L’ONG tchèque People In Need indésirable en Russie

Photo: Člověk v tísni

Les employés de l’ONG tchèque People In Need (Člověk v tísni) sont désormais et officiellement persona non grata en Russie : la plus importante organisation humanitaire d’Europe centrale a été en effet classée la semaine dernière par le ministère russe de la Justice parmi les ONG qui ne peuvent plus travailler dans le pays, donc de facto interdite.

Šimon Pánek | Photo: David Sedlecký,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED
Ce n’est pas la première fois que les autorités russes interdisent les activités de People In Need dans la région. Très impliquée au début des années 2000 notamment en Tchétchénie, elle s’était vue retirer son autorisation durant l’été 2005, accusée de financer les indépendantistes tchétchènes considérés par Moscou comme des terroristes.

Pour l’emblématique directeur de l’ONG, Šimon Pánek, cette nouvelle interdiction est un peu l’hommage du vice à la vertu : « Avec un peu d'humour, on pourrait dire qu'il s'agit d'une reconnaissance du travail que nous accomplissons, » a-t-il déclaré après l’annonce de la nouvelle qui n’était guère une surprise pour l’ONG :

« Nous nous attendions un peu à cela. Par contre, nous ne nous attendions pas à devoir limiter nos activités. C’est exactement ce que le pouvoir russe veut : étouffer la société civile, la couper de tout soutien moral, de tout contact avec l’étranger. Si nous avions anticipé la chose en limitant volontairement nos activités au préalable, nous serions allés à l’encontre de notre vocation, c’est-à-dire soutenir les militants, les bloggeurs, les étudiants, les enseignants qui défendent les droits de l’Homme, les libertés fondamentales, la liberté d’expression, la liberté de manifester etc. »

Dix-huit autres organisations internationales sont également sur cette liste noire dressée par les autorités russes. Le chef de la diplomatie tchèque a immédiatement réagi via son compte Twitter, qualifiant la mesure d’« absurde » : « L'interdiction d'une organisation pour les droits de l'Homme témoigne de l'état des droits de l'Homme dans le pays. Je vais demander des explications », a écrit Tomáš Petříček, ajoutant qu'il allait convoquer l'ambassadeur russe à ce sujet, à son retour d’Ethiopie.

Des explications qui, au final, n’intéressent guère Šimon Pánek:

Photo: Člověk v tísni
« Je ne suis pas sûr qu’il y ait l’une ou l’autre raison en particulier. Nous travaillons en Russie depuis dix ans, et je n’ai même pas particulièrement envie de perdre du temps à chercher des théories. Le gouvernement russe n’apprécie ni le journalisme citoyen, ni nos activités de lutte contre la corruption ou notre travail dans le nord du Caucase, en Tchétchénie ou ailleurs où les droits fondamentaux sont bafoués. Mais quel a été le déclencheur ? Je ne sais pas et je ne vais pas chercher à le savoir. »

Entre autres activités, People In Need est très engagé dans le soutien aux défenseurs des droits de l’Homme, et notamment de l’organisation Memorial et de son directeur Oïoub Titiev, détenteur du prix Václav Havel 2018. Ce dernier a été condamné à quatre ans de colonie pénitentiaire et 100 000 roubles d’amende (1 350 euros) pour « acquisition, détention, et stockage de stupéfiants ». 200 grammes de marijuana avaient été trouvés dans sa voiture dans une affaire fabriquée de toutes pièces, selon ses nombreux soutiens russes et internationaux. En liberté conditionnelle depuis juin dernier, il a passé dix-huit mois derrière les barreaux.

L’ONG tchèque n’a eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme sur la campagne menée par les autorités russes contre les organisations non-gouvernementales locales et sur les violations récurrentes des droits de l’Homme en lien avec l’annexion de la Crimée et le conflit dans l’est de l’Ukraine.

L’annonce sur le site du ministère russe de la Justice,  photo: Le Ministère russe de la Justice
Aujourd’hui, donc, l’ONG People In Need se retrouve à nouveau dans la position d’indésirable en Russie :

« Pour l’instant, nous avons donc dû arrêter nos activités de soutien envers nos partenaires et amis, afin de ne pas les mettre en danger. Mais cela ne signifie absolument pas que nous voulions définitivement mettre un terme à notre travail en Russie, car cela signifierait que nous nous conformons à des lois répressives qui sont également dirigées contre la société civile russe. »

Après l’interdiction de l’ONG en 2005, l’organisation avait été à nouveau autorisée à travailler en Russie deux ans plus tard.