Économie/Commerce

Nous continuons notre entretien avec le peintre pragois, Jiri Michalek, pour parler, non pas du marché de l'art, mais de la peinture. Jiri Michalek, comme nous l'avons dit, est certainement l'un des plus grands artistes-peintres du naïf de la fin du XXe et ce début du XXIe siècle à Prague. Il a un style très personnalisé reproduisant le plus souvent les quartiers traditionnels du vieux Prague, les réjouissances familiales et l'intérieur des brasseries populaires pragoises. Le tout avec une touche confinant au surréalisme et se plaisant dans l'animation et la multiplicité de personnages étranges et burlesques. Jiri Michalek ne parle pas français. Il y aura donc quelques coulisses pour l'illustration. Bonne écoute.

Q: peut-on dire aujourd'hui qu'il existe à Prague un marché international de l'art ?

R : Il en existe certainement, bien entendu. Il y a des galeries comme la galerie Meroun, où l'on trouve des tableaux du monde entier. Au quartier Hradcany, par exemple, il y a des galeries spéciales collectionneurs. C'est une autre classe, une autre catégorie...

Q : Je veux dire si les tableaux tchèques s'exportent...

R : Bien sûr qu'ils s'exportent. Mais je n'ai aucune expérience dans ce domaine.

Q : Quelles sont les démarches à faire pour qui voudrait sortir à l'étranger un tableau acheté en Tchéquie ?

R : La formalité la plus importante est l'autorisation de la Galerie nationale. Et là, il y a des taxes à payer. Le tableau est évalué. Et toutes ces pièces sont nécessaires à la sortie du tableau du pays. C'est des règles valables dans tous les pays du monde.

Q : Des instituts financiers sont entrés, sous le communisme encore, en possession de tableaux de grande valeur qui, avec l'ouverture postérieure à 1989, ont acquis une plus value considérable. Que pensez-vous de ça ?

R : Je ne sais pas, la privatisation a mis en jeu des dizaines de millions de couronnes. Ici, il est possible d'avoir un patrimoine et de le passer, par exemple, à une autre entreprise. La première fait faillite, mais votre argent vous l'avez dans une autre société. J'ai l'impression que cela n'est possible que chez nous. Il m'importe peu que ma société fasse banqueroute, du moment que cet argent, c'est ma femme qu'il l'a. Je me suis toujours demandé où ces femmes trouvent-elles tout d'un coup autant d'argent. Chez-nous, la question ne se pose pas sur pareilles choses.

Q: Comment voyez-vous l'avenir de la peinture et des peintres ?

R : Ma représentation de l'avenir est qu'il sera meilleur pour la nouvelle génération. Elles sont deux générations à avoir vu le jour. Elles peuvent voyager partout dans le monde, étudier ce qu'elles veulent. Ces possibilités n'ont tout simplement pas existé par le passé. Ici, après la révolution, on a vécu ce boom comme on dit. Beaucoup de marchandises viennent ici. Vous trouvez des catalogues de télé couleur. Tout ce que vous voulez. Mais tout le monde ne peut pas les avoir. Car il faut avoir l'argent pour cela et tout le monde n'a pas l'argent. Mais les gens sont terriblement matérialistes. Ils veulent être bien, mais ils ne le méritent pas encore. Et quand ils se mettent à critiquer le gouvernement et le parlement dans les brasseries, ils se font répondre, que voulez-vous de plus, vous méritez ce que vous avez. Bien sûr, les choses s'amélioreront, mais il y aura d'autres gens.

Q : Si un peintre a un projet ambitieux, pourrait-il obtenir une aide du ministère de la Culture, par exemple ? La profession d'artiste-peintre est-elle reconnue ? L'artiste-peintre dispose-t-il d'une protection sociale en Tchéquie ?

