« Babitchka », un mythe pas facile à déboulonner

« Babitchka - Grand-mère », le chef d’oeuvre de Božena Němcová ne cesse d’intriguer et d’inspirer les artistes tchèques. Plusieurs fois porté aux grand et petit écrans, le livre a connu au cours de ces dernières décennies également plusieurs adaptations pour le théâtre. Evidement les artistes contemporains proposent souvent une lecture peu orthodoxe de cette image d’Epinal, lecture parfois ironique qui ne choque plus le public mais aurait choqué sans doute Božena Němcová, elle-même. La dernière adaptation de ce genre a été présentée, ce jeudi, au théâtre Studio Ypsilon de Prague.

Il est séduisant pour beaucoup d’hommes de théâtre de traiter d’une manière irrespectueuse un monument littéraire. Et Babitchka, c’en est un, c’est indiscutable. La romancière Božena Němcová, a écrit cette suite de tableaux de la vie campagnarde au milieu du XIXème, dans une période extrêmement difficile de sa vie. Ce portrait idéalisé de sa grand-mère lui a permis d’échapper au moins dans son for intérieur et dans le rêve aux déceptions de la vie sentimentale, à la misère et à la maladie. L’image ensoleillée de « babitchka », vieille femme qui observe d’un regard serein la vie autour d’elle et dont la seule présence sème le calme et le bien-être dans son entourage, accompagne les lecteurs tchèques depuis un siècle et demi et sa popularité ne se dément pas. Elle les aide à vivre comme elle a aidé à vivre son auteure.

Jana Synková  (babitchka) et Barbora Vyskočilová  (Barunka)
Dernièrement, c’est le metteur en scène et écrivain Arnošt Goldflam qui a décidé de présenter au public son interprétation de cette idylle campagnarde. Et comme il fallait s’y attendre, entre ses mains, « babitchka » a connu une curieuse transformation. Jiří Lábus, comédien qui campe plusieurs rôles dans ce spectacle, résume la méthode utilisée par Arnošt Goldflam au Studio Ypsilon pour rapprocher « Babitchka » au spectateur du XXIe siècle :

Jiří Lábus et Pavel Nový,  photo: CTK
«La trame du spectacle est basée sur l’histoire de Grand-mère que tout le monde connaît sans doute bien. Mais Arnošt Goldflam y a ajouté aussi très astucieusement des textes d’autres auteurs de littérature mondiale. Dans tout cela il n’y a donc rien de crispé, cela ne donne pas du tout l’impression que ces textes soient greffés sur le récit. Au contraire, ces ajouts se marient tout naturellement et tout logiquement avec le texte de Božena Němcová. »

Sous le regard amusé et ironique d’Arnošt Goldflam et dans l’interprétation de l’excellente comédienne Jana Synková, la grand-mère n’est plus ce personnage qui réussit à vaincre les résistances par la douceur et la sérénité mais une femme énergique qui n’hésite pas à hausser le ton pour imposer sa volonté. Ses propos, ces perles de la sagesse populaire, sont mis en cause et son respect des traditions fait obstacle à chaque manifestation de progrès. La grand-mère devient un personnage comique et les traits des autres personnages du spectacle sont exagérés jusqu’à la caricature.

Arnošt Goldflam  (au milieu),  photo: CTK
Le metteur en scène nous oblige à réviser les idées reçues sur l’oeuvre de Božena Němcová. Il affirme aimer beaucoup le livre mais il ne cesse de désabuser le spectateur, de confronter l’image littéraire avec la réalité crue de l’époque et les vies réelles et souvent décevantes des personnages idéalisés. « Je voulais que ce soit une comédie, parce que le monde est comme cela, souvent malgré notre volonté, » dit Arnošt Goldflam.

Le public rit et s’amuse mais il oubliera probablement vite cette tentative de désacraliser un mythe comme il a oublié de nombreuses tentatives précédentes. Le mythe de « Babitchka », cette personnification précieuse de la sincérité chaleureuse et de la sagesse populaire, fait depuis longtemps partie de notre subconscient et la légende finit toujours par éclipser la réalité.