Vos courriers : quelques souvenirs de 68’, film de Jean Effel et avenir de la gare Masaryk

C’est avec un grand plaisir que je vous retrouve, chers auditeurs, pour le courrier de la semaine. Commençons par le couriel signé Philippe Marsan de Gujan-Mestras, en France, qui réagit à la disparition de Tomas Baťa.

« Je fus client, autrefois, j’ai porté des chaussures Baťa. Il y avait un grand magasin à Bordeaux, on allait ‘chez Bata’ !, comme on dit par chez nous, c’étaient ‘des belles godasses’ ! »

La Création du monde
Deux émissions ont apparemment retenu votre attention, M. Marsan : les Rencontres littéraires, consacrées au dessinateur Jean Effel, très proche des Tchèques de son vivant et dont les travaux sont en ce moment exposés à Prague : « Merci pour cette description fort dénudée », écrivez-vous, en faisant allusion au film « La Création du monde », tourné dans les studios de Barrandov, à Prague, film qui était à l’époque, pour le commissaire de l’exposition, Pavel Chalupa, une « initiation érotique ».

Une interview particulièrement intéressante, je suis d’accord avec vous, sur les rapports de l’artiste français avec la Tchécoslovaquie dans les difficiles années 1950... Une autre émission tout aussi captivante que vous évoquez, M. Marsan : le Tchèque du bout de la langue, présenté par Anne-Claire Veluire, avec quelques expressions relatives à l’époque communiste et toujours vivantes dans le langage parlé.

Avec cette émission, nous en arrivons, une fois de plus, au 40e anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague. J’aime beaucoup vos témoignages personnels que vous nous adressez. Aujourd’hui, j’en ai choisi deux, ceux de Michel Arlie et de Rose-Marie Becker.

Michel Arlie nous envoie le bonjour « du cœur des Pyrénées » et nous écrit :

« En ce temps là, j'avais 16 ans, j'étais au lycée. Mon père écoutait déjà les ondes courtes. Et je me suis mis à l'écoute également, tout en étant en pension. A l'époque, j'entends mes parents, "ça y est, c'est un nouveau Budapest". A l'affirmation, les chars russes sont à Prague, j'ai ressenti comme une crainte importante dans l'esprit des adultes... Pour nous, plus jeunes, ce n'était pas tout à fait la même inquiétude.

Puis, Jan Palach... Cela a embrasé nos esprits. Un des nôtres, juste un peu plus âgé que nous... Dans nos discussions, un fort sentiment anti-soviétique s'amplifiait. Nos camarades, militants communistes étaient à l'épreuve. Ils étaient embarrassés par l'effet de cette invasion. Pour nous, l'occupation d'un territoire souverain était inadmissible. Choqués, nous l'étions, à la fois par le courage et la portée immense de l'acte de l'étudiant pragois.

Les années ont défilé, depuis, les Américains sont en Irak, les Russes en Géorgie, les Français et les Tchèques et autres sont en Afghanistan... Les missions ne sont pas identiques. Mais la guerre est toujours présente quelque part.(...) Je ne suis pas encore venu à Prague. Cependant, depuis ce printemps de 1968, je suis un "Pragois" solidaire contre cette brutalité injuste de l'histoire.

J'insiste pour saluer le rôle de la presse écrite et parlée pour dénoncer tout ce qui empêche l'instauration de la démocratie. Merci encore à Radio Prague d'avoir continué d'émettre pendant ces heures particulièrement difficiles. Et merci encore de les avoir diffusées de nouveau dernièrement. »

« Août 68’, c’était hier ! », écrit Rose-Marie Becker de Freyming, en France. Elle nous raconte : « En 1966, je venais pour la toute première fois en Tchécoslovaquie et j’y ai vécu des moments inoubliables. Bien sûr, le régime communiste était terrible et je me souviens surtout qu’avec mes amis, on chuchotait plus qu’on ne parlait. Mon amie Renée, Pragoise, était en vacances chez moi en Alsace, et lorsque au petit matin du 21 août mon frère nous annonçait l’affreuse nouvelle de l’invasion, la première réaction de Renée a été : ‘je dois rentrer chez moi’. Deux heures après, elle partait pour Prague et pendant des mois je restais sans nouvelles de sa part – imaginez mon angoisse... Dix ans après cette date, j’ai remis sans réfléchir un enregistrement – cassette de 68’ à un ami de la Radio, cela se passait tout près de votre maison, il m’a fusillée du regard et m’a dit : ‘tu veux que j’aille en prison’ ? Tout cela pour vous dire que les émissions de commémoration ont été superbement réalisées, félicitations. »

Autrement, vous espérez, Mme Becker, tout comme moi, que la belle Gare Masaryk, construite au milieu du XIXe siècle en plein cœur de Prague, ne sera pas démolie. « J’en ai encore un sacré souvenir de 1967 », écrivez-vous, « c’est sur un banc de cette même gare que j’ai passé une nuit (faute de quoi trouver à loger), heureusement, je n’étais pas seule, car ce n’était pas rassurant. » Personnellement, je suis assez attachée à cette petite gare historique, la plus ancienne dans la capitale, appellée familièrement par les Pragois « Masaryčka » - c’est le terminus de mon train de banlieue... Pour ceux qui veulent en savoir plus sur le projet de revitalisation du quartier qui entoure la gare, projet qui est toujours en cours de discussion : je vous suggère de consulter l’article d’Anna Kubišta du 12 août dernier.

C’est tout pour aujourd’hui. Merci de nous écouter et de nous écrire ! Je salue particulièrement Gilles Gautier, notre auditeur tunisien Rassem Ben Brahim, René et Luisette Pigeard, Jacques Augustin, Maurice Mercier, Jean-Marie Monplot, Jean-François Meile et Leo Delescaut qui nous ont adressé leurs rapports d’écoute. Profitez bien de l’été indien et à très bientôt sur Radio Prague !