Samuel Moucha, artiste touche-à-tout

Samuel Moucha est un jeune artiste franco-tchèque, installé à Prague où il a créé récemment, avec un ami un atelier de restauration. Touche-à-tout, son travail d’art exploite différents matériaux : métal, terre, bois et lumière. Sa rencontre avec l’art, il la doit en partie à son père, le peintre Miloslav Moucha. Entretien-portrait de Samuel Moucha.

Samuel Moucha
« Je suis Samuel Moucha, ‘grand artiste’ franco-tchèque (rires). En réalité, petit travailleur et col bleu de la rue Mánesova. Je fais de la gravure depuis quinze ans maintenant. J’ai un petit problème de ‘quadrisophénie’ (rires). »

C’est-à-dire ?

« C’est la déclinaison de la schizophrénie, entre mon activité artistique et mon activité artisanale. En effet, à côté, je vis de mes activités autour du bois, du métal, de petits chantiers, de mobilier etc. D’où la schizophrénie… »

Différents matériaux et donc différentes façons de penser. Je pense qu’on va y revenir au cours de cet entretien. Tu es artiste, restaurateur avec un atelier de restauration dans la rue Mánesova. C’est une activité récente. Ton nom, Moucha, nous rappelle que tu es franco-tchèque. Qu’est-ce qui t’a fait venir à Prague et y rester ?

« La liberté. L’espace. La présence de la nature. Et puis évidemment la bonne bière et les jolies filles, tous les arguments que n’importe quel Anglais ou touriste connaît. Mais c’est surtout ce sentiment de liberté, de décider plus de sa vie que dans une mégapole comme Paris d’où je viens, qui contraint plus, qui empêche de se développer. On y est plus une énergie de la ville qu’une énergie individuelle. Tandis qu’à Prague on sent plus une symbiose entre différentes individualités qui essayent de faire des choses par eux-mêmes. Il y a un plus grand plaisir à vivre. »

Justement, tu parlais de tes techniques, bois, métal, terre, lumière. C’est un peu les différents éléments ?

« J’ai cherché à essayer de rassembler des choses. Je suis assez symboliste. Je trouve qu’il y a des principes communs entre ces différents éléments alors qu’en général on a tendance à les hiérarchiser, à les séparer. Je pense au contraire que les principes sont les mêmes. Un chantier, ça peut être n’importe quoi, même mettre un enfant au monde… Il y a toujours une notion de travail, une grosse préparation et des difficultés à la fin. »

Comment es-tu arrivé à la gravure sur bois qui semble être une des tes activités artistiques principales ?

« C’est vrai que c’est celui qui me donne le plus de plaisir. Et quand à mon parcours : mon père est artiste-peintre… »

On l’a d’ailleurs interviewé plusieurs fois sur Radio Prague, il s’agit de Miloslav Moucha…

« Voilà. Il m’a donné une gouge et une plaque de lino quand j’avais 13 ans, au moment de la Saint-Sylvestre. Il m’a dit : ‘fais une carte de vœux’. J’en ai fait une avec mon petit frère. C’était la première intrusion dans le monde du noir et blanc, donc de la gravure sur lino et sur bois. Depuis je n’ai pas trop abandonné cet idéal. »

Qu’est-ce qui t’a séduit dans cet idéal ?

« Je suis assez tranchant, dans mes choix, mes décisions. D’ailleurs, je fais des couteaux ! Le noir et blanc me semblait une belle métaphore de cette énergie. Je suis sensible au manichéisme entre le jour et la nuit, le blanc et le noir… Cela fait partie intégrante de notre humanité. C’est aussi un moyen de s’exprimer plus facile que la parole. »

Pour ce qui est de l’autre matériau que tu utilises, la terre, il va falloir que tu nous expliques cette technique : le « tadelakt ». Comment es-tu arrivé à cette technique avec laquelle tu fais de nombreux chantiers de type salles de bains, décorations etc.

