Franta : « Dès que le format dépasse la largeur de mes épaules, je suis plus à l’aise »

Photo: Musée Kampa

Franta est le nom d’artiste de František Mertl, peintre et sculpteur français d’origine tchèque, qui a fui la Tchécoslovaquie dans les années 1950. Installé depuis en Provence, il est représenté dans de grands musées dans le monde. En cette fin d’année 2012, deux expositions rappellent son travail à Prague, l’une à la galerie Nová Síň, l’autre au Musée Kampa.

Musée Kampa | Photo: Radio Prague Int.
Franta, bonjour. On s’était rencontré il y a quelques années, en 2009, à Brno. L’essentiel de vos œuvres est disséminé à travers le monde, au Musée Guggenheim à New York, au Centre Pompidou à Paris et ailleurs. Mais vous avez heureusement aussi des expositions dans votre pays natal. Est-ce important pour vous d’exposer ici, en République tchèque ?

« J’ai été privé d’expositions ici pendant énormément d’années. Le régime de l’époque considérait que j’étais l’ennemi de la classe ouvrière. La situation a changé. C’est vrai que je suis plus souvent présent avec mon travail, en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis. La première proposition qui est venue, je l’ai évidemment acceptée avec beaucoup de plaisir. Ca me crée quelque fois des surprises : je revois à l’occasion de ces expositions des amis que parfois je n’ai pas vus depuis soixante ans. »

On se trouve au Musée Kampa, qui est une institution qui a une très grande collection d’art tchèque moderne et contemporain. Je suppose que c’est une exposition importante pour vous, ici, depuis 1989…

« J’ai rencontré Meda Mládková à Washington DC. J’y avais une exposition en 1983-1984. C’était notre premier contact. On s’est rencontrés encore quelquefois. Mon premier séjour à Prague, après la révolution, c’était pour la rencontrer. Elle m’avait déjà proposé de montrer mon travail à l’époque, seulement j’avais des projets déjà arrêtés depuis longtemps. Finalement, on a trouvé ce moment qui me convient et qui me fait plaisir. Ici, à Kampa, nous nous sommes concentrés sur le travail du bronze et des travaux sur papier, beaucoup de noir et blanc, des lavis, de l’encre de Chine. »

Pourriez-vous présenter les œuvres présentées ici au Musée Kampa ? Nous sommes par exemple à côté du tableau intitulé Fukushima 2011, c’est donc une œuvre très récente.

« Ce n’était pas facile de faire une sélection. Le thème principal, c’est l’Homme... »

L’Homme, c’est votre préoccupation éternelle…

« Oui. Je ne vais sans doute pas changer. J’ai encore beaucoup de questions à me poser et à poser à celui qui est en face de moi. Et quant aux sculptures, il y a une bonne douzaine de bronzes. Elles accompagnent mon travail de peintre, de dessinateur. Cela m’est resté de l’Académie des Beaux-Arts : quand on travaillait sur le dessin, on nous a aussi apporté de la terre et on nous a demandé de compléter nos connaissances de la tête, d’un corps. Cela m’est resté. J’ai des périodes où mes doigts demandent de contact avec la matière. C’est vrai que sur le papier, sur une toile, on crée des volumes, mais ça reste plat. Avec la sculpture il y a la possibilité de travailler en trois dimensions, de toucher le corps, de le voir dans son complexité et son volume. »

Photo: Musée Kampa
Vous avez beaucoup voyagé en Afrique, c’est un continent que vous avez découvert, que vous aimez et admirez. J’ai le sentiment qu’on retrouve cette influence de l’Afrique dans les œuvres exposées à Kampa…

« Oui, il y a une série de dessins ou de peintures. J’ai fait une vingtaine de séjours sur ce continent. Nous y avons beaucoup d’amis. J’y retrouve toujours avec plaisir l’ambiance, cette façon de vivre au ralenti par rapport à nous. Le temps compte de manière différente. Mon dernier séjour était en Afrique noire, dans le Sahara marocain, algérien ou tunisien. Ce qui me fait plaisir, c’est d’y rencontrer des hommes qui n’ont pas dans leur vocabulaire le mot ‘seul’. Il n’existe pas. Cela veut dire quelque chose : il y a cette obligation de vivre côte à côte étant donné que les conditions de vie y sont très rudes. »

Parallèlement à cette exposition à Kampa, vous avez à l’heure actuelle une autre exposition à la galerie Nová Síň, à Prague. Celle-ci fait-elle pendant à celle de Kampa ou avez-vous choisi quelque chose de totalement différent ?

