Big Brother Awards : le ministre de l'Intérieur lauréat 2015

Milan Chovanec, photo: ČTK

Le ministre de l’Intérieur, la société de jouets Mattel, le ministère des Finances et la police de République tchèque ont désormais au moins un point commun : ils sont les lauréats de la onzième édition des Big Brother Awards, cérémonie organisée ce jeudi matin à Prague. Décernés depuis 2005 par l’ONG luridicum Remedium, ces prix distinguent les organismes publics ou privés ayant particulièrement œuvré à menacer les libertés individuelles et/ou la vie privée.

Big Brother Awards,  photo: ČTK
« Nous voulons simplement que les gens sachent qui les surveille et les risques liés à cette surveillance. Nous essayons de dénicher les sujets à propos desquels le public ne sait pas grand-chose. »

Jan Vobořil définit ainsi le rôle que l’association Iuridicum Remedium, dont il est le juriste, s’est assignée. L’année 2015 a été placée sous le signe de la collecte de données en masse sous différents prétextes, des bases de données personnelles dont l’utilisation par les autorités qui les constituent n’est pas toujours claire et sur lesquelles les citoyens « ne savent pratiquement rien » selon Jan Cibulka, qui travaille à la Radio publique tchèque et est membre du jury de l’anti-prix.

Les candidats se livrent bataille dans quatre catégories. Dans la catégorie des « plus grands fouineurs institutionnels sur le long terme », c’est donc la police tchèque qui a été mise à l’honneur pour le fonctionnement depuis 2001 de son système de contrôle automatique des véhicules tchèques. Jan Vobořil justifie :

Jan Vobořil,  photo: YouTube
« Ce système fonctionne de telle sorte que des points de contrôle avec des caméras, environ trois cents sur le territoire tchèque, permettent la prise de photo de tous les véhicules et la reconnaissance de leur plaque d’immatriculation. Ces enregistrements sont ensuite sauvegardés pour une durée pouvant aller jusqu’à un an. Ce qui justifie selon nous la remise de ce prix, c’est le fait qu’il s’agit d’une vaste collecte de données concernant tous les véhicules qu’ils aient pu commettre une infraction ou non ou qu’ils puissent être intéressants dans le cadre d’une enquête criminelle ou non. »

Dans le même ordre d’idée, le ministère des Finances et le ministre Andrej Babiš, déjà lauréats par le passé, ont reçu l’anti-prix du « plus grand fouineur institutionnel », en raison de l'amendement à la loi sur les assurances. La nouvelle législation prévoit en effet que les compagnies d’assurances transmettent les données personnelles de leurs clients au ministère…

Milan Chovanec,  photo: ČTK
Un autre membre du gouvernement figure au palmarès 2015 en la personne du ministre de l’Intérieur Milan Chovanec. Le social-démocrate s’est vu attribuer le titre dans la catégorie de la « déclaration Big Brother de l’année », des propos qui font suite à l’affaire de la diffusion de courriels personnels du chef du gouvernement Bohuslav Sobotka. Considérant la difficulté de la tâche de la police pour tracer les hackeurs, dont le site internet est basé aux Etats-Unis, Milan Chovanec déclarait au mois de janvier dernier dans le quotidien Lidové noviny :

« Si je disais que je souhaite que tous les utilisateurs d’Internet puissent être identifiés, tout le monde me tomberait dessus. Mais selon moi il est grand temps de lancer un débat sur la façon de suivre cette direction. »

Barbie,  photo: ČTK
Il n’y a cependant pas que des acteurs institutionnels à s’immiscer dans la vie privée des gens et à menacer leurs libertés. C’est en tout cas ce qu’estime le jury en remettant le prix « de la plus grande entreprise fouineuse ». Bravo donc au fabricant de jouet Mattel qui décroche le pompon 2015 pour son modèle « Hello Barbie », significativement surnommée « Barbie Stasi » par des médias allemands. La poupée est capable de dialoguer avec les enfants via à un système de reconnaissance vocale connecté à un serveur Mattel chargé de traiter ces données.

Avec la révolution numérique et les révélations autour des programmes de surveillance généralisée par des institutions étatiques comme la NSA aux Etats-Unis, Jan Vobořil ne doute pas que son anti-prix est promis à un grand avenir :

Photo: ČTK
« Evidemment, je pense qu’il y a aussi une situation sécuritaire qui fait que de plus en plus de personnes privilégient la sécurité, qu’elle soit réelle ou fantasmée. En conséquence de quoi ils sont beaucoup plus facilement susceptibles de faire l’objet d’une surveillance de la part d’un Etat. Donc je pense que cet anti-prix est de plus en plus justifié. »

S’il faut chercher du positif à tout cela, l’association luridicum Remedium le trouve du côté des organisations ou des acteurs qui œuvrent à la sauvegarde des libertés individuelles. En 2015, le jury a estimé que c’est le travail de l’Autrichien Max Schrems qui méritait d’être remarqué. Déjà récompensé par des prix similaires dans d’autres pays, l’activiste est à l’origine de l’invalidation d’un accord qui devait encadrer la façon dont les entreprises américaines pouvaient transférer des données d’utilisateurs européens.