A Prague, un forum tchéco-russe de discussion pour ne pas discuter des sujets sensibles

Pavel Litvinov, photo: Vít Šimánek / ČTK

Projet commun de Miloš Zeman et Vladimir Poutine inscrit dans le cadre d'un Mémorandum de compréhension mutuelle, un Forum tchéco-russe de discussion, premier du nom, s’est tenu à Prague jeudi. Mais en raison de la déformation des faits historiques par les médias russes, du choix des sujets débattus ou encore de l’inaccessibilité aux chercheurs d’une partie des archives soviétiques, son organisation a été vivement critiquée notamment par les historiens tchèques.

Pavel Litvinov,  photo: Vít Šimánek / ČTK
Ce vendredi, trois des huit dissidents soviétiques qui ont protesté, le 25 août 1968, sur la Place rouge à Moscou, contre l’intervention quelques jours plus tôt des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, se sont vus remettre des mains du ministre des Affaires étrangères un prix Gratias Agit, témoignage de la reconnaissance de l’Etat tchèque à leur égard.

Dans un entretien accordé au site d’informations Aktualne.cz, Pavel Litvinov, un des trois dissidents encore en vie présents à Prague en cette fin de semaine, a affirmé que s’il était invité à une rencontre personnelle avec le président tchèque Miloš Zeman, il refuserait car les deux hommes n’auraient pas de sujet dont ils pourraient discuter ensemble. « J’aime la liberté, lui aime Poutine », a-t-il expliqué. Quant aux événements de 1968, Pavel Litvinov a regretté que pas plus Boris Elstine que Vladimir Poutine ne se soient jamais distanciés de l’invasion de la Tchécoslovaquie.

C’est donc la veille de cette cérémonie symbolique que le Forum tchéco-russe de discussion, organisé par l'Institut d'État des relations internationales de Moscou et l'Institut des relations internationales tchèque, s’est tenu. Une aberration selon l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires (ÚSTR) dont les historiens critiquent vivement l’interprétation faite par la Russie d’un certain nombre de faits historiques et les pressions exercées par les autorités sur leurs homologues russes. Directeur de Člověk v tísni (L’Homme en détresse), la plus grande ONG tchèque, et ancien leader étudiant de la révolution en 1989, Šimon Pánek a cosigné une lettre adressée au ministère des Affaires étrangères critiquant l’organisation de ce forum, estimant que celui-ci servait de plateforme à la propagande russe. Šimon Pánek explique ses motivations :

Šimon Pánek,  photo: Šárka Ševčíková,  ČRo
« Je pense que ce forum est quelque chose de complétement absurde. On nous parle de l’ouverture des archives russes, mais les gens de l’ÚSTR ne cessent de dire que ces archives sont précisément celles qui sont les moins accessibles, contrairement par exemple aux archives ukrainiennes ou géorgiennes. Il paraît que 98 % des archives russes sont accessibles, mais la question est plutôt de savoir pourquoi les 2 % restants ne le sont pas. On prétend vouloir débattre de 1968, très bien, mais le chef de la délégation russe présente à Prague ce jeudi était un ancien responsable de la première chaîne de la télévision publique russe qui avait diffusé, il y a trois ans de cela, un documentaire selon lequel l’invasion de la Tchécoslovaquie était une aide fraternelle (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/histoire/invasion-daout-1968-la-television-russe-ressasse-le-mythe-de-laide-fraternelle )… Et vous pensez que des gens de ce type vont parler ouvertement avec nous ? Tout le monde sait bien que ce sont des gens proches de Poutine et du pouvoir en Russie. Ils ne sont pas honnêtes, leur travail consiste précisément à cacher la vérité et à falsifier l’histoire. Ce sont des gens qui font partie de la machine à propagande russe. On devrait refuser que ces gens-là nous prennent pour des idiots et de jouer leur jeu, car ils font tout le contraire de ce que ce forum de discussion prétend être. »

Cette version des faits n’est bien entendu pas celle des organisateurs du forum. Selon eux, il s’agissait avant tout d’une discussion ouverte entre experts servant au développement et à l’approfondissement des relations entre la République tchèque et la Russie, comme le précise Rudolf Jindrák, directeur du département en charge des affaires étrangères du Bureau du président de la République :

Rudolf Jindrák,  photo: MZV ČR
« Le rôle de l’Etat est de favoriser le débat et la mission de la diplomatie d’encourager la discussion entre différentes parties. Il n’est dans l’intérêt de personne de geler des relations avec qui que ce soit. Nous pensons que c’est quelque chose qu’il convient d’éviter. »

Et pour favoriser ce dialogue « dépolitisé », les sujets actuels délicats comme l’occupation de la Crimée ont été soigneusement évités, de même par exemple que le refus russe de rendre accessibles aux historiens tchèques certaines archives spéciales relatives notamment à la politique extérieure de l’ancienne URSS. Ainsi donc, ce forum de discussion aura peut-être surtout permis à ses participants tchèques et russes d’avoir la confirmation que les uns et les autres n’entretiennent pas tout à fait la même idée du contenu du mot même de discussion…