Svoboda ! Le premier tome de l’épopée des légionnaires tchécoslovaques en Russie, enfin en librairie

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Dans la rubrique culturelle, on part loin dans le temps et dans l’espace… En Russie plus précisément, au moment de la révolution bolchévique. Coup de projecteur sur un épisode peu connu de la Première Guerre mondiale : l’histoire des légionnaires tchécoslovaques qui vont se retrouver coincés dans un pays en proie à la guerre civile et mettront trois ans à rentrer en Tchécoslovaquie. C’est le sujet qui a inspiré le scénariste français de bande dessinée, Kris.

Kris
Kris est scénariste de bande-dessinée. On lui doit notamment en France la BD Notre mère la guerre. Avec son comparse Jean-Denis Pendanx, ils ont sorti début juin le premier tome de la BD Svoboda ! Nous en avions parlé en août 2010 : il s’agit d’une BD qui retrace l’épopée des légionnaires tchécoslovaques en Russie, à la fin de la Première Guerre mondiale et après celle-ci. Petite piqûre de rappel puisque nous nous étions parlé il y a un an : comment est née l’idée de cette BD qui doit paraître en tout en neuf tomes ? Ce premier tome n’est que le premier d’une longue série…

« On se lance en effet dans une longue fresque. Comme les grandes histoires, celle-ci est née par hasard : en lisant un article dans un livre sur les trains blindés qui évoquait ces légionnaires tchèques au milieu de la Sibérie pendant l’été 1918. Je ne connaissais pas du tout cette histoire. Très vite, je me suis demandé ce que faisaient au beau milieu de la Russie ces légionnaires. J’ai mis pas mal de temps à réunir des informations depuis 2005-2006. Petit à petit, j’ai découvert l’ensemble de cette aventure qui correspondait à tout ce que j’aime raconter dans mes récits de bande-dessinée. »

Il faut dire que tu es scénariste de bande-dessinée et que tu te spécialises dans les récits historiques. Justement, ce premier volume qui vient de sortir en France aux éditions Futuropolis, de quoi parle-t-il ? Tu dois présenter tes personnages et l’histoire qui est sans doute peu connue du public français…

« En effet, il faut tout d’abord contextualiser et poser ses personnages principaux. C’est le plus difficile, surtout quand on entreprend un récit assez long, du coup le rythme est assez lent. On ne court pas un marathon comme on court un cent-mètres. L’idée de ce premier récit, c’était de présenter au public français les éléments politiques et historiques de base pour qu’ils comprennent bien le dilemme de ces légionnaires tchécoslovaques qui ne désirent qu’une seule chose : rentrer chez eux et obtenir l’indépendance de leur pays. Ils vont se retrouver coincés en Russie pendant trois ans et vont participer à presque tout ce qui se passe d’important pendant cette période… »

C’est une période en effet très troublée, puisqu’il y a eu la révolution bolchévique…

« Oui… C’est surtout la révolution bolchévique qui les bloque en Russie. C’est étonnant qu’en français il n’y ait pas de synthèse sur cet épisode des légionnaires tchécoslovaques en Russie. En même temps, on ne peut pas lire de livre sur la guerre civile russe sans voir les Tchécoslovaques en arrière-plan. Ils sont pratiquement partout lors des grands événements qui agitent le pays : lors de l’assassinat du tsar, lors du déclenchement de la guerre civile, soit pendant tous les événements majeurs de cette période. Notre travail est donc de réunir tous ces éléments et d’en faire une fresque romanesque où se mêlent beaucoup de questions telles que : qu’est-ce qu’un pays, une nation ? Tout cela sur fond d’une histoire d’amour et d’une grande histoire d’amitié entre les deux personnages principaux. »

Pourrais-tu nous présenter les personnages principaux que l’on découvre dans ce premier volume ?

« Ils sont au nombre de trois. Le plus important dans ce tome 1 est un personnage que j’ai appelé Jaroslav Chveïk pour une simple raison : il s’inspire à la fois de l’écrivain Jaroslav Hašek et de son personnage de roman le plus célèbre, le brave soldat Chveïk. J’avais besoin d’un personnage de fiction, même s’il est très inspiré de l’écrivain Jaroslav Hašek. Il me fallait un certain degré de liberté, celui de pouvoir le placer à tel ou tel endroit si j’en avais besoin, de même que lui donner le caractère dont j’avais envie… »

C’est-à-dire un anar total !

