Louis Garrel : « Le cinéma tchèque, c’est Miloš Forman »

Louis Garrel, photo: Febiofest

L’acteur et réalisateur français Louis Garrel était à Prague, dans le cadre du festival Febiofest, pour présenter son deuxième long-métrage, L’Homme fidèle (Věrní nevěrní en tchèque) dont il a co-écrit le scénario avec le légendaire Jean-Claude Carrière. Avant d’évoquer son lien à Prague et au cinéma de Miloš Forman, Louis Garrel est revenu au micro de Radio Prague sur la façon dont il a choisi de prendre de court le spectateur, avec son film : si au premier abord, L’Homme fidèle se présente comme un classique triangle amoureux à la française, très vite, l’histoire se déploie dans un réjouissant mélange des genres.

Louis Garrel,  photo: Febiofest
« Le film me semble être un jeu constant entre ce qu’on attend d’un film français et ce qu’on n’aime pas d’un film français, et en même temps ce qui nous charme dans un film français. On a donc un triangle amoureux, qui est plutôt un rectangle en raison du personnage du petit garçon. Le film commence quasiment comme un cliché français, avec la Tour Eiffel et une première scène qui, à mon avis, déroute d’emblée. »

« Avec Jean-Claude Carrière, comme il a écrit des dizaines de scripts, l’idée était de partir d’un cliché, d’arriver à faire une étude amoureuse qui soit surprenante et de fabriquer chaque scène comme une surprise. Comme Jean-Claude et moi on partage un certain sens de l’humour et qu’on rigole bien ensemble, on voulait que le film soit aussi comique. Les gens ont souvent du mal à le définir, et moi aussi. Le film est-il plutôt un drame, une tragédie, une comédie dramatique, un drame burlesque ou un film à suspense ? Tout cela est mélangé avec une histoire très simple qui pourrait arriver à n’importe qui. »

'L'Homme fidèle',  photo: Febiofest
« Mais on voulait que chaque scène soit une surprise donc c’est à cela qu’on a travaillé le plus. Quand on commence comme metteur en scène, on oublie que le spectateur est très rapide. Quand le film commence, il joue, sans même le savoir, avec les scènes et les anticipe. Donc nous avons essayé d’anticiper ce que le spectateur allait se dire et d’avoir une longueur d’avance sur lui. »

Vous indiquez dans le générique du début, Mise en scène par Louis Garrel, et non pas réalisation comme c’est habituel. Vous envisagez le film comme du théâtre ?

« Je viens du théâtre et j’aime l’expression ‘mise en scène’. Quand je voyais mon maître, Luc Bondy, faire ses pièces de théâtre, prenant des pièces qu’il n’avait pas forcément écrites, et parvenir à être juste, à trouver des gestes vrais, j’avais plaisir à voir des acteurs avoir des gestes faux et lui qui arrivait à les accorder. Il arrivait à rendre une sorte de vérité. Donc mise en scène est pour moi une expression que je trouve plus adaptée que réalisation, qui est un mot que je trouve bizarre. »

Vous utilisez trois voix off dans le film, pour les trois personnages principaux, sauf pour le petit garçon…

« … on a essayé de faire une voix off avec lui, mais on trouvait ça bizarre. C’était trop adulte et ça ne marchait pas avec le petit garçon. »

Pourquoi avoir recours à ce ressort dramatique ?

« Ce qui est compliqué avec Jean-Claude, c’est qu’il faut le challenger comme il a écrit des dizaines et des dizaines de scénarios. Il a visité toutes sortes d’histoires. Un jour il m’a dit : ‘je n’ai jamais écrit plusieurs voix off dans un scénario.’ Cela l’intéressait donc et pour moi, c’est quasiment une sorte d’hommage à la littérature. J’aime la voix off au cinéma aussi parce que je suis fan de Truffaut qui faisait des films comme un écrivain raté. Musicalement et stylistiquement, la voix off est quelque chose qui me plaît et qui permet de faire des ellipses plus rapides. Cela permet de raconter en une phrase ce que parfois des metteurs en scène font en cinq minutes alors que ce n’est pas si intéressant que cela. »

Comme vous le disiez, vous avez co-écrit le scénario de ce film avec le légendaire Jean-Claude Carrière. Comment s’est passée cette collaboration ? Et je rappelle que déjà pour votre premier long-métrage vous aviez travaillé avec Christophe Honoré. Que vous apporte cette création avec vos aînés en cinéma ?

