L’école à la maison : comment élèves et professeurs tchèques traversent l’épreuve de l’isolement

Photo: SPŠ Ostrov

Fermées depuis le 11 mars, les écoles en République tchèque le resteront quelque temps encore. Beaucoup d’entre elles, notamment dans l’enseignement secondaire, ne rouvriront pas leurs portes avant la rentrée prochaine. Pour les autres, le ministre de l’Education, Robert Plaga, a annoncé cette semaine que cette réouverture se déroulerait par étapes, de concert avec le plan gouvernemental de déconfinement du pays. Comment, en cette période exceptionnelle, les enseignants tchèques continuent-ils à dispenser leurs cours et entretiennent-ils le lien avec leurs élèves ? Nous avons interrogé Kateřina Fexová, professeure de mathématiques et d’informatique au lycée professionnel d’Ostrov, en Bohême de l’Ouest.

Photo: SPŠ Ostrov
« Le dernier jour de cours, lorsque nous avons appris que les écoles seraient fermées dès le lendemain, mes collègues et moi avons donné aux élèves toutes sortes de matériaux à étudier, ainsi que des pistes où trouver des informations. Les premiers jours du confinement, nous avons renoué avec le travail fait jusqu’alors en classe en mettant en ligne sur le site de l’école des exercices, des consignes, des explications, ainsi que les premiers devoirs. »

« Pour ma part, j’envoie aux élèves mes explications d’un nouveau sujet en mathématiques, des liens vers des vidéos explicatives, des exemples modèles déjà élaborés et des devoirs. Je dois tout rédiger, tout ce que je leur dis normalement en cours, pour qu’ils comprennent bien. Evidemment, c’est un travail énorme pour les professeurs, mais c’est faisable. Il existe une multitude de vidéos éducatives sur Internet, certaines sont enregistrées par les enseignants eux-mêmes ou par des spécialistes. Certaines vidéos payantes sont désormais accessibles gratuitement. »

« Les enfants et les enseignants ont tous accès à de nombreuses plateformes et à d’autres sources numériques. Enseigner à distance est donc tout à fait possible. Mais ce qui pose beaucoup plus de problèmes, à mon sens, c’est l’isolement des élèves, l’absence de contact direct avec leurs camarades et les enseignants. »

Garder le lien avec les élèves est essentiel

Kateřina Fexová avec ses élèves,  photo: SPŠ Ostrov
Le lycée technique d’Ostrov accueille les jeunes pendant quatre ans. Kateřina y enseigne les maths et l’informatique aux élèves de la quatrième à la terminale. A la différence de certains élèves des écoles primaires et des collèges, les lycéens possèdent tous un ordinateur et, d’après la professeure, peu nombreux sont ceux qui décrochent pendant le confinement. Pour les motiver, et plus encore ne pas perdre le lien avec eux, Kateřina Fexová dispense autant qu’elle le peut des cours en ligne :

« Environ quinze jours après la fermeture des écoles, mes collègues et moi avons décidé d’utiliser une plateforme commune, pour partager les données et mettre en place des tests, non pas pour donner des notes aux enfants, mais pour avoir la certitude qu’ils travaillent bien. Cela nous permet de leur donner un retour dont ils ont besoin : il est important pour eux de voir les résultats de leur travail, d’avoir la confirmation qu’ils ont avancé et appris quelque chose de nouveau. »

Sur la plateforme choisie, les professeurs peuvent créer des classes virtuelles :

Kateřina Fexová,  photo: SPŠ Ostrov
« Lors de la première visioconférence, j’ai été très agréablement surprise par l’accueil chaleureux que m’ont réservé les élèves. Ils peuvent apprendre beaucoup de choses seuls, mais cela les rend passifs. Ce qui leur manque, c’est le retour immédiat, la communication en classe, le fait de rire ensemble... Nous avons passé le premier cours en ligne à bavarder. Ils voulaient avoir de mes nouvelles, puis ils m’ont raconté leurs difficultés à organiser leurs journées de travail. »

« Certains d’entre eux doivent s’occuper, pendant le confinement, de leurs petits frères et sœurs, ce qui leur prend aussi du temps. On s’aperçoit, une fois de plus, que l’école ne se limite pas à l’apprentissage, mais que c’est avant tout un espace de communication, où se construisent des liens sociaux. Je pense que la plupart des enseignants s’attèlent à créer des outils pour rester en contact avec leurs élèves. Parce que ça nous manque, à nous aussi ! »

Un bac inédit

Si la situation continue à évoluer positivement et que la République tchèque parvient à maîtriser la propagation du coronavirus, les futurs bacheliers pourront se rendre, dès le 11 mai prochain, de manière individuelle, dans leurs lycées pour préparer l’épreuve de la « maturita ». Ce baccalauréat inédit pourrait être organisé, dans des conditions sanitaires exceptionnelles, en juin. Kateřina Fexová s’en réjouit, malgré les difficultés imposées par la crise sanitaire :

Le baccalauréat 2018,  photo: SPŠ Ostrov
« Je m’attends à ce que les bacheliers soient encore plus stressés que d’habitude et mes collègues aussi d’ailleurs : il y en a plusieurs qui ont plus de 70 ans. Pour eux, ce sera risqué d’assister aux examens. Néanmoins, je suis persuadée que l’expérience d’un grand examen oral, passé devant une commission, a son importance pour les élèves. En plus, cet examen marque la fin d’une étape de leur vie. Même si cette année il faudra se passer des cérémonies, les élèves pourront dire adieu à leur école, et c’est bien. »

A la différence des lycéens et collégiens qui ne retrouveront les bancs de l’école qu’à la rentrée, les élèves du primaire, eux, pourront, si leurs parents le souhaitent, retourner en classe le 25 mai prochain. Cette réouverture suscite des interrogations, du fait que les enfants, qui seront répartis en petits groupes, devront respecter la distance sociale et porter un masque en dehors de la classe. Pour la professeure Kateřina Fexová, ce déconfinement des plus petits a toutefois son sens :

« Là encore, la fonction sociale de l’école est mise en valeur. En mars, les enfants ont quitté leurs établissements précipitamment. Ne serait-ce que le temps d’un mois, ils pourront revoir leurs camarades et leurs institutrices, terminer l’année scolaire en bonne et due forme. »

Les enfants gagnent en confiance

Photo: SPŠ Ostrov
Ce quotidien scolaire bouleversé aura-t-il néanmoins apporté quelque chose de positif, le fait que les pédagogues soient devenus plus à l’aise avec les outils numériques mis à part ? Kateřina est persuadée que oui :

« L’école n’est plus perçue comme une évidence. Pour la première fois, j’ai entendu dire mes élèves que le milieu scolaire leur manquait, qu’ils avaient hâte de retourner à l’école, qu’ils la trouvaient importante. Ils apprécient les consignes des enseignants, leur disponibilité, et savent les remercier, ce qu’ils ne faisaient pas avant. Comme les enfants doivent désormais réviser et se préparer beaucoup plus qu’avant, et de manière autonome, ils sont plus satisfaits de leur travail, ils ont plus confiance en eux. J’espère que cela perdurera… »