La Russie en 40 ans de photographies par Dana Kyndrová

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Jusqu’au 7 août, la galerie de l’ancien hôtel de ville de Prague accueille une exposition de la photographe tchèque Dana Kyndrová. Née en 1955, elle s’est d’abord, très jeune, adonnée à la photographie amateur, notamment après l’installation de sa famille en Algérie. C’est plus tard au Togo qu’elle se lancera définitivement dans la photo. Au cours de sa carrière, elle s’est intéressée à de nombreuses thématiques, comme le départ des troupes soviétiques de Tchécoslovaquie, la Ruthénie subcarpathique, mais aussi les SDF. Francophone et russophone, elle a aussi sillonné la Russie des années 1970 à nos jours. L’exposition intitulée Les Russes, leurs icônes et leurs désirs retracent quarante ans de voyages.

Dana Kyndrová,  photo: ČT Art
« Je suis allée en Russie pour la première fois en 1976. En 1975, j’étais au Togo, avec mes parents, où mon père était entraîneur de volley-ball. J’ai interrompu mes études de français et de russe. Mais à un moment donné, mes parents m’ont dit qu’il fallait que j’améliore un peu mon russe. On a trouvé une famille qui m’a invitée. J’ai donc passé un mois à Moscou. Comme c’était après mon premier projet sur le Togo, j’avais mon appareil photo et j’y ai pris des photos. C’était le début de ce projet. Je suis allée neuf fois dans le pays pendant l’époque soviétique. Comme je faisais mes études, je profitais des stages. Quand j’ai plus tard enseigné, il y avait aussi des possibilités de s’y rendre. Personne n’avait trop envie d’y aller parce que c’était l’Union soviétique. A l’époque j’étais à la faculté de construction mécanique et personne ne comprenait pourquoi je voulais y aller. C’est comme cela que j’ai passé plusieurs fois deux mois sur place : j’y suivais des cours de russe, puis pendant mon temps libre, je prenais des photos. »

Les gens ne comprenaient pas pourquoi vous vouliez retourner en Russie. Qu’est-ce qui vous fascinait alors tant dans ce pays ?

« Pour les Français, c’est peut-être difficile à comprendre. Mais je suis d’une génération qui a vécu sous le système communiste. Donc ça a eu une certaine influence. Je ne peux pas dire que je détestais l’Union soviétique, mais ça m’irritait ! Je comprenais tout ce système et de nombreuses choses m’intéressaient. Cela dit, je n’avais jamais pensé faire un aussi grand projet. Je venais de finir mon projet sur le départ des troupes soviétiques de Tchécoslovaquie, au début des années 1990. Je me disais que j’en avais fini avec ce sujet. Mais en l’an 2000, une amie journaliste m’a invitée à l’accompagner dans un couvent orthodoxe qui se trouve à la frontière russe et estonienne. Je me suis dit que c’était intéressant : on y voyait la renaissance de la religion orthodoxe. Je me suis donc décidée à continuer ce projet. C’était d’ailleurs le moment où Poutine est arrivé au pouvoir. Au départ, je me disais que ce n’était pas particulièrement intéressant, mais j’ai fini par photographier encore pendant 15 ans ce qui se passe sous son pouvoir. »

Ce qui ressort de ce que vous dites, c’est que la Russie ne vous lâche pas. Vous ne vouliez pas y retourner, et finalement, cela vous a rattrapée…

Photo: Dana Kyndrová
« Oui. Et j’ai vu les changements, l’évolution. C’était très intéressant de voir comment les gens se débrouillent dans des conditions difficiles. Et aussi d’observer comment fonctionne l’église orthodoxe, avec ses processions etc. Ou comment le pouvoir s’est progressivement fait de plus en plus fort. C’était intéressant pour moi, car je montais à l’époque un projet sur la Tchécoslovaquie sous le système totalitaire, et je voyais précisément en Russie le retour de ce pouvoir fort. Mon projet sur la Russie s’achève avec Poutine au pouvoir et l’ambition que la Russie redevienne un pays très fort. »

N’était-ce pas difficile de prendre des photos en Russie avant la fin du communisme ? Est-ce que vous n’avez pas eu des problèmes quand on vous voyait photographier ?

