Décoré par Vladimir Poutine, le chanteur Jaromír Nohavica sous le feu des critiques

Vladimir Poutine et Jaromír Nohavica, photo: ČTK/kremlin.ru

Le chansonnier tchèque, Jaromír Nohavica, s’est vu remettre, samedi, la médaille Pouchkine des mains de Vladimir Poutine. Cette distinction de l’Etat russe est attribuée depuis 1999 à ses citoyens ou à des personnalités étrangères pour leurs réalisations dans les arts et la culture, l'éducation, les sciences humaines et la littérature. Si les mérites artistiques du « Barde d’Ostrava » ne sont pas en cause, le fait qu’il ait accepté d’être distingué par le président russe, légitimant par là-même son régime, a suscité une vague de réprobation en République tchèque.

Vladimir Poutine et Jaromír Nohavica,  photo: ČTK/kremlin.ru

C’est dans une salle aux dorures rutilantes du Kremlin que Jaromír Nohavica a reçu la médaille Pouchkine, du nom du célèbre poète et romancier russe du XIXe siècle. Libor Dvořák est spécialiste de la Russie et commentateur à la Radio tchèque, il explique la nature de cette distinction :

« Je dirais que cette médaille n’est pas si connue que cela dans le contexte russe. Mais elle a une importance réelle parce qu’elle est remise à des personnes qui cultivent les échanges mutuels avec la Russie. Elle porte le nom du poète Pouchkine qui, comme Dostoïevski, Tchekhov et bien d’autres, est en quelque sorte un ambassadeur de la culture russe à l’étranger. Elle est donc importante en tant que telle, mais surtout dans l’aspect de propagande qu’elle représente. Il suffit de voir quelles autres personnalités tchèques ont été distinguées avant Nohavica… »

Avant lui ont été décorés l’ancien président de la République Václav Klaus en 2007 et le président de la Société tchéco-russe Jiří Klapka en mars dernier.

Alors que l’ancien président tchèque n’a jamais caché sa proximité avec Moscou, et malgré la russophilie de Jaromír Nohavica, son choix d’accepter d’être décoré par Vladimir Poutine reste pour certains un paradoxe, même si pas tout à fait une surprise non plus. Si des rumeurs de collaboration avec l’ancienne police politique communiste avaient circulé dès après la révolution de velours, c’est en 2006 que celle-ci a été confirmée, suite à un article de l’hebdomadaire Respekt, et l’aveu même de Jaromír Nohavica. L’an dernier, une photographie le montrant aux côtés du leader du parti d’extrême-droite SPD Tomio Okamura avait achevé de désespérer nombre de ses fans, tout comme lorsqu’il s’était vu honoré le 28 octobre 2017 par le président Miloš Zeman, connu lui aussi pour ses sympathies pro-russes.

Pourtant, dans les années 1980, les textes du chanteur et chansonnier tchèque, parlant de liberté, ont porté toute une génération sous le communisme. Interdit de concert à plusieurs reprises, Jaromír Nohavica a aussi traduit en tchèque le chanteur et auteur russe Vladimir Vyssotski, censuré par Moscou. Petr Fischer, rédacteur en chef de la station Vltava, revient sur l’ambivalence de sentiments que suscite le chanteur chez de nombreux Tchèques :

« Personne ne doute du fait qu’il ait mérité une telle distinction pour son œuvre poétique, son œuvre de traduction et de diffusion des chansons de Vladimir Vyssotski et Boulat Okoudjava. Il y a surtout ce sentiment d’incompréhension par rapport à ce qu’il était dans les années 1980 et le changement qui s’est opéré trente ans après. On se retrouve avec quelqu’un qui aide à légitimer un pouvoir en place, que ce soit en Tchéquie ou à l’étranger. C’est sans doute la plus grande déception pour ceux qui l’écoutaient dans les années 1980 et pour lesquels il était le symbole d’une petite résistance dans les limites de la loi. D’ailleurs souvent, même cette petite liberté lui a été retirée et il n’a pas pu chanter. C’est une étrange énergie morale qu’on sent ici, qui perdure, et c’est pour cette raison que les réactions critiques sont aussi fortes. »

Aujourd’hui, le nouveau fait d’armes du « Barde d’Ostrava » laisse une grande partie de ses admirateurs perplexes, entre ceux qui déclarent qu’ils n’écouteront plus jamais une de ses chansons et ceux qui estiment qu’il faut distinguer l’œuvre de l’artiste de sa personnalité … D’autres vont plus loin notamment en Pologne voisine, où Jaromír Nohavica est un chanteur adulé : fin octobre, la version polonaise du magazine Newsweek estimait que le Kremlin venait de faire l’acquisition d’un nouvel « idiot utile » à son service.