Retour au pays du cardinal Beran, celui qui « portait les Tchèques dans son cœur »

Josef Beran, photo: ČT24

Presque cinquante ans après sa mort, la dépouille du cardinal Josef Beran est rapatriée ce vendredi de Rome, où le primat tchèque a vécu pendant quatre années d’exil forcé. Conformément à sa volonté, Josef Beran sera enterré, lundi prochain, dans la cathédrale Saint-Guy à Prague. Tout au long du week-end, les Tchèques rendent hommage à cet ancien déporté du camp nazi de Dachau, devenu malgré lui le symbole de l’opposition au régime communiste. Portrait.

Josef Beran,  photo: ČT24
« Lorsque Monsieur le nonce apostolique est venu m’annoncer que le Saint-Père m’avait nommé archevêque, je lui ai dit : ‘Votre Excellence, je suis trop petit pour occuper un tel poste…’ Amusé, il m’a répondu : ‘Mais vous connaissez les cardinaux à Rome, certains d’entre eux sont encore plus petits que vous ! »

Cet homme de petite taille, né en 1888 à Plzeň, d’un père instituteur, cet homme doux, gentil, empathique et chaleureux, mais intransigeant dans ses positions, inspirait une grande crainte aux autorités communistes. Recteur du séminaire archiépiscopal à Prague-Dejvice, Josef Beran est déporté en 1942 d’abord à Terezín puis à Dachau, après avoir célébré une messe pour les ecclésiastiques emprisonnés par les nazis. Rescapé de la guerre, il est nommé archevêque de Prague en 1946. L’événement est alors encore largement commenté dans les médias tchécoslovaques.

Quatorze ans d’internement secret

Peu à peu, le parti communiste monte en puissance en Tchécoslovaquie. Josef Beran est bien conscient du danger que cette évolution représente tant pour l’Eglise que pour la société. Chercheuse à l’Institut d’étude des régimes totalitaires, Stanislava Vodičková précise :

« En février 1947, l’archevêque Josef Beran a effectué son premier voyage à Rome. Reçu en audience par le pape Pie XII, il a sollicité la création d’une section tchécoslovaque à Radio Vatican. A cette époque, de nombreux périodiques catholiques avaient déjà été interdits en Tchécoslovaquie et la radio nationale ne diffusait plus d’émissions chrétiennes. Le cardinal a donc souhaité l’ouverture d’un studio à l’étranger qui permettrait d’émettre des informations non censurées vers la Tchécoslovaquie. »

Josef Beran,  photo: ČT24
Mission accomplie : à Noël 1947, deux mois avant la prise de pouvoir communiste, Radio Vatican lance des émissions régulières en tchèque et en slovaque. En 1949, Josef Beran est arrêté par la police secrète. Pendant deux ans, il sera détenu à domicile au palais archiépiscopal de Prague avant d’être déporté, en secret, en province. Pendant quatorze ans, le chef de l’Eglise catholique tchécoslovaque est tenu dans un isolement total à l’écart de la société. Auteure de la biographie de Josef Beran intitulée « Uzavírám vás do svého srdce » (Je vous enferme dans mon cœur), l’historienne Stanislava Vodičková nous donne les détails de cet internement :

« Remplacé par un vicaire nommé par les autorités communistes, Josef Beran n’avait plus aucun accès aux médias. Il a été interné avec deux évêques de Brno et de České Budějovice. Trois religieuses s’occupaient d’eux. Ils étaient constamment suivis par la police, leur communication était interceptée. Ils n’avaient pas de liberté de mouvement et ne savaient même pas dans quel village ils se trouvaient, car les lieux d’internement changeaient. Ils étaient sans nouvelles de leurs familles et ne savaient absolument pas quel sort leur serait réservé : s’ils allaient mourir ou inculpés dans le cadre d’un procès politique. »

