Nadine Beaulieu : « En tant que chorégraphe, j’essaye d’habiter les espaces intermédiaires »

Nadine Beaulieu, photo: YouTube

Animer une exposition de sculptures par une intervention de danse contemporaine. Tel est le défi qui sera relevé par trois performers tchèques jeudi et dimanche, après le travail mené en collaboration avec la chorégraphe et danseuse française Nadine Beaulieu, invitée à Prague par l’association SE.S.TA fondée par Marie Kinský, et par la Galerie de la ville de Prague. Les trois performers évolueront, le temps d’une intervention in situ, dans le cadre de l’exposition d’œuvres plastiques tchèques datant de 1880-1914. Rencontre avec Nadine Beaulieu.

Marie Kinsky,  photo: ČT24
« Je suis venue à l’invitation de Marie Kinský. Ce n’est pas la première fois que je travaille dans un lieu atypique. C’est vrai qu’avec la compagnie ont fait beaucoup de travail de plateau. Mais par ailleurs, j’ai plaisir et je trouve du sens à aller dans des endroits où le public ne va pas forcément voir de la danse. J’aime bien exporter ça. »

Cette exposition et par là-même la performance donnée à trois reprises, s’appelle « Figures agitées » et traite de l’expression dans la sculpture tchèque et française, au tournant des XIXe-XXe siècles. Comment articulez-vous le travail chorégraphique que vous préparez avec trois performers tchèques et l’espace, l’exposition ?

« J’ai beaucoup regardé les sculptures depuis chez moi avant de venir. En fait il me manquait l’essentiel à savoir le lieu, l’atmosphère, même globalement, celle de Prague, et les danseurs. Je m’intéresse du coup à la posture physique, dynamique, et j’ai posé la question à Marie, je lui ai demandé de me traduire le titre tchèque en anglais, qui donne ‘Restless figures’. Figures agitées : on a un peu tourné en rond… En anglais, ‘restless’, signifie ‘qui ne se pose pas’. Je suppose que ça correspond à une période d’agitation d’avant la Première guerre. Je pense que c’est une période où on bouscule, une période de préparation de quelque chose… »

D’ailleurs, dans le titre tchèque ‘Neklidná figura’, ‘neklidná’ signifie ‘inquiète’…

Photo: Cie Nadine Beaulieu
« Oui… Et ce qui m’intéresse à titre personnel, c’est que je l’articule sur la question de la fragilité et du doute. J’aime l’idée qu’on n’est pas dans des postures figées, définies, définitives. J’aime bien la question de l’entre-deux. Ce qui me caractérise en tant que chorégraphe, c’est d’essayer d’habiter les espaces intermédiaires, ce que j’appelle les ‘entre’. Ce sont des espaces de doute, c’est là où les choses nous échappent le plus et là aussi où l’on rencontre l’humain. J’aime bien aller creuser, et c’est ce que je fais avec ces performers, aller chercher en profondeur dans les corps. Je connais Prague depuis un certain nombre d’années et je trouve que les corps dans la rue changent. J’ai l’impression qu’ils se relèvent. Dans cette exposition, j’observe qu’il y a beaucoup de sculptures où les personnages sont penchés vers l’avant, il y a un poids. Ce sont des choses dont on a beaucoup parlé avec les performers : j’ai été surprise de voir que le passé, l’histoire de la Tchéquie était encore très présent dans leurs esprits. »

Est-ce que la préparation de cette intervention in situ est basée sur de la préparation en amont, mais aussi sur de l’improvisation de la part des performers ?

Nadine Beaulieu,  photo: YouTube
« En ce qui concerne la façon dont je travaille, à la fois avec mes danseurs dans la compagnie et des performers dans le cadre de compositions hors plateau, j’aime beaucoup donner un cadre, parfois très serré, avec beaucoup de contraintes. Je trouve que la contrainte est génératrice de beaucoup de créativité. Avec ces performers, nous avons énormément parlé. Je trouvais important de placer le travail à l’endroit de la relation. Je pense que je suis une artiste de liaison. Ça m’intéresse de faire des liens, que ce soit des liens humains, ou entre les périodes, des liens philosophiques, politiques… Je me nourris de ce que sont les performers. Je sens que nous avons une histoire différente et en même temps, l’endroit où l’on se rencontre est celui de l’humain. Il y a un mot qui me plaît beaucoup, celui de ‘sobriété’. Je trouve qu’on est très agités encore aujourd’hui. Le nom de cette exposition convient très bien à notre époque. On est dans une période de beaucoup d’agitation. J’avais envie, avec ces performers, qu’on se rencontre à l’endroit de l’humain, qu’on rencontre le public à l’endroit d’une grande respiration commune pour revenir à des choses essentielles. J’ai donc proposé aux performers un cadre assez serré dans lequel ils improvisent. »

Les trois interventions ont lieu à la Galerie de la ville de Prague, dans le bâtiment de la Bibliothèque municipale, ce jeudi à 18h, et ce dimanche à 15h30 et 18h.