Jean-Claude Carrière,  photo: Roman Bonnefoy,  CC BY-SA 3.0
« Avec Jean-Claude, un jour je lui ai soumis le scénario de mon premier film. Il lit toujours les scénarios à haute voix donc c’est ce qu’on a fait. Il m’a demandé quel problème j’avais. Je lui ai dit que j’avais deux personnages qui parlent et que c’était un peu plat. Il m’a dit de rajouter une troisième personne ce que j’ai fait. Ensuite, quand j’ai présenté le film à Cannes, dans le cadre de la Semaine de la critique, la scène est devenue super comique. Tout le monde s’est marré et je me suis dit : il est fort ! Avec une toute petite idée, il avait réussi à déporter l’attention sur autre chose et la scène devenait plus vivante. Donc je suis allé le voir pour écrire ce deuxième film avec lui. Il savait dès le début que je jouerais dedans. Il m’a dit que ça lui rappelait son premier travail avec Pierre Etaix qui était un clown et qui mettait en scène des films dans lesquels il jouait. Le plaisir de Jean-Claude, c’était d’écrire des scènes et que je les joue devant lui. »

« Ce qui est bien avec Jean-Claude, c’est qu’il est sec. Il a fallu faire un travail là-dessus parce qu’il déteste la psychologie. Il me disait d’arrêter d’essayer de tout expliquer, qu’il fallait être brut quand on écrit. C’était donc un mélange entre moi qui suis très, voire trop sentimental et lui qui est trop sec. »

« Christophe, c’est différent. On nage lui et moi dans le même genre de cinéphilie. Mon film précédent, Les Deux amis, pourrait être un disciple d’Eustache en étant bien moins bien que La Maman et la putain, avec des gens qui se livrent énormément, qui se disent les choses. Ce deuxième film est beaucoup plus sec, bizarrement, et il n’y a pas d’épanchements sentimentaux. »

Votre film est un mélange des genres. Et c’est assez repérable à un détail, les prénoms des personnages : il y a d’un côté Marianne, Abel, Eve, des prénoms très classiques, bibliques, sophistiqués, et de l’autre le fameux docteur Pivoine qui fait penser à un personnage du jeu Cluedo…

'L'Homme fidèle',  photo: Febiofest
« C’était comme cela le jeu. Il fallait essayer de changer de genre de film pour, une fois encore, essayer de dérouter le spectateur. Les gens se disent qu’il s’agit d’une comédie dramatique et finalement voilà que c’est un film comique, et puis non, finalement c’est un film policier. C’est vrai que beaucoup de gens m’ont demandé pourquoi les personnages principaux s’appelaient Abel, Marianne etc. J’aimerais leur répondre que tout a été étudié depuis le départ mais ce n’est que le fruit du hasard. Marianne, c’est peut-être inconsciemment parce que Laetitia (Casta, ndlr) a servi de modèle de la Marianne en France. Abel, c’est parce que mon premier personnage s’appelait ainsi. Je copie Desplechin qui lui-même copie Philip Roth en donnant le même nom à ses personnages de films. Eve, c’était plus une citation du film éponyme de Mankiewicz, avec le personnage d’une jeune innocente qui vient mettre le bazar dans une histoire. »

Vous avez un lien à Prague. Vous parliez d’Arnaud Desplechin qui était là l’an dernier, également dans le cadre du festival Febiofest, et dont une partie du film Les Fantômes d’Ismaël avait été tourné à Prague, avec vous-même. Il m’avait alors dit : ‘Quand une scène se passe à Prague, c’est romanesque’. Etes-vous d’accord avec cette affirmation ?

« Nous sommes venus tourner une semaine à Prague en effet. Dans son film, je jouais un personnage dont on ne savait pas s’il était espion ou non. Etait-il un agent double ou simple ? Dans l’imaginaire collectif, Prague va de pair avec l’espionnage, les agents secrets… C’est la guerre froide ! »

Miloš Forman | Photo: Alinoe,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0
« Pour moi, Prague, c’est avant tout la ville de Miloš Forman. Jean-Claude Carrière qui a travaillé avec lui m’a donc beaucoup parlé de Prague. Il y a quelques jours, quand je lui ai dit que je venais, il m’a raconté une anecdote : ‘en 1968, quand on écrivait à Paris avec Miloš, c’était le bordel, on n’arrivait pas à se concentrer. On s’est dit qu’on allait aller au calme à Prague, et voilà que les chars russes débarquent. C’était le bordel partout !’ »

Vous revendiquez une certaine filiation avec la nouvelle vague française. Qu’en est-il de la nouvelle vague du cinéma tchécoslovaque justement ?

« Je ne la connais pas énormément. Mais je me souviens être allé voir à 18 ans L’As de pique, Au feu les pompiers et Les Amours d’une blonde. Ça m’a complètement fasciné. Dans Les Amours d’une blonde, il y a cette scène où ils sont au lit et le héros dit à la jeune femme nue qu’elle est comme une guitare. Je me suis dit : quel grand metteur en scène ! Je n’ai jamais rencontré Miloš Forman, même si j’ai joué dans Les Bien-aimés de Christophe Honoré où il jouait le mari de Catherine Deneuve. Je crois que c’est pour cela qu’il avait accepté le rôle ! J’ai donc une espèce de fascination pour lui. Un des films que je préfère au monde, c’est Amadeus, un film d’époque, tourné en anglais et non pas en allemand, sur Mozart… Cela fait partie de ces premiers films qui nous restent à vie, comme des expériences de rêves géniaux. Donc le cinéma tchèque, pour moi, c’est beaucoup Miloš Forman. »