A Prague, la statue d’un maréchal soviétique, source de tensions diplomatiques avec Moscou

Photo: Anton Kaïmakov

Une statue du maréchal soviétique Ivan Koniev, édifiée à Prague en 1980, est aujourd’hui source d’une discorde grandissante entre la mairie du VIe arrondissement où elle se trouve, et Moscou. Retour sur ces tensions diplomatiques sur fond de controverse historique à propos du rôle de ce haut dignitaire soviétique.

Photo: Anton Kaïmakov
Vandalisée à la peinture rouge à l’occasion du 51e anniversaire de l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, nettoyée par un groupe de personnes, entourée d’un échafaudage et d’une bâche par la mairie du VIe arrondissement afin de la protéger, puis à nouveau découverte par des personnes opposées à ce que la statue soit dissimulée. Depuis plusieurs semaines, la statue d’Ivan Koniev, à Prague, n’en finit plus de faire l’objet d’une controverse entre partisans et opposants quant à son rôle historique de, entre ceux qui souhaiteraient la voir disparaître purement et simplement et ceux qui veulent honorer la mémoire du maréchal soviétique.

En juillet dernier déjà, plus d’une centaine de personnes avait adressé une pétition à la municipalité de Prague III pour faire modifier le nom de la rue Koněvova, nommée ainsi en l'honneur de ce même Ivan Koniev.

L’an passé, la mairie du VIe arrondissement avait fait apposer une plaque explicative, rappelant le rôle plus nuancé qu’héroïque qu’a joué le maréchal au cours de l’histoire. Ondřej Kolář est le maire du quartier :

Ondřej Kolář,  photo: Tereza Melicharová,  CC BY 1.0
« Nous avons installé une nouvelle plaque sur le monument. Celle qui s’y trouvait auparavant n’évoquait que son rôle dans la libération de Prague. La nouvelle, en tchèque, en anglais et en russe, rappelle que lui et ses troupes n’ont pas seulement contribué à cet événement, mais il y a des chapitres plus sombres de sa vie : il a en effet participé à la répression de l’insurrection en Hongrie en 1956, à la construction du mur de Berlin ou a été de passage à Prague en 1968 pour une opération de renseignement avant l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie. Evidemment nous avons fait appel à l’Institut d’histoire militaire et l’Académie des Sciences. Ces deux institutions ont validé le nouveau texte explicatif. »

De son côté, l’ambassade russe a appelé à plusieurs reprises les autorités municipales à protéger la statue de celui que Moscou considère comme un héros soviétique. Alexeï Kolmalkov est conseiller à la représentation diplomatique russe :

« La direction de la municipalité interprète les actions des vandales comme l’opinion de tous les habitants du VIe arrondissement. Selon nous, cette argumentation ne correspond pas à ce que l’on peut attendre d’une société civilisée et démocratique. »

Dernier rebondissement en date : à la fin de la semaine dernière, le ministre russe de la Culture en personne, Vladimir Medinski, s’est exprimé sur le sujet, allant jusqu’à comparer le maire du VI arrondissement de Prague à un nazi. Ce dernier a mis la question du devenir de la statue à l’ordre du jour de la prochaine réunion du conseil municipal, le 12 septembre :

Vladimir Medinski,  photo: G.Garitan,  CC BY-SA 4.0
« Nous commençons à en avoir assez de devoir remettre cette statue en bon état, alors que ce personnage a eu un rôle négatif dans l’histoire de la Tchécoslovaquie. Dès le début, nous avons toujours envisagé la statue comme un bien de la municipalité, et comme tel, nous nous en sommes occupés, nous l’avons nettoyée. Néanmoins quoi qu’il se passe, cela suscite à chaque fois de violentes réactions de la Fédération de Russie, via son ambassade. »

Ayant fait par ailleurs l’objet de menaces de mort et placé sous surveillance policière, Ondřej Kolář a récemment suggéré que la statue du maréchal controversé soit déplacée sur le terrain de l'ambassade de Russie, voire « au Château de Prague si le président y tient ».

Le chef de l’Etat Miloš Zeman, qui ne fait pas mystère de ses sympathies pro-russes, a critiqué sur les réseaux sociaux l’idée de déplacer la statue, accusant ses initiateurs de vouloir réécrire l’histoire.

Si les leaders du parti social-démocrate (ČSSD) et du Parti civique démocrate (ODS) ont émis l’idée d’organiser un référendum à l’adresse des habitants de l’arrondissement, c’est en fin de compte la fille du maréchal Koniev lui-même qui pourrait avoir le dernier mot : d’après la Télévision publique tchèque, celle-ci a annoncé qu’elle allait demander le transfert de la statue de la discorde à Moscou, afin de la faire installer dans la rue baptisée du nom de son père.

Photo: I. Budykin