Gaëlle Méchaly : « Je me suis plongée dans la musique tchèque »

Gaëlle Méchaly, photo: www.gaellemechaly.com

Gaëlle Méchaly est une cantatrice d’opéra qui collabore avec les plus grands théâtres lyriques et festivals européens. Dans son répertoire figurent des opéras de maîtres baroques dont Rameau, Charpentier, Purcell, Clérambault, et des œuvres de compositeurs modernes. Actuellement elle est en train d’étudier le rôle titre de l’opéra La Petite renarde rusée de Leoš Janáček qu’elle chantera dans une production indépendante du metteur en scène Stefan Grögler, son mari, et du plasticien Arne Quinze. Le metteur en scène et le scénographe situeront l’action scénique et le public dans une sculpture moderne géante. Gaëlle Méchaly se réjouit de pouvoir participer à cette production novatrice qui lui permet d’assouvir son goût pour l’expérimentation. Le rôle de la petite renarde lui ouvre les portes de l’univers de la musique tchèque qu’elle ne connaissait que très superficiellement et qui l’enchante. Elle a évoqué tout cela et bien plus encore au micro de Radio Prague :

Gaëlle Méchaly,  photo: www.gaellemechaly.com
C’est votre premier rôle dans un opéra de Janáček ?

« Oui, c’est mon premier rôle et je suis très excitée à cette idée. »

Est-ce un rôle difficile au niveau vocal ?

« La première difficulté c’est surtout la langue quand on n’a aucune notion de tchèque. La première difficulté c’est donc d’appréhender la langue, appréhender la lecture, c’est connaître la phonétique. C’est un travail qui demande beaucoup de concentration et une grande ouverture d’oreille pour capter toutes les difficultés de cette langue. A partir du moment où on sait lire en tchèque il y a un travail de mise en bouche. Au niveau du texte il faut trouver une forme pour ne pas stresser, parce qu’il est difficile quand on ne maîtrise pas bien une langue d’être souple en bouche et de chanter avec un joli legato. Il faut donc trouver une certaine souplesse. Je pense que la musique de Janáček n’est pas difficile par rapport à notre opéra et si on arrive à entendre les motifs musicaux qu’il nous donne dans chaque phrase musicale, on est toujours plus au moins en écho. Il nous place toujours dans une atmosphère musicale qui nous permet de reproduire musicalement plus ou moins ce qu’il a donné instrumentalement ou vocalement. Après, c’est quelque chose comme un concept qu’il faut intégrer, et je trouve qu’après c’est très agréable de le chanter. Il est vrai que ça demande un fort investissement au départ mais après je pense qu’on trouve une certaine aisance à le chanter. »

Avez-vous déjà joué le rôle d’un animal ? Est-ce que cela vous amuse ?

« Cette année je vais chanter ‘L’Enfant et les Sortilèges’ à l’Opéra Garnier, je chanterai l’Enfant, mais il m’est arrivé effectivement d’être invitée à chanter à la Fenice de Venise la Chouette dans le même opéra. J’y avais différents rôles mais aussi celui de la Chouette. C’était la seule fois où j’ai chanté le rôle d’un animal mais ça m’excite beaucoup. La Petite renarde est un animal qui a un cycle de vie comme s’il était presque un humain. Donc les sentiments et la façon d’appréhender chaque émotion et chaque différente étape de sa vie sont assez ‘humaines’. »

Votre renarde et donc plutôt un animal ou plutôt une femme ?

« Moi, je dépendrais évidement de la façon dont le metteur en scène verra le personnage. Par contre ce que je peux dire par rapport à la musique, par rapport à ce sublime duo d’amour entre le renard et la renarde, c’est l’exaltation des sentiments qu’on peut comparer à un sentiment d’amour, de passion humaine. Donc obligatoirement, si je me fie à ce que j’écoute musicalement, ce sont de grands élans sentimentaux quand même et je suis obligée, évidemment, de les accrocher à ce que je vis maintenant.(…) Par contre quand la renarde mange les poules, quand elle les égorge, c’est évidemment de l’animal. »

Etes-vous d’accord avec la conception du metteur en scène ?

Photo: opera-vixen.squarespace.com
« Moi je suis complément partante et enthousiaste à l’idée de cette sculpture gigantesque et de cette façon d’appréhender le public différemment, de lui faire vivre cela, puisque en fait on jouera sur cette sculpture mais le public sera à l’intérieur de la sculpture. Il y aura donc une proximité avec le public qui sera formidable. On pourra sentir chacune de ses émotions. L’idée d’être un peu sportive ne m’inquiète pas. J’ai déjà eu l’occasion de travailler avec Stefan Grögler. On va avoir deux mois de répétitions et on aura le temps d’intégrer la sculpture, d’intégrer la musique, d’intégrer tout ce qu’on va nous demander. Donc je ne m’inquiète pas et je trouve ça comme une expérience très excitante. (…) »

Avez-vous trouvé à Marseille des interprètes qui vous inspirent, qui vous permettent de mieux saisir le rôle ?