« Le tadelakt, c’est le stuc marocain. C’est une technique à la chaux aérienne impure, donc pleine de sable, de restes de silice et de mini-fossiles. C’est ce mélange venu de Marrakech qui en fait l’imperméabilité. Je suis rentré dans le métier de fresques, de stuc, de décoration intérieure grâce à cette matière ou à des dérivés de cette technique. En 2006, je suis parti au Maroc et je suis tombé amoureux de cette rondeur, de l’aspect ciré et de la couleur du tadelakt. C’est un matériau magique. Il y était très à la mode il y a une dizaine d’années en France, plus tard en République tchèque. Cela m’a permis de surfer sur la vague ici. A l’époque je travaillais avec la société Design Donlic : on était les premiers à faire ce matériau ici, qu’on avait présenté au salon Design a Interior, au Palais des Expositions à Prague. Par contre cela ne correspond pas beaucoup aux critères de qualité tchèques. Les Tchèques sont plus germaniques, ils ont besoin que tout soit droit. Alors que le tadelakt est plus brut, plus rond, il y a des micro-fissures, il faut l’entretenir. Et puis, c’est une technique de pays du sud, ou en tout cas sur une même latitude, on a des techniques ressemblantes au Guatemala et au Yémen. Il faut bien dire que ce n’est pas tout-à-fait imperméable et qu’il faut bien l’entretenir. »

C’est un matériau qui se travaille encore…

« Tadelakt, cela veut dire ‘masser’. Quand ça s’applique sur un mur, le temps que ça sèche, on rend la structure compacte avec un galet, et il faut également le ‘masser’ avec du savon noir, l’ancêtre du savon. Ce qui fait que ça désinfecte le produit de surface, ça le rend brillant, plus imperméable, ça crée la patine de l’enduit. »

Tu parlais du fer toute à l’heure. Comment parviens-tu à combiner tous ces différents mondes ?

« Le métal, j’y suis arrivé grâce à un ami de mon père, Wilfried Prager. Il est franco-autrichien. Il a fait le pont entre moi et un de ses amis, Yves Pellequer, qui habite dans un coin perdu des Cévennes. Il est coutelier et propose tous les ans un échange à un apprenti. Il prend un apprenti dans sa ferme où il vit plus ou moins en autarcie, en échange de quoi il lui apprend à forger. Le matin, l’apprenti fait la vaisselle et nourrit les animaux, l’après-midi, il apprend à forger. C’est ce que j’ai fait en 2002. Depuis, j’ai installé ma forge. D’ailleurs, en 2002, il y a eu les inondations à Prague, et notamment dans le quartier de Karlín, où j’habitais. J’ai trouvé une enclume dans la rue lorsqu’on vidait les caves. 140 kg qui ne me sont pas tombés sur la tête heureusement... »

…mais qui sont bien tombés pour le coup !

« Exactement ! Depuis j’ai donc installé mon atelier. Mais je ne fais plus vraiment beaucoup de couteaux parce que je ne suis pas trop l’ami des chasseurs ou des collectionneurs, ces gens qui ont l’usage du couteau. Si j’en fais, c’est pour les donner aux amis, car pour moi, le couteau exprime le partage. Je fais plutôt des grilles forgées et je trouve d’autres façons d’utiliser le fer. Je le fais plus souvent en France, parce qu’il y a beaucoup moins de forgerons là-bas qu’en République tchèque. Ici, il y a un sacré niveau ! Il y a beaucoup de forgerons, une tradition qui s’est conservé, un savoir-faire énorme… »

Pour terminer, est-ce que tu prévois une exposition en République tchèque ou en France dans les temps qui viennent ?

« Aux éditions Autrement à Paris normalement. Cela devrait être au moins de septembre ou octobre. Sinon, on verra pour Prague : j’ai deux dossiers pour deux antiquaires. Advienne que pourra ! »

Photos : www.moucha.eu


Rediffusion du 21/04/12