R : Je pense que les choses fonctionnent comme autrefois sous l'ancien régime. Il y a évidemment ceux qui ont fait les académies et on, bien sûr, leur propre protection. Ils figurent sur les registres de leurs écoles et ont, bien entendu, des avantages. Leurs expositions reçoivent une dotation essentiellement de l'Etat. Mais ces gens-là ne sont pas nombreux. Aujourd'hui, il existe des fonds des créateurs et artistes. Personnellement, je n'en suis pas membre, je n'ai jamais essayé de le devenir, car, d'un autre côté, on perd quelque chose de sa liberté, ce fonds a aussi ses conditions. Bien sûr, vous pouvez chercher des sponsors. Mais si vous devez préparer 30 tableaux, tout le temps que dure cette préparation, si vous n'avez pas de moyens, vous devrez travailler. Autrement, vous ne pourrez pas attendre plusieurs mois pour faire une grande exposition. Chaque mois, il faut vendre quelque chose pour vivre. D'un autre côté, il y a des gens qui ne vendent rien pendant toute l'année. Des deux choses l'une, soit que le peintre a de l'argent afin qu'il puisse faire ce qu'il veut et il y croit, mais il doit de toute façon se sacrifier, surtout s'il n'y a pas beaucoup de ventes ; soit qu'il n'a pas d'argent, et il doit travailler. Il y a des gens qui font des choses modernes, je ne saurai les juger, c'est au marché et aux experts de le faire. Souvent ces choses ne sont pas demandées et le peintre doit avoir de quoi vivre. Je pense en tout cas que c'est difficile. Ceux qui profitent sont ceux qui ont fait des écoles spécialisées. Leurs propres écoles leur donnent des possibilités.

Q : Et vous, personnellement, combien d'expositions faites-vous par an ?

R : Personnellement, je dis que j'aimerais organiser chaque année une exposition. La question est de savoir laquelle. Pour vraiment organiser l'exposition que j'aimerais faire moi-même... je ne sais pas moi..., en un an, je ne suis pas capable d'organiser une grande exposition. Pour ce qui est des choses exigeantes, comme Prague ou différents intérieurs de brasseries que les gens aiment, je ne suis pas capable de préparer une grande exposition par an. Je fais deux tableaux par mois. Et c'est déjà beaucoup de travail. Entre temps, je peints différentes commandes. Un ami qui me téléphone... à l'occasion, par exemple d'un anniversaire. On ne peut pas refuser car cela revient à perdre un client... n'est-ce pas ? Vraiment c'est difficile. Pour faire une exposition, je dois lui consacrer une année et encore ! Un individu n'est pas une machine, des fois on a envie de travailler, d'autres fois non. C'est d'inspiration qu'il s'agit. Des fois elle y est, des fois elle n'y est pas.

Q : Vous êtes un peintre connu depuis 20 ans, maintenant. En dehors de vos possibilités personnelles, il vous est possible d'exposer là où vous voulez à Prague ?

R : Pour vous dire la vérité, je n'ai pas d'exigence particulière, comme le fait d'exposer en Allemagne, par exemple. J'ai beaucoup de travail et ce qui m'intéresse, c'est d'exposer à Prague. Car je peints beaucoup Prague. L'important est qu'il y a des gens qui aiment la Tchéquie, l'important est que la personne ait suffisamment d'humilité et apprécie ce qu'elle a et remercie Dieu qu'il en soit ainsi. Pourquoi être malheureux parce que je ne peux pas être ceci ou cela ? Je pense que ce que la personne fait est un don de Dieu. Je sais que je peux être meilleur. Peut-être même que je le serai, mais en attendant je ne suis pas malheureux. J'ai d'autres problèmes.

Q : Nous voyons toute une série de peintres qui exposent sur le pont Charles à Prague. N'importe qui peut exposer là-bas ?

R : Certainement pas, il faut avoir des autorisations données comme partout à la mairie. Mais on n'autorise pas n'importe qui. Il faut que le travail à exposer mérite de l'être. Il y a donc une commission qui passe en examen, pas seulement le cas du peintre, mais aussi la qualité de ce qu'il veut exposer ou faire. Il y a des portraitistes, des dessinateurs et des peintres qui, souvent, vendent par l'intermédiaire d'une vendeuse seulement. Il y a des originaux et des reproductions. Mais d'une manière générale, les gens arrivent toujours à faire de bonnes recettes. C'est aussi une façon de commercialiser son art en l'adaptant aux gens de passages, qui n'ont pas beaucoup d'argent ni beaucoup de place pour acheter des grands tableaux, mais qu'un petit dessin ou un petit tableau fait main ou ayant l'air de l'être, intéresse comme souvenir de Prague.

Auteur: Omar Mounir
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