Photo: opera-vixen.squarespace.com
« (…) A Marseille il y a une institution qui s’appelle le CNIPAL (Centre National d’Artistes Lyriques) et qui permet à des chanteurs professionnels de venir apprendre des rôles. Pendant une semaine, quinze jours si vous le voulez, on vous donne l’occasion de travailler avec un chef d’orchestre, avec un professeur de tchèque, avec un pianiste, 20 heures par semaine ce qui est énorme. Vous pouvez venir en ayant déjà fait une grosse préparation puisque dans le cas de La Petite renarde ce n’est pas en une semaine qu’on apprend le rôle, et vous testez avec la pianiste, vous approfondissez les choses avec le professeur de tchèque et puis avec le chef d’orchestre. C’est vrai qu’à Marseille, lorsque je faisais cette préparation, j’ai rencontré un formidable professeur de tchèque qui s’appelle Radka et qui m’a donné d’excellents conseils pour la prononciation, et pour la prononciation chantée aussi parce que c’est différent de la prononciation parlée. Par contre, à Paris j’ai la chance de travailler aussi avec Irène Kudela qui est la spécialiste de tout le répertoire tchèque. Elle assiste de grands chefs d’orchestre dont Pierre Boulez.
Irène Kudela
Elle a fait beaucoup de production à travers l’Europe, elle a fait Katia Kabanova à Paris, elle a été appelée à Bruxelles aussi. Elle a fait toutes les productions de ce genre à l’opéra Bastille et même celle de la Petite renarde rusée. C’est elle qui a fait le livret en français de cet opéra et qui fait travailler les chanteurs parce qu’elle est à la fois pianiste et spécialiste du placement vocal en tchèque, une chose qui est assez spécifique pour les chanteurs d’opéra. Et donc cette dame formidable a accepté de me faire travailler le rôle et c’est avec elle que je prépare aussi un récital avec Dvořák, Martinů, Ullmann et Janáček. Cet opéra a été une telle découverte pour moi que j’avais envie d’aller plus loin dans mon travail et donc découvrir la musique tchèque. Je travaille avec Irène Kudela à la fois sur la Petite renarde et sur le récital pour voix et piano de musique tchèque. »

Est-ce que ce rôle présente aussi quelques pièges que vous aimeriez éviter ?

« Le piège principal, ce serait d’être, au niveau purement technique et vocal, trop dans la prononciation et pas assez sur la ligne vocale. Je pense que c’est le piège pour les chanteurs étrangers qui veulent rentrer dans une langue aussi complexe à prononcer que la langue tchèque. Je parle d’un côté technique qui serait un peu trop agressif dans la prononciation ce qui détruirait la ligne vocale. Janáček est, bien sûr, un grand spécialiste de la langue parlée et il est très important pour lui que le mot reproduise les intonations de la langue tchèque, mais je pense qu’on peut avoir à la fois une très bonne diction et garder le côté musical, la souplesse et la musicalité dans le chant. Voilà ce qui serait éventuellement le piège. »

Qu’est-ce que ce rôle vous a révélé sur vous-même ? Qu’est-ce qu’il vous a donné ? Vous a-t-il fait découvrir par exemple une autre facette de votre talent ?

Gaëlle Méchaly,  photo: www.gaellemechaly.com
« Déjà je ne pensais pas être capable de chanter en tchèque. Je pensais que ça allait être des montagnes de travail énormes à gravir. Et puis les professeurs que j’ai eus m’ont dit que j’avais une excellente diction et que j’étais faite pour chanter en tchèque ce qui m’a beaucoup rassurée. C’était donc une découverte. Et puis j’ai découvert à travers ce rôle la musique tchèque que je n’avais pas eu l’occasion de connaître. Oui, j’avais entendu quelques œuvres de grands compositeurs, des grandes symphonies, mais je n’étais pas imprégnée de cette musique. Et maintenant je me suis plongée dans ces mélodies et je trouve que c’est la musique d’une passion, d’une douceur et d’une émotion extrêmement plaisante à présenter pour un chanteur, et aussi extrêmement attachante. Donc voilà ce qui a été la découverte pour moi à travers la Petite renarde. »