Le cardinal forcé à l’exil

La police essaie de forcer l’archevêque à collaborer, elle tente aussi de le discréditer, en ajoutant par exemple des substances aphrodisiaques dans sa nourriture. Autant de tentatives qui échouent. En 1965, la vie de Josef Beran prend un tournant inattendu : il est nommé cardinal par le pape Paul VI. Les autorités communistes lui proposent alors l’exil à Rome sans possibilité de retour. Un coup dur pour Josef Beran qui n’a jamais envisagé de vivre à l’étranger. Dans un entretien à Radio Vatican, il s’est souvenu :

« On m’a demandé : ‘Combien de temps voulez-vous rester à Rome ?’ Je leur ai répondu très clairement que je voulais rester trois semaines. L’homme en face de moi a acquiescé. L’après-midi même, j’ai appris que j’étais autorisé à partir à Rome à condition que je ne revienne plus jamais en Tchécoslovaquie. »

Après un voyage en avion côté couloir pour qu’il ne puisse rien voir de la Bohême qu’il quittait une fois pour toutes, Josef Beran aura vécu quatre ans dans le monde libre, en œuvrant toujours en faveur de son pays d’origine. L’historien Michal Pehr raconte :

Josef Beran,  photo: ČT24
« Ce qui est assez étonnant, c’est le nombre de visites pastorales que le cardinal Beran a effectuées auprès de ses compatriotes à l’étranger. Ces visites ont eu un large écho, notamment ses séjours aux Etats-Unis et au Canada. Les émigrés tchèques qui venaient le saluer, avaient des prises de position politiques très différentes. Généralement, ils ne cherchaient pas à se rencontrer et encore moins à fréquenter de prêtres catholiques. Mais lorsque Josef Beran est venu par exemple à Washington, tous les exilés tchécoslovaques étaient-là. Du coup, l’archevêque de Prague ne représentait pas uniquement l’Eglise catholique. Il était perçu comme un symbole de la résistance contre le régime communiste. »

Une icône anti-communiste appréciée aussi dans le milieu ecclésiastique qui devait sa popularité justement à son caractère. Stanislava Vodičková :

« Josef Beran ne comptait pas parmi les grands théologiens de son époque. Il a quand même vécu dans l’isolation pendant une vingtaine d’années. Il n’avait eu aucun lien avec le monde extérieur et encore moins avec la théologie qui avait évolué depuis le IIe concile œcuménique du Vatican. Il a marqué les esprits davantage par la force de sa personnalité, son charisme, sa modestie, son humilité, son amour inconditionnel des autres. On dit de lui qu’il était un opposant au communisme, mais Josef Beran était surtout un authentique chrétien. Je dirais d’ailleurs la même chose de plusieurs autres représentants de l’Eglise internés dans les camps nazis et communistes. »

Le seul Tchèque enterré près de la tombe de l’apôtre Pierre

La dépouille du cardinal Josef Beran au collège tchèque Népomucène,  photo: ČTK
Entouré des séminaristes et autres représentants de l’Eglise catholique tchèque en exil, Josef Beran est décédé à Rome le 17 mai 1969 des suites d’un cancer. Son secrétaire Karel Skalický a assisté à la dernière messe célébrée par Josef Beran le jour de sa mort, au collège tchèque Népomucène. Cette messe matinale reste gravée dans sa mémoire :

« Je n’ai jamais compris comment le cardinal avait pu tenir le coup physiquement. Cette messe a été célébrée deux ou trois heures seulement avant sa mort. Même s’il était assis la plupart du temps, il a prononcé les paroles de consécration du pain et du vin debout et de manière très claire. C’est un moment que je n’oublierai jamais. »

Les autorités tchécoslovaques n’ayant pas autorisé le rapatriement de la dépouille du cardinal, Josef Beran a été inhumé dans la nécropole papale de la basilique Saint-Pierre. Alors que son procès de béatification a été ouvert en 1999, l’historienne Stanislava Vodičková a découvert, dans les archives de Josef Beran, son testament dans lequel il exprimait sa volonté d’être enterré auprès de ses parents dans sa ville natale de Plzeň ou alors dans la cathédrale pragoise. Souhaité également par l’Eglise tchèque et approuvé récemment par le pape François, le retour à Prague de Josef Beran, prêtre aussi apprécié que redouté, devient donc enfin réalité ce vendredi.