Thomas Bordier, Exapro : « Dans l’industrie, les gens ont retrouvé le moral »

Thomas Bordier est patron d’Exapro, une plateforme sur internet d’achat et de vente de matériel industriel d’occasion. Il présente son entreprise et nous fait part de ses observations sur l’état du tissu industriel en République tchèque et en Europe.

Thomas Bordier
Exapro existe depuis dix ans. C’est un site internet, un portail, où les vendeurs et acheteurs de machines industrielles d’occasion – du matériel relativement lourd, qui vaut quelques dizaines de milliers d’euros à plusieurs millions d’euros – peuvent proposer leur matériel lorsqu’ils n’en ont plus l’usage. Les gens qui sont intéressés viennent sur le site, nous posent des questions, passent par notre intermédiaire au départ pour avoir ces réponses. Ensuite, ils vont voir ces machines, en font l’acquisition, etc. Nous sommes là pour les accompagner dans la prise d’informations puis dans l’achat. »

Plus concrètement, pour quel type de machines par exemple ?

« Il est vrai que c’est assez large et qu’on a des gens qui sont spécialisés sur chaque secteur industriel. Nos plus gros secteurs sont les machines à outils, donc le travail des métaux et des machines de tôlerie et autres. Il y a d’autres secteurs comme le plastique ou l’agro-alimentaire qui marchent très bien. Il y a aussi des plus petits secteurs qui fonctionnent très bien et qui sont plus spécifiques. On a par exemple les robots industriels, soit tous les robots que l’on voit dans les documentaires télévisés sur les chaines de production automobile. Ce genre de matériel se vend très bien. »

Vous occupez-vous du marché tchèque en particulier ?

« Le marché tchèque est pour nous et dans l’ensemble de l’Europe un petit marché. Toutefois, c’est un marché que l’on connaît très bien parce qu’on est bien basé ici et qu’on se déplace régulièrement voir les clients. Donc on connaît bien le marché, et c’est un marché qui, étant petit, est très dynamique et représente une part de nos ventes importante, relativement à sa taille. Par exemple l’Allemagne, qui est beaucoup plus grande à côté, est seulement trois fois plus gros que le chiffre d’affaires réalisé en République tchèque. »

En travaillant comme intermédiaire pour l’achat et la vente de matériel industriel d’occasion, on peut imaginer que votre entreprise peut être un bon baromètre de l’état du tissu industriel dans certains pays, en Europe en général. Est-ce bien le cas ?

« Je pense que c’est un peu le cas. D’une part, on a beaucoup de visiteurs, plus de 230 000 par mois, qui nous posent un certain nombre de questions. Et il est vrai qu’on voit assez rapidement l’intérêt ou les difficultés des industriels en Europe sur certains secteurs. On a un contact direct et quotidien. On a donc leur retour. Les gens se plaignent ou sont heureux ou disent que c’est en pleine croissance. Et, effectivement, on a une bonne idée de la température générale du secteur industriel en Europe. »

Comment est cette température ?

« Je trouve en ce moment qu’elle est très positive. Les gens ont repris courage. Evidemment, l’année 2009 a été difficile : les gens ont bloqué, gelé les acquisitions. Il y avait beaucoup de craintes par rapport au futur, ce qui a condensé les achats en fin d’année, donc des achats très rapides fin 2009. Mais aujourd’hui, on se retrouve avec des gens qui ont des projets de développement et pas seulement des projets de remplacement de vieux matériel. Et je trouve que les gens ont retrouvé le moral. »

Et quelle est la température sur le marché tchèque ?

« Le marché industriel en République tchèque suit beaucoup les tendances allemandes. Et il est vrai qu’il était difficile de savoir pendant un certain temps si l’Allemagne reprenait ou pas. On a annoncé qu’ils étaient les plus touchés par la crise puis on aannoncé qu’ils étaient ceux qui se relevaient le plus vite. C’est ce qui correspond peut-être au schéma d’entrée et de sortie de crise, comme les Etats-Unis qui ont été les premiers à y entrer et qui seront probablement les premiers à en sortir aussi. Les Tchèques étant beaucoup les sous-traitants de l’Allemagne, dès que l’Allemagne repart, les Tchèques repartent avec elle.

