Fred Schendel : « Prague demande à être explorée à différentes périodes de sa vie »

Photo: Barbora Kmentová

Souvent, lorsque nous rencontrons des Français installés depuis longtemps à Prague, qui y ont développé une activité quelconque, qui se sont créé des racines dans le pays, au point même de parler tchèque par exemple, bref, des personnes engagées dans la vie tchèque à part entière – souvent nous les interrogeons sur les différents aspects de cette vie-là. Il n’est pas si fréquent d’avoir l’occasion de rencontrer quelqu’un qui y a passé près d’une dizaine d’années et de le réinterroger sur ses activités et sur le bilan qu’il tire de son séjour pragois. C’est pourquoi je vous propose de rencontrer – à nouveau – Fred Schendel, artiste verrier avec lequel nous avons eu l’occasion de discuter à plusieurs reprises et qui s’apprête à quitter Prague.

Fred Schendel,  photo: Archives de ČRo7
« A l’origine, c’est un coup de foudre lors d’une visite au Musée de Cluny à Paris. J’ai pu y voir de très près des pièces d’art qui datent du XIIe-XIIIe siècle, notamment de la Sainte-Chapelle. En voyant la finesse du travail, un travail visible à l’œil nu puisqu’elles étaient perchées à 15 mètres de haut autrefois, ça m’a donné le vertige, je me suis dit que c’était quelque chose qui m’attirait. J’ai un parcours atypique puisque je me suis formé plus ou moins en autodidacte. »

Cela fait neuf ans que vous êtes installé à Prague. Cette fin d’année 2012, c’est un peu une boucle qui se referme puisque vous allez quitter Prague. Quand vous êtes arrivé il y a neuf ans, vous avez commencé par travailler dans un autre atelier, avant de fonde le vôtre. Quelle a été votre approche de Prague, du patrimoine pragois en termes de vitrail ? En outre, pourriez-vous comparer les traditions de vitrail en France, en République tchèque et en Espagne, puisque vous avez aussi vécu à Barcelone ?

« Prague est un télescopage de différentes époques. Tout y est représenté depuis l’art roman jusqu’à l’Art nouveau. Au niveau du vitrail, il y a des filiations entre les différentes villes. J’ai tendance à lier Barcelone à Prague, c’est-à-dire le Modernismo et l’Art nouveau. Il y a eu le même mouvement, créé dans les mêmes conditions politiques et économiques. Sinon il y a quelques vestiges gothiques et un peu roman à Prague, mais peu, car la plupart du patrimoine a été détruit pendant les guerres hussites. On a des filiations avec la France ou l’Allemagne avec de rares pièces gothiques que l’on peut voir au couvent Sainte-Agnès et au Musée des arts décoratifs. Cela a été marquant de découvrir tout cela et plus on déroule, plus on en découvre. Pour ceux qui connaissent Prague, on se rend compte que la découverte est sans fin. »

Photo: Barbora Kmentová
Puisque vous parlez de visiter Prague, vous devez bien la connaître. Quand on visite Prague, on fait des visites chronologiques, ou par quartier. Si on devait faire une visite thématique, Prague à travers le vitrail, sauriez-vous nous donner quelques idées d’endroits à voir au fil de la ville ?

« En fait, je fais une visite thématique sur les vitraux de la Vieille-Ville et de la Nouvelle-Ville. Le parcours commence soit au couvent Sainte-Agnès soit de l’autre côté, au Musée National. On fait un parcours par les passages parce que les passages pragois sont aussi un patrimoine important, même s’il a été assez entamé. Il y a beaucoup de surprises. J’étais très fier d’avoir pu faire découvrir à des Tchèques âgés, leur patrimoine du côté de Haštalská, où il y a de magnifiques vitraux. Il y en a un qui représente une espèce de tournesol avec une porte avec un arc outrepassé. C’est un bâtiment Art nouveau incroyable avec l’un des vitraux les plus spectaculaires de cette partie de la ville. Si on prend la ceinture qui fait Národní třída, en continuant Na příkopě, puis Revoluční, ça fait la frontière entre l’ancienne et la nouvelle ville de Prague. »

On parlait des vitraux Art nouveau. Ils font partie des vitraux historiques les plus proches de nous dans le temps. Mais quelle est la place du vitrail dans notre XXIe siècle ?

