieux ce système. »

Simplement faut-il donc être patient avant d’obtenir des résultats autres que celui d’un simple match. Mais le temps nécessaire à la compréhension, à l’apprentissage et à l’adoption des règles, qu’il s’agisse de celles d’un jeu ou plus généralement de la vie, n’est-ce pas là après tout un des principes de base de l’éducation ?