Il y a eu deux crises en République tchèque. La première était avec la couronne il y a un an et demi, deux ans, quand le change était de presque 23 couronnes pour un euro. Cette passe amorçait la crise globale qui est arrivée derrière. Et c’est vrai que les Tchèques ont beaucoup souffert à ce moment-là, et ils ont peut-être perdu des investisseurs. Toutefois, aujourd’hui, ils sont repartis et je les sens aussi positifs et à nouveau à avoir des projets à moyen et long terme. »

D’une manière générale, le monde industriel en Europe est en déclin, les entreprises vont s’installer ailleurs. Voyez-vous ce phénomène ?

« Sur les mouvements généraux, il est vrai que nous avons plus d’acheteurs vers l’Est, que ce soit l’Europe de l’Est, mais aussi le grand Est et l’Asie. Toutefois, il y a aussi des ventes qui se font intra-Europe et dans des flux auxquels on ne s’attendrait pas, de l’Europe de l’Est vers l’Europe de l’Ouest et autre. Il y a des secteurs qui sont touchés et qui malheureusement ne se relèveront pas. On voit le textile qui était très fort il y a quelques années encore et est maintenant en fin de course complète. Il y a encore du textile technique qui reste en Europe mais l’industrie lourde du textile est finie. On le voit même sur des marchés tels que la Roumanie qui a perdu 30 % de son industrie textile, seulement l’année dernière, je crois. Donc il est vrai, j’en ai l’impression en tout cas, qu’il y a des secteurs qui ne se relèveront pas malheureusement.

Par contre, il y a d’autres secteurs qu’on pensait vraiment handicapés qui ont l’air de vouloir reprendre, comme la mécanique, donc tout ce qui tourne autour de l’automobile, du travail des métaux. Ce secteur a vraiment repris cette année alors qu’on prédisait des années de pénurie et des difficultés sur le long terme. »

Votre entreprise se situe-t-elle dans une niche ? Faire de l’achat et de la vente de matériel industriel d’occasion est-elle une activité qui rencontre beaucoup de concurrence ?

« C’est un marché qui a été très convoité. Beaucoup de gens ont tenté mais n’y ont pas réussi. J’aurais tendance à dire que nous n’avons pas une concurrence directe très forte. Par contre, on en a une indirecte assez forte, où il y a beaucoup d’intervenants. Cela peut être les ventes aux enchères. On a aussi beaucoup de revendeurs. Il y a tout un tissu de revendeurs européens qui se font concurrence, et que l’ont peut déranger parce qu’on offre une nouvelle voie d’information. Toutefois, nous travaillons avec beaucoup de ces gens, et cela peut être parfois des partenariats très solides que nous avons formés avec des revendeurs qui ont voulu ouvrir des marchés qu’ils ne pouvaient pas joindre, notamment à cause des barrières de langue. Que ce soient des vendeurs français, qui ont l’anglais mais rarement deux ou trois autres langues, on leur apporte un service qui va les aider à ouvrir de nouveaux marchés. »

Vous faites référence à vos compétences linguistiques. Est-ce un des avantages d’être en République tchèque ? D’autre part, vous avez dirigé cette entreprise en France avant de l’installer en République tchèque. En matière de gestion d’entreprise, quelles sont les différences entre les deux pays ?

« Il est vrai qu’il y a des grandes différences. Pour ne comparer que les Français et les Tchèques, nous n’avons pas les mêmes réactions, vis-à-vis du management, des réclamations, ou des commentaires que l’on peut avoir. Les Tchèques sont en général beaucoup plus timides, parfois à tort, et ont tendance à ne pas vouloir dire les choses qui peuvent les gêner. Donc, quand on travaille avec les Tchèques, on n’a pas toujours un retour immédiat. Ce qui est l’inverse des Français. Dès qu’il y a quelque chose qui ne va pas, c’est peut-être trop rapidement mis en négociation ou en discussion, ce qui est parfois un peu difficile à gérer. »

Sur le plan de la fiscalité, est-ce plus intéressant d’être installé en République tchèque ou en France ?

« C’est légèrement plus intéressant d’être en République tchèque. Je ne pense pas que ça puisse vraiment être un facteur de décision. En tout cas, ça ne l’a pas été pour nous, de se dire qu’on va éviter 1 ou 2% d’un côté. De toute façon, il y a d’autres aspects qui sont plus difficiles à prendre en compte. La langue, les habitudes bureaucratiques, l’accès aux aides potentielles et autres sont plus difficiles en République tchèque pour nous. J’aurais tendance à dire qu’il y a des différences mais elles sont trop minimes pour être des facteurs de décision. »