« La proposition qui est venue de Nová Síň était plus récente et je pense qu’elle complète un peu le regard sur mon travail à Kampa. Evidemment, c’est limité, car cela fait 55 ans que je travaille, donc il y a de quoi faire ! Etant donné qu’à Kampa, nous sommes restés sur le volume et les dessins noir et blanc, à Nová Síň, ce n’est que des peintures, particulièrement des grands formats. Tout en sachant que cela va me poser des problèmes, je n’arrive pas à me freiner. Il y a des toiles de 6m2, 4m2… »

František Mertl,  photo: Jindřich Nosek,  Musée Kampa
Pourquoi affectionnez-vous autant les grands formats ?

« Quand j’ai commencé mes études, j’ai pensé d’abord faire soit architecture soit la peinture. Il se trouve que le concours pour l’Académie des Beaux-Arts était avant celui de l’école d’architecture. J’ai été pris et donc je me suis orienté vers la peinture. Mais j’ai aussi étudié toutes les techniques qui permettent la collaboration de l’architecture et de la peinture : les fresques, mosaïques, vitraux, sgraffites… »

Ce qui implique de grands formats…

« Exactement. J’ai eu très peu d’occasion de le réaliser : souvent l’architecte était emballé, mais ensuite, celui qui donne des sous et décide disait non. Je n’en ai donc pas réalisé beaucoup. Par contre, il me reste cette envie de grands formats. Il y a une approche très différente : on rentre dans la toile. Il y a des gestes qui changent. C’est vrai que dès que le format dépasse la largeur de mes épaules, je suis plus à l’aise. »

On disait toute à l’heure que l’homme est au centre de toute votre création. D’où vous vient cette envie, ce besoin de décrypter l’homme. C’est une question que se posent les artistes depuis la nuit des temps. Vous apportez vos réponses à cette question, mais d’où vient ce besoin encore et toujours renouvelé de comprendre l’humain ?

Photo: Musée Kampa
« La préparation de l’école des Beaux-Arts joue sûrement un rôle important. Nous avons eu la possibilité de faire de l’anatomie, de travailler sur le corps, sa plasticité, sa structure. J’y ai pris goût. Je n’arrêtais pas de créer l’image de l’homme. Cela m’a posé quelques problèmes en arrivant en France. Dans les galeries, dans les années 1959-1960, on me répétait souvent que la figure ne se faisait plus, que c’était dépassé. Mais j’ai continué de faire ce que ce j’avais envie de questionner, car il se trouve que peut-être, dans ma vie, les hommes ont beaucoup compté : ils m’ont créé souvent des difficultés, mais j’ai aussi eu quelquefois de participer à ce qu’on appelle la société. Je dois dire que dans les années 1960-1965, quand on a découvert le travail de Francis Bacon qui s’est tourné exclusivement vers l’homme, tout a changé dans les galeries. Ensuite, on a arrêté de dire que l’homme était dépassé. »

L’homme peut être source de choses négatives, il peut créer des situations néfastes. Ce questionnement ne vient-il pas aussi du fait qu’à côté de cela, le XXe siècle a également montré que l’homme était quelque chose de très fragile. Le nazisme, le communisme ont montré d’un côté l’aspect négatif de l’homme mais aussi qu’il pouvait disparaître en clin d’œil… Peut-être est-ce aussi pour cette raison qu’après l’abstraction, il y a eu un besoin de revenir à la figure…

« Vous avez sûrement remarqué la première sculpture à l’entrée de cette exposition à Kampa. C’est un personnage de deux mètres dans lequel j’ai essayé de mettre à la fois l’énergie que l’homme peut avoir dans la créativité, et en même temps sa fragilité. Au moment où je travaillais sur cette pièce, un ami à moi est décédé. Il était un athlète exceptionnel, champion de France en cyclisme. J’étais justement au milieu de mon travail. Donc, je me suis reposé des questions. On doit pouvoir lire quelque chose dans cette sculpture, notamment qu’on n’est pas éternel et qu’on a tout intérêt de faire au mieux, pendant qu’on est là. »

L’exposition au Musée Kampa est à voir jusqu’au 9 décembre. Celle de Nová Síň, jusqu’au 2 décembre.