Photo: Archives de ČRo7
« En fait de plus en plus, même si la définition du vitrail change. Quand on parle de vitrail, on pense souvent au plomb associé au verre, mais différentes techniques artistiques ont développé cet aspect décoratif. Il y a la technique qu’on a qualifiée de Tiffany du nom de l’inventeur. En complément du plomb il va utiliser du cuivre, ce qui permet de nuancer la composition du vitrail. Mais après il y a beaucoup d’autres techniques qui sont apparues, comme par exemple le ‘fusing’. Cela consiste à faire fondre des verres entre eux et à faire des espèces de cabochons. On va utiliser soit du thermoformage, une fusion du verre. Il y a des foyers importants de création en Allemagne. Je sais qu’il y a pas mal d’expériences qui sont faites aux Etats-Unis, au Japon et au Canada. »

Dans l’histoire de l’art, de nombreux grands peintres se sont attaqués au vitrail. Je pense à Marc Chagall à Metz, Josef Šíma à Reims, et puis évidemment Alfons Mucha dont on peut voir un des vitraux à la cathédrale Saint-Guy à Prague. Comment expliquez-vous ce besoin des peintres, dont la matière première n’est pas le verre, d’aller toucher à cet art bien différent de la peinture ?

Photo: Barbora Kmentová
« A mon avis, la raison principale, même si ce ne sera pas le même mouvement pour chacun, c’est la quête de la lumière et l’exploration de la troisième dimension qu’on n’a pas avec un papier ou un canevas. Pour avoir travaillé dans l’atelier de Josef Jišicka, je sais qu’il l’a fondé parce qu’il a collaboré avec Max Švabinský. Donc ils ont travaille ensemble. Max Švabinský a fait des essais pour tester les effets du passage du papier au verre. Je dis que le vitrail est un art vivant car il est différent selon la lumière du jour ou même de la nuit, le verre vit sa vie. Je pense que l’artiste, quand il travaille sur un thème, il va pouvoir avoir cette impression de ne pas tout contrôler. Cela peut être à double tranchant, mais aussi enivrant. Il y a Švabinský aussi qui a travaillé à la cathédrale, František Kysela, Cyril Bouda etc. Il y a différents artistes qui ont exploré différentes techniques de vitrail. »

Pour terminer, je voudrais revenir sur votre départ. Vous achevez votre séjour de neuf ans à Prague. Quel bilan tirez-vous de ces années passées à Prague, que vous ont-elles apporté dans votre pratique au quotidien ?

« Cela a représenté pour moi une grande ouverture d’esprit concernant le vitrail. Je suis venu au vitrail grâce aux XIIe et XIIIe siècle, qui est une époque très spécifique. Prague a été, après Barcelone, une exploration de l’époque moderne. Prague est tous azimuts : c’est à travers l’architecture, la peinture, la musique. J’ai réalisé un paravent en essayant de retrouver l’atmosphère de l’époque Art nouveau, où tout était sujet à créer de l’art. Ici, de la poignée de porte à la chaise, tout a été pensé et réfléchi pour apporter de l’art dans la maison. J’ai donc pu approcher cette dimension, notamment avec mon premier paravent consacré à Rusalka. J’ai eu en effet un coup de foudre en voyant l’opéra de Dvořák et en entendant l’Ode à la lune qui a été une grande inspiration. C’est quelque chose qui restera fort pour moi. En effet, je pars, mais cela ne signifie pas que je ne reviendrai pas un jour. C’est une ville qui se laisse explorer et qui demande à être explorée à différentes époques de sa vie. »