Photo: Dana Kyndrová
« La première fois que j’y suis allée, j’ai tout de suite été interpellée. J’étais au marché. Un homme est venu, il m’a demandé ce que je faisais là. On était allés voir son supérieur. Plus tard, je me suis habituée. Je jouais toujours un peu la comédie : une femme, jeune, qui étudie le russe… Mais ça continue toujours aujourd’hui ! Par exemple, en 2007, j’étais dans les montagnes de l’Oural, dans le nord, et là aussi, ça a semblé bizarre aux gens que je prenne des photos. Quelqu’un a téléphoné. J’étais dans un bus, on a fait arrêter le bus, et on m’a emmenée pour m’interroger. On m’a demandé pourquoi j’étais toute seule, avec un appareil photo… Ils trouvaient ça bizarre. J’ai regardé ce monsieur très intelligent et je lui ai dit : aujourd’hui, on obtient plus d’informations avec des satellites, alors c’est vraiment ridicule ! Qu’est-ce que je peux bien faire avec un appareil photo ? »

Le titre de cette exposition qui balaye quarante ans, c’est Les Russes, leurs icônes et leurs désirs. Evidemment, on connaît les icônes religieuses, c’est à cela qu’on pense tout de suite. Mais dans vos photos, ce ne sont pas seulement celles-ci qui sont montrées…

Photo: Dana Kyndrová
« Bien entendu, c’est quelque chose qui vient de la religion. Une icône est quelque chose que l’on admire. Sous le communisme, les icônes étaient… communistes. On peut dire que le 9 mai est aussi une sorte d’icône pour les Russes. C’est la journée de la victoire, une journée de fête très importante sous l’Union soviétique et encore aujourd’hui. Pour les Russes, cela symbolise qu’ils ont sauvé le monde, qu’ils sont les meilleurs. Poutine est très intelligent et sait ce qu’il faut faire pour la nation. Cette idée est donc soutenue, encouragée, que les Russes sont les meilleurs et qu’ils ont sauvé le monde. Je me souviens qu’en 2012, c’était l’anniversaire de la bataille de Borodino, qu’ils considèrent comme une victoire sur Napoléon, même si le résultat de la bataille même n’était pas si clair. Je suis allée sur place pour prendre des photos. J’étais là au début du mois de septembre qui est aussi le mois de la rentrée scolaire. Mes amis m’ont dit que je devrais faire un tour dans les écoles. Je suis allée dans une classe de CP, chez les tous petits. La maîtresse leur a montré les images de Borodino et a expliqué à ces petits que c’était une bataille remportée par l’armée russe qui a les meilleurs soldats dans le monde. J’avais du mal à en croire mes yeux. »

La deuxième partie du titre, c’est les Russes, leurs désirs. Comment articulez-vous les deux ?

Photo: Dana Kyndrová
« C’est ce désir d’être à nouveau respecté en tant que pays fort, en tant que nation importante. Le désir d’une position dans le monde comme jadis. »

Avez-vous des visiteurs russes qui viennent à votre exposition ?

« Il y en a. Ils sont très intéressés et peuvent rester jusqu’à une heure et demi. J’ai l’impression que c’est intéressant pour eux… »

Intéressant de voir un point de vue extérieur sur leur pays ?

Photo: Dana Kyndrová
« Oui, et j’espère bien pouvoir envoyer cette exposition à Moscou. A l’heure actuelle, j’ai mon projet sur la Femme qui voyage à travers la Russie depuis trois ans. L’an dernier, on a ouvert l’exposition à Saint Pétersbourg. J’y ai présenté certaines de mes photos sur la Russie, j’ai tenté le coup, et tout le monde a beaucoup aimé. »

Est-ce qu’avec cette exposition vous avez l’impression d’avoir fermé une sorte de boucle ? Allez-vous reprendre la route vers la Russie ou est-ce une étape terminée ?

« Pour moi, c’est fini. Je sentais déjà en 2013 que je voulais en finir, parce que j’avais le sentiment de me répéter. Je pense que quarante ans c’est assez. Donc, c’est fini pour moi… »