Les Indes galantes - une leçon d’humilité pour l’homme moderne

Teatro Nacional en Praga

L’opéra-ballet 'Les Indes galantes' de Jean-Philippe Rameau, donné samedi au Théâtre national de Prague, a été sans doute un des sommets de la Saison française en République tchèque, série d’une cinquantaine de manifestations organisées à l’occasion de la Présidence française de l’Union européenne. Avec cet opéra, le compositeur et son librettiste avaient proposé au spectateur du XVIIIe siècle un voyage autour du monde et l’avaient amené en Turquie, en Perse et aux colonies françaises d’Amérique. L’Institut français de Prague a invité pour l´occasion l’ensemble Les Arts florissants et son célèbre chef et fondateur, William Christie. L’œuvre a été présentée en version concert ce qui a permis aux artistes et à leur chef de déployer toutes les richesses de la partition créée par Rameau à l’apogée de son art. Parmi les chanteurs de cette production, Joao Fernandes, une basse au timbre somptueux et au rare talent dramatique. Il a expliqué au micro de Radio Prague ce que la musique de Rameau représentait pour lui :

«La vie. C’est un compositeur d’un instinct dramatique exceptionnel et qui démontre dans tous les caractères dramatiques qu’il a créé et dans les extraordinaires moments instrumentaux, la vie dans tous ses aspects, toutes les émotions, les bonnes et les mauvaises, toutes sortes d’intérêts entre les divers personnages, les haines, les amours, absolument tout. Vraiment la vie sur scène.»

Cette musique vous pose-t-elle beaucoup de difficultés techniques ?

«C’est effectivement une musique qui exige énormément de précision stylistique. Il faut donc connaître le style, qu’on apprend des gens avec lesquels on travaille, et qui ont aussi distillé le savoir de tous les livres qu’ils ont lu à ce sujet. Pour tous les ornements, il faut savoir quel est le bon goût, comment le faire, à quel moment, dans quelle partie de la mesure. Donc cela exige de la voix non seulement de l’ouverture et de l’ampleur à certains moments, parce que c’est assez lourdement orchestré, mais cela demande parfois aussi de ramener la voix à un filet pour pouvoir justement créer les ornements et les rendre extrêmement perceptibles au public.»

Nous savons que l’opéra 'Les Indes galantes' est beaucoup plus long et que c’est aussi un grand spectacle. Il y a des ballets, des décors, des figurants. Est-ce que cela ne vous manque pas quand vous interprétez cette oeuvre en version concert?

«Sincèrement non. Effectivement, c’est extrêmement agréable d’avoir absolument tout le monde et le spectacle avec tous ses éléments, mais il est vrai aussi que la musique en soi est tellement riche qu’on vit toutes ces images pendant qu’on les chante, pendant qu’on les entend. On les vit malgré l’absence des autres intervenants.»

Il y encore une autre dimension de cet opéra. Nous, spectateurs du XXIe siècle, sommes frappés par une certaine sympathie avec laquelle Rameau et son librettiste présentent les civilisations extra-européennes. Etes-vous sensible à tout cela ? On peut y entendre même une sorte d’appel contre le colonialisme…

«Exactement. J’ai été assez surpris pendant les répétitions, pendant que j’écoutais mes collègues travailler et j’entendaiss les mots, je me disais que c’était d’une modernité extraordinaire. Je pense notamment à ce concept que les colons sont venus pour déséquilibrer l’univers des peuples qu’ils ont occupés. Au XVIIIe siècle c’était une idée très moderne, car il était assez naturel à l’époque de considérer les peuples conquis comme des peuples inférieurs et par conséquent de sous-estimer toutes leurs richesses culturelles. Donc c’est intéressant et c’est aussi une leçon d’humilité pour l’homme moderne parce que l’on croit qu’on invente de nouveaux concepts, qu’on invente les nouvelles émotions, les nouvelles philosophies, et en fait c’est un cycle. Je crois qu’en tout temps, il y a eu des êtres humains d’une sagesse extraordinaire au sujet de leurs égaux, et d’autres qui ne l’ont pas eu.»

Chantez-vous aussi dans d’autres opéras de Rameau?

«Oui, j’adore. Heureusement, avec l’amitié et la complicité artistique que me voue William Christie j’ai été souvent invité pour faire du Rameau avec lui. J’ai notamment fait beaucoup de représentations de l’opéra 'Les Paladins' qui était aussi extrêmement divertissant. J’ai fait aussi plusieurs représentations des 'Indes galantes', dans des théâtres différents. C’est un compositeur que j’aime beaucoup.»