L'art exemplaire de Maria Tauberova

Maria Tauberova, photo: CTK

Je suis né dans une petite ville de Moravie du nord. A l'âge de 12 ans, j'ai eu l'occasion d'assister dans ma ville à un concert de plusieurs chanteurs du Théâtre national de Prague. Pour nous, c'était un événement. Parmi les chanteurs, il y avait aussi Maria Tauberova.

Maria Tauberova,  photo: CTK
A cette époque-là, elle était déjà presque quinquagénaire et j'étais étonné de voir qu'elle portait des lunettes, ce qui me semblait un peu décevant chez une cantatrice d'opéra. Mais tout cela a été vite oublié lorsqu'elle s'est mise à chanter. Le célèbre "air des clochettes" de "Lakmé" de Léo Delibes, dans lequel elle a mis en valeur sa virtuosité, m'a coupé le souffle. J'entends encore sa voix, chaleureuse dans le médium et cristalline dans les aigus, qui la prédestinait à des airs de colorature, mais qui faisait aussi merveille dans les rôles de soprano lyrique. Ce n'est que plus tard que j'ai su apprécier qu'elle n'utilisait pas cette voix extraordinaire comme un simple instrument de virtuosité, mais comme un moyen pour exprimer l'âme des héroïnes qu'elle incarnait et les subtilités de leur psychologie.

Elle est née en 1911 dans la ville de Vysoke Myto en Bohême, mais a passé sa jeunesse à Vienne. C'est d'abord dans la capitale autrichienne, puis plus tard à Milan, qu'elle a étudié le chant. Déjà en 1937, elle entrait au Théâtre national de Prague où elle allait incarner de beaux rôles: Suzanne dans "Les Noces de Figaro", la Reine de la Nuit dans "La Flûte enchantée", Gilda dans "Rigoletto", "La Traviatta", Zerbinetta dans "Ariane à Naxos" de Richard Strauss, mais aussi Marie dans "La Fiancée vendue" de Smetana, "Juliette" de Martinu ou "La Petite renarde rusée" de Janacek. Elle savait donner à ces personnages le charme, le tempérament et le lyrisme, mais aussi son humour irrésistible qui la faisait exceller dans les rôles comiques. Elle a chanté au Théâtre national pendant 37 ans et a fait ses adieux à la scène en 1973 en chantant Caroline dans "Les deux veuves" de Smetana, son rôle fétiche. Tout cela, c'est du passé. La semaine dernière, Maria Tauberova nous a quitté à l'âge de 92 ans. Grâce au disque, sa voix reste cependant avec nous et continue à nous montrer qu'il y a des talents qui ne naissent qu'une fois par siècle.