« Oui… Mais même plus encore : c’est un type qui n’aime rien tant que mettre le bazar de manière joyeuse. Je le définis souvent comme un personnage qui ne croit en rien, si ce n’est en la beauté du geste. D’une certaine façon, la seule chose qui peut le fasciner, c’est la pureté. Il s’estime être une canaille et l’assume totalement.

Mais il est fasciné par la pureté des sentiments qu’il trouve chez son meilleur ami, l’autre personnage principal, un jeune peintre idéaliste qui s’appelle Pepa Černý. Pepa a tout juste vingt ans alors que Jaroslav a déjà trente ans et beaucoup baroudé auparavant. Pepa Černý est un amoureux de la France, de la culture française et rêve d’une République tchécoslovaque à la française. Il a une noblesse de cœur, de sentiment, d’engagement politique qui fait défaut à Jaroslav. Mais Pepa, de son côté, admire Jaroslav pour ses talents d’écrivain. C’est leur histoire à tous les deux qui va former ce carnet de guerre imaginaire puisque c’est de cela qu'il s'agit dans cette bande-dessinée. »

Et puis il y a encore un troisième personnage…

« Le troisième personnage est une jeune femme, noble, d’origine autrichienne mais vivant à Prague. Elle s’appelle Nora Kinský et s’inspire elle aussi d’un personnage réel, une femme qui était surnommée la Comtesse rouge. C’était une jeune noble qui s’était engagée dans la Croix Rouge pour aider les prisonniers de guerre austro-hongrois en Sibérie, qui s’est retrouvée coincée par la révolution bolchévique et qui est rentrée dans son pays après un périple incroyable. Elle a croisé les Tchèques notamment, et on pense qu’elle était sans doute une espionne austro-hongroise. Je la mets entre les pattes de Jaroslav et Pepa qui, tous deux, à leur façon, vont en tomber amoureux. Nora, elle-même, va tomber amoureuse d’eux à sa manière. C’est donc ce trio dont je vais m’attacher à retracer l’épopée pendant neuf albums. »

Je le disais en introduction, ce premier volume de Svoboda ! est sorti en France début juin. Quelles sont pour l’instant les réactions que vous avez pu recueillir tous les deux sur votre travail, mais aussi sur cette page d’histoire qui n’est pas très connue ?

« Il y avait quand même une certaine attente parce qu’on avait communiqué sur le sujet depuis pas mal d’années. Nos parcours respectifs sont assez connus des amateurs de ce genre de récits, donc il y avait une vraie curiosité. Le premier tome s’achève au moment où l’histoire démarre réellement, donc il y a une frustration par rapport à la suite. De toutes façons, la frustration est l’amie du scénariste car elle donne envie de lire la suite. On sent bien que les lecteurs manquent parfois de repères sur l’histoire précise de cette période et de cette région. L’Europe centrale et de l’Est reste mal connue chez nous. Je vais donc petit à petit distiller les informations pour immerger de plus en plus le lecteur dans cette histoire-là qui m’a toujours fasciné. J’ai toujours été attiré par l’histoire de l’Europe de l’Est, qu’il s’agisse de la Russie ou de la Tchécoslovaquie. »

Justement, je voulais te demander : qu’est-ce que t’apporte personnellement cette aventure, cette découverte, ce travail ?

« C’est un plaisir… Je n’ai jamais vraiment su pourquoi j’étais attiré par cette région du monde. Je sais que dans ma famille, les Accords de Munich ont toujours été considérés comme une vraie trahison, de ce qu’une démocratie française ne devrait plus jamais faire à un pays allié. Cela me permet d’aller à la recherche de cette histoire-là et de la remettre en lumière. Quand la démocratie est faible, elle est sûrement le plus faible des régimes. Quand la démocratie est forte, elle est sans doute le plus fort. L’histoire de ces légionnaires tchécoslovaques, c’est l’histoire d’une démocratie et d’une nation en marche.

Tous les témoignages s’accordent pour montrer à quel point cette aventure a pu être menée à son terme parce qu’ils étaient restés très unis et soutenus par un véritable idéalisme. Ca m’intéresse de mettre en lumière ce parcours. C’est un des principes de mes récits. Cela vient également des travaux de l’historien américain Howard Zinn qui estime qu’il faut parfois savoir mettre en lumière ces moments de notre histoire où les hommes ont su s’allier, vivre et combattre ensemble, voire parfois gagner, ce qui n’est pas toujours le cas. »

Pour terminer, quand peut-on attendre le tome 2 ?

« Pour mars 2012. A partir de là, on sortira deux albums par an, en mars et en novembre. Donc le tome 3 sortira en novembre 2012. »