Le populiste Jaromír Soukup, magnat de la presse, crée un parti politique

Jaromír Soukup, photo: ČTK/Ondřej Deml

Propriétaire de deux groupes de presse, l’homme d’affaires et milliardaire Jaromír Soukup a annoncé cette semaine qu’il créait un parti politique. Ce n’est pas la première fois que ce magnat de la presse, proche de Miloš Zeman, s’essaye à la politique. Et ce n’est pas non plus la première fois qu’en Tchéquie on se retrouve face à un étrange mélange des genres entre le monde de la presse et celui de la politique.

Jaromír Soukup,  photo: ČTK/Ondřej Deml
En 2009, dans un entretien pour le quotidien Mladá fronta Dnes, Jaromír Soukup annonçait déjà la couleur : « appelez-moi Berlusconi », affirmait-il alors à la journaliste qui l’interrogeait sur son positionnement flou entre business et politique. Cette appellation qu’il revendique résonne particulièrement dans le contexte tchèque puisqu’à cet égard, il peut la disputer à une autre personnalité qui est souvent comparée à l’ancien président du Conseil italien : l’actuel Premier ministre Andrej Babiš, également propriétaire d’un groupe de presse.

Aujourd’hui âgé de 49 ans, Jaromír Soukup n’a jamais caché ses ambitions et pour les assouvir, il a mangé à presque tous les râteliers. Dès 2006, il finance la campagne électorale des Verts, alors menée par Martin Bursík, et participe à l’élaboration de leur programme économique. Il se retrouve même adjoint de la ministre de l’Education sous le second gouvernement Topolánek, puis candidate sans succès aux élections européennes de 2009, soutient plus tard le parti Affaires publiques et même l’ancien Premier ministre Jan Fischer lors de sa candidature – malheureuse – à la première présidentielle au suffrage direct.

Pendant ce temps, il continue à construire son empire de presse, et notamment en rachetant en 2012 la chaîne de télévision privée TV Barrandov qui devient très vite son canal de communication favori, comme le relève le politologue Petr Just :

« Il n’est pas seulement connu pour être le propriétaire de ce média, mais aussi comme un des protagonistes majeurs de plusieurs des émissions de la chaîne. Tous les jours, il anime pratiquement plusieurs émissions où il occupe le rôle de présentateur. Il est aussi responsable d’un talk-show régulier avec le président Zeman. Pour les téléspectateurs qui suivent cette chaîne, c’est un one-man show permanent. Donc le fait qu’il apparaisse à autant de reprises à la télé, chaque semaine, qu’il anime des émissions, politiques notamment, a attiré depuis longtemps l’attention de nombreux sociologues, politologues et journalistes qui estimaient que ce pourrait être un indice de ses futures ambitions politiques. »

Aujourd’hui, c’est donc un fait établi puisqu’il a d’ailleurs utilisé TV Barrandov pour annoncer la création de son parti, List Jaromír Soukup. Avec pour objectif, dit-il de « défendre les intérêts nationaux face aux politiciens corrompus et aux oligarques. » Une affirmation qui pourrait faire sourire tant son profil évoque justement celui d’un oligarque.

Rappelons à cet égard que l’un de ses deux groupes de presse, Empresa Media, dont dépend la chaîne de télévision TV Barrandov, avait fait parler d'elle il y a quelques années en raison de l'entrée au capital d'une entreprise énergétique chinoise. Celle-ci aurait retiré ses actifs depuis, mais certains observateurs des médias, dont le serveur HlídacíPes, estiment qu’Empresa Media serait toujours en partie sous contrôle chinois.

Miloš Zeman et Jaromír Soukup,  photo: TV Barrandov
Ces liens sont d’autant plus intéressants à relever quand on sait que TV Barrandov accueille régulièrement le président Miloš Zeman, qui n’a jamais caché ses sympathies pro-chinoises, dans un talk-show animé par Jaromír Soukup lui-même. Ce dernier avait activement soutenu le chef de l'Etat tchèque, lors de la dernière présidentielle, ce qui lui avait d’ailleurs valu cinq rappels à l'ordre du Conseil de l'audiovisuel. Il est également régulièrement critiqué pour, au travers de ses émissions, faire le jeu de l’extrême-droite et attiser les peurs en instrumentalisant des thèmes comme la crise migratoire ou l’islam.

Bref, Jaromír Soukup surfe sur une tendance où d’autres se sont déjà engouffrés selon Petr Just :

« Il vient avec des idées qui sont très proches des thèses de ceux qui se présentent comme des partis anti-système et ceux qui protestent contre l’actuelle élite politique. Il y a une certaine compétition dans cette partie du spectre politique. Le mouvement de Jaromír Soukup rejoint donc un terrain déjà bien peuplé par ceux qui se présentent comme des partis opposé à l’establishment. La compétition va donc être rude. »

Le parti de Jaromír Soukup fera-t-il pschitt ou va-t-il s’imposer sur cette partie de l’échiquier politique ? Une chose est sûre, Jaromír Soukup semble être « dans l’air du temps ». Et de nombreux observateurs estiment qu’en réalité le milliardaire vise bien plus haut, caressant l’idée de se présenter à la prochaine présidentielle en 2023.