Mort de Jan Masaryk : un enregistrement audio inédit pourrait permettre de rouvrir l’enquête

Ян Масарик, фото: АPF ČR

Le ministre des Affaires étrangères Jan Masaryk, fils du premier président tchécoslovaque Tomáš G. Masaryk, s’est-il suicidé ou a-t-il été assassiné en mars 1948, soit quelques jours après le putsch communiste ? Un enregistrement audio inédit de 1968, obtenu par la Radio publique tchèque, met en lumière de nouveaux éléments sur cette question, jamais totalement élucidée.

Le matin du 10 mars 1948,  le corps sans vie de Jan Masaryk est retrouvé au pied de la salle de bain de son appartement de fonction,  au ministère des Affaires étrangères,  photo: Centrum pro dokumentaci totalitních režimů
Ce matin du 10 mars 1948, le corps sans vie de Jan Masaryk est retrouvé au pied de la salle de bain de son appartement de fonction, au ministère des Affaires étrangères. La version officielle du nouveau régime est claire : le chef de la diplomatie tchécoslovaque, souffrant de dépression et d’insomnie, s’est suicidé. Pourtant dès le début, le décès du fils du fondateur de la Tchécoslovaquie indépendante est entouré de mystère, certains estimant qu’il s’agit là d’un assassinat politique dans le contexte tendu de l’arrivée au pouvoir du Parti communiste.

L’enregistrement audio inédit obtenu par la Radio tchèque est celui de Vilibald Hofmann, un des premiers agents de police à avoir examiné le corps de Jan Masaryk. En 1968, en plein Printemps de Prague, il est appelé à témoigner par le procureur général qui souhaite rouvrir l’enquête. On lui fait voir des photos prises en ce jour funeste du mois de mars 1948. Vilibald Hoffmann semble être ressorti passablement dépité de cet interrogatoire et décide alors d’enregistrer son témoignage alors qu’il est en visite chez sa cousine. Agé de 95 ans aujourd’hui, le mari de cette dernière, Jindřich Grulich, s’est rappelé des circonstances au micro de la Radio tchèque :

Jindřich Grulich,  photo: Pavel Carbol
« Ils (au bureau du procureur, ndlr) lui ont demandé s’il avait vu Masaryk au sol. Ils ont dit : ‘Est-ce que vous avez remarqué que la scène était photographiée ?’ Vilibald Hofmann a alors pensé que s’il répondait non, ils ne lui montreraient rien, donc il a dit qu’il le supposait. Quand ils lui ont montré une photo, il a immédiatement pensé : ‘Ce n’est pas la photo originale. Elle a été trafiquée’. Il a tout de suite été convaincu que ça avait été fait plus tard. »

Dans ce témoignage oral enregistré vingt ans après les faits, qui diffère du rapport qu’il a rédigé le jour même et des rapports officiels de l’époque, Vilibald Hofmann estime qu’il existe des disparités entre la disposition du corps lors de son arrivée sur place, et les photos officielles. Dans le cercle fermé de sa famille, l’ancien agent pouvait sans doute exprimer plus librement sa pensée, et raconter ce qu’il avait réellement vu, et non pas ce qu’il était censé voir.

L’image de Vilibald Hofmann et l’enregistrement audio,  photo: Tereza Šťastná,  ČRo
Au cours des vingt minutes d’enregistrement, il se souvient également du premier médecin appelé pour examiner le corps de Jan Masaryk, et qui avait estimé l’heure du décès à quatre, voire six heures plus tôt. Une conclusion qui était en contradiction avec les résultats de l’autopsie qui avait suivi et avec la version délivrée plus tard par les autorités communistes. Ce docteur Teplý sera d’ailleurs retrouvé mort quelques temps après, dans des circonstances tout aussi opaques.

Václava Jandečková est historienne et l’auteure d’un livre sur la mort de Jan Masaryk. Elle est la première chercheuse à avoir écouté l’enregistrement, cinquante ans plus tard :

Jan Masaryk | Photo: Archives de ČRo
« Cet enregistrement est vraiment intéressant. Vilibald Hofmann y décrit tous les événements de ce matin du 10 mars. Il attire l’attention sur des détails qui devraient nous faire réfléchir sur la réalité de ce qui s’est passé ou non. Il décrit également la manière dont a été examiné le corps. Il dit également avoir dû signer des papiers affirmant qu’aucun document n’avait été retrouvé sur place, ce qui n’était pas vrai… »

En 2004, la police tchèque a clos le dossier, proposant une nouvelle conclusion : au moins une personne aurait été présente et aurait contribué à la chute du député démocrate de la fenêtre de sa salle de bain. Mais sans l’ouverture des anciennes archives soviétiques sur le sujet, difficile de rendre un verdict incontestable.

Aujourd’hui, l’historienne Václava Jandečková a déposé une demande au bureau du procureur de Prague, afin que soit rouverte l’enquête sur une des morts les plus mystérieuses de l’histoire tchèque du XXe siècle.