Peinture : « Pour Kamil Lhoták, les motos étaient des êtres vivants »

Dessin de Kamil Lhoták, photo: Spolek přátel Kamila Lhotáka

L’œuvre de Kamil Lhoták a fait l’objet de deux rétrospectives dans un passé récent, à Prague puis à Hluboká nad Vltavou (Bohême du Sud), preuve de l’intérêt porté par le public à ce grand peintre tchèque du XXe siècle. L’inauguration récente d’une plaque commémorative sur l’immeuble pragois où l’artiste a vécu entre 1940 et 1962 est l’occasion de rappeler les grandes lignes de sa vie ainsi que ses thèmes de prédilection.

Dessin de Kamil Lhoták,  photo: Spolek přátel Kamila Lhotáka

Evžen Škňouřil et moto Scott,  photo: Anaïs Raimbault
Né en 1912 dans le quartier de Holešovice, Kamil Lhoták est décédé en 1990, à Prague également. Pour Evžen Škňouřil, président de l’Association des amis de Kamil Lhoták, l’artiste a traversé cinq périodes très diverses durant sa vie :

« Il a eu une vie intéressante, car il a connu cinq régimes différents : né sous l’Empire austro-hongrois, il a connu la Première Guerre mondiale. Puis il a fait ses études de droit pendant la Première république tchécoslovaque, avant de devenir membre du Groupe 42, un collectif d’artistes qui a par exemple publié la première nouvelle érotique en Tchécoslovaquie, une activité pour laquelle ses membres auraient d’ailleurs pu être emprisonnés. Kamil Lhoták a ensuite adhéré aux idéaux communistes, mais lorsqu’il a compris de quoi il s’agissait, en 1945, il les a abandonnés. Les communistes, eux, ne l’ont toutefois pas oublié puisqu’il a par la suite été frappé d’une interdiction d’exposition de cinq ans. »

Le fils de Kamil Lhoták, qui s’appelle lui aussi Kamil Lhoták, évoque les années passées au numéro 54 de la rue Terronská, dans le quartier de Dejvice :

Martin Dašek et le fils de Kamil Lhoták,  photo: Anaïs Raimbault
« J’ai habité dans cet immeuble depuis ma naissance jusqu’au jeudi 1er septembre 1960, lorsque je suis parti à l’armée, à Brno. J’y ai donc vécu de bons et de moins bons moments, mais je suis le seul responsable de ces mauvais moments, qui étaient la conséquence du fait que je n’apprenais pas bien à l’école, que j’y étais dissipé, que j’en revenais avec des avertissements dans mon carnet de correspondance, et ça, c’était toujours une tragédie. Mais pour mon père, le problème ne durait jamais bien longtemps : lorsque les choses allaient mal, il m’engueulait un bon coup ou me filait une paire de baffes, puis il me tendait la main pour m’indiquer que nous étions à nouveau amis. Mon père n’appréciait pas les longues disputes. »

Plaque commémorative à la rue Terronská 54,  photo: Martin Dašek

Très inspiré depuis son enfance par Jules Verne, Kamil Lhoták avait un univers bien à lui. Ainsi ses tableaux et dessins se caractérisent souvent par la présence de montgolfières et d’autres inventions techniques qui le fascinaient. Le sculpteur et médailleur Martin Dašek, qui est l’auteur de la plaque commémorative en bronze nouvellement installée à Dejvice, nous explique quels éléments il a choisi d’y faire figurer :

Martin Dašek et le fils de Kamil Lhoták,  photo: Anaïs Raimbault
« Sur cette plaque, on peut voir Kamil Lhoták faisant démarrer sa moto, qui est de la marque Scott. À l’arrière-plan se trouve un motif d’aéroport, que Kamil Lhoták représentait très souvent dans ses tableaux. On y voit une manche à air, qui indique la direction et la vitesse du vent, ainsi qu’un cône délimitant la piste d’atterrissage, et dans le fond une palissade en bois, que l’on retrouve également très souvent sur ses dessins. D’une façon générale, il recourait énormément à des motifs renvoyant à la période de la révolution industrielle, des pionniers de l’aviation, de l’automobilisme, du motocyclisme. »

« Pour ma part, je ne souhaitais pas créer une plaque classique, avec seulement un portrait et un texte. Je voulais penser cette plaque différemment. J’ai donc étudié dans le détail des documents à propos de Kamil Lhoták, et dans le livre écrit par son fils (‘Mon père Kamil Lhoták’), j’ai lu que lorsqu’il dessinait ou peignait des motos, il ne considérait pas qu’il dessinait ou peignait une chose, mais qu’il réalisait le portrait de cette moto. Il considérait donc la moto comme un être vivant, car chaque moto a son âme, sa personnalité propre. De cette même façon, je n’ai donc pas réalisé un portrait visuel de Kamil Lhoták, mais le portrait de sa personnalité, largement projetée dans ces motos. »

Dessin de Kamil Lhoták,  photo: Spolek přátel Kamila Lhotáka
Avec près de 200 expositions organisées depuis 1939, reste-t-il encore des œuvres de Kamil Lhoták à découvrir ? Evžen Škňouřil en est persuadé :

« C’est fort possible. J’ai par exemple découvert une collection de cinq nouvelles, dont seules trois sont complètes. Nous en préparons une publication, qui serait accompagnée des illustrations de Kamil Lhoták. Et puis Kamil Lhoták a écrit deux scénarios de courts métrages, ou plutôt de films d’animation, qui n’ont pas encore été réalisés et qui se trouvent aux Archives cinématographiques tchèques. C’est également un de nos projets, à condition de trouver quelqu’un pour le financer. Enfin, nous souhaitons mettre en place une campagne de financement participatif pour récolter des fonds pour tourner un long métrage sur la vie et l’œuvre de Kamil Lhoták. »

L’Association des amis de Kamil Lhoták ne manque ainsi donc pas de projets. En attendant que ceux-ci se concrétisent, les impatients sont invités à visiter les expositions thématiques d’œuvres de l’artiste organisées dans les locaux de l’association, au numéro 21 de la place Venceslas.