Rencontre avec Martin Jahn, vice-Premier ministre en charge de l'économie

Martin Jahn
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Après avoir été directeur général de l'agence CzechInvest de 1999 à 2004, Martin Jahn est devenu, en septembre 2004, vice-Premier ministre pour l'économie dans le nouveau gouvernement de Stanislav Gross, bien qu'il ne soit membre d'aucun parti politique et en dépit de son âge, qu'il voit d'ailleurs plutôt comme un avantage.

Invité par la Chambre de Commerce Franco-Tchèque le 22 février dernier, Martin Jahn s'est exprimé notamment sur l'élargissement, les délocalisations et il est revenu sur sa récente visite en France, où il a rencontré le ministre démissionnaire des Finances, Hervé Gaymard.

« Nous partageons, avec M. Gaymard, les mêmes opinions sur plusieurs points, même si la position française est, je dirais, moins libérale sur certaines questions économiques traitées en ce moment à Bruxelles. Afin d'utiliser au maximum les opportunités que nous offre l'UE, y compris l'élargissement à de nouveaux pays comme la Bulgarie, la Roumanie et potentiellement la Turquie, je pense qu'il faut libéraliser au maximum le marché intérieur. Sur ce sujet, la France est parfois un peu réticente, notamment, par exemple, sur la directive européenne concernant les services sur le marché intérieur. J'espère que notre opinion aura assez de poids. Parce que si nous profitons aujourd'hui de la libéralisation, dans quelques années nous serons peut-être dans une situation où la libéralisation sera plus bénéfique à la Bulgarie, par exemple, qu'à nous. Je pense que nous serons bientôt plus proches de l'Allemagne ou de l'Autriche que de la Pologne, et nous nous rapprocherons des positions traditionnelles de ces pays. L'élargissement de l'UE est pour cette raison une question économique et si nous n'en profitons pas, il sera difficile de faire face aux Etats-Unis. Pour cette raison aussi, je pense que la Turquie devrait intégrer l'UE. »

S'élargir, ouvrir un peu plus encore le marché européen, et délocaliser toujours plus à l'est, c'est de cela que sera fait l'avenir économique européen. Martin Jahn en est bien conscient, et il connaît aussi les moyens pour aller au devant de cette réalité.

Martin Jahn
« Les délocalisations ne me font pas peur et je sais très bien qu'elles arriveront. Elles vont se jouer notamment sur le plan de l'environnement juridico-légal des affaires, si nous avons une semaine de travail de 30, 35 ou 40 heures, et sur le plan des lois. Surtout, elles vont dépendre du niveau d'éducation des gens dans le pays. Bientôt, ce sont les connaissances des gens qui seront décisives dans l'implantation des projets dans le monde. Un pays sans impôts, avec une législation parfaite, mais qui ne possède pas de forces vives, ne sert à rien. Les entreprises venues chez nous dans la première moitié des années 90 en raison d'une main-d'oeuvre bon marché vont commencer à partir et il faudra savoir les remplacer. Regardez les systèmes et les cycles de production dans les domaines-clefs comme l'électronique, l'automobile ou les services. Personne n'aurait pu prédire, il y a 5 ans, comment allait se développer l'outsourcing dans l'industrie électronique par exemple. Il faut donc essayer de voir comment les choses vont évoluer sans pour autant s'alarmer des délocalisations qui auront lieu. »

Interrogé sur le choix de PSA de s'implanter en Slovaquie au lieu de la République tchèque, Martin Jahn répond qu'il s'agissait là d'un choix stratégique de Peugeot qui ne souhaitait pas « avoir les deux oeufs dans le même panier », à savoir l'usine TPCA (Toyota, Peugeot, Citroën) de Kolin et l'usine Peugeot, et que cela ne remettait pas en cause le caractère attractif du pays pour les investisseurs du secteur automobile, un marché mûr en RT.

En tant que ministre, Martin Jahn a inscrit plusieurs sujets à son agenda, comme les réforme des retraites, du système de santé et du système social, ou encore le remaniement de la loi sur les faillites et le soutien à la recherche-développement. Les trois premiers s'avèrent particulièrement épineux à aborder. On écoute Martin Jahn.

« La vue d'ensemble sur les grandes réformes en cours et à venir du pays n'est pas très optimiste, mais d'un autre côté, rien de grave n'est en train de se passer. Et c'est pour ça que les réformes ne sont pas véritablement lancées. Le système de santé n'est pas au bord de la faillite et le système des retraites n'est pas en train de se désintégrer. La RT est trop riche et ses déficits sont trop bas pour constituer une pression sur la classe politique telle que les choses commencent à bouger. Il ne se passera rien de grave dans les 2-3 années à venir et j'espère que d'ici là, les réformes auront été entamées. »

En matière d'environnement juridico-légal, les réformes se font attendre aussi, au grand dam des entrepreneurs, qui s'interrogent sur ces lenteurs.

« Il y a trois raisons à cela. Tout d'abord, la RT se porte encore relativement bien. Or, les gouvernements s'attaquent traditionnellement aux réformes quand ils ne vont pas bien économiquement, comme c'était le cas de la Slovaquie et de l'Allemagne. La RT a fait des efforts dans ce sens là en 1997-1998, au moment où le pays traversait une phase de récession, après la chute de l'ODS, mais ces efforts se sont dispersés depuis. »

"La deuxième raison réside dans la décomposition des forces politiques. Les dernières consultations électorales l'ont montré, il manque à la RT un gouvernement fort capable de mette en oeuvre une politique, et ça pourrait être le cas encore après les prochaines élections."

« Et la troisième raison est liée au système de lobbying dans ce pays où certains groupes aux intentions bien définies ont le pouvoir d'influencer, positivement ou négativement, une loi, de manière à servir leurs intérêts particuliers. Mais quand il s'agit de faire pression sur un sujet qui touche toutes les entreprises, la force de persuasion des cercles d'entrepreneurs est nettement moins importante ! La première fois que les cercles d'affaires ont mis leurs forces en commun pour faire avancer une chose positive, c'était pour la loi sur les faillites. Hélas, les groupes de pression qui trouvent leurs avantages dans le système de lobbying actuel sont encore trop forts. Il est nécessaire qu'un spectre d'entrepreneurs solide se créé pour pouvoir exercer une pression forte. »

Auteur: Agnès Vaddé
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