1989 ET MOI, et moi et moi… Magdaléna Platzová : « Le 17 novembre : un traumatisme total »

Magdalena Platzová, photo: VOSE47, CC BY-SA 4.0

Cette année, le 17 novembre marque le trentième anniversaire de la révolution de Velours et de la fin du régime communiste tchécoslovaque. Trois décennies après ce tournant majeur dans l’histoire du pays qui porte aujourd’hui le nom de Tchéquie, Radio Prague International vous propose une série d’entretiens réalisés avec des personnes d’horizons différents mais qui ont tous en commun d’avoir vu les événements de l’année 1989 bouleverser leur vie et leur parcours.

Magdalena Platzová,  photo: VOSE47,  CC BY-SA 4.0

Cette série débute avec la première partie de l’entretien accordé à Radio Prague par l’écrivaine et journaliste actuellement basée à Lyon, Magdalena Platzová, née en 1972 dans une famille de dissidents avec un père documentariste, Josef Platz et une mère écrivaine, Eda Kriseová, qui deviendra après 1989 la porte-parole de Václav Havel.

Magdaléna Platzová, vous aviez 17 ans à l’époque de la révolution de Velours. Vous allez publier en octobre un livre qui raconte vos souvenirs de cette époque. Etait-ce facile de coucher cela sur le papier ?

« Au début non, parce que je me suis rendu compte que je ne me souvenais pas trop des faits mais surtout des émotions et de quelques images. Heureusement j’ai gardé mes journaux intimes de cette période. »

Vous écriviez beaucoup dans votre journal intime à l’époque ?

« C’était surtout mes émotions, mes amours. J’ai beaucoup écrit avant et un peu après, mais moins pendant la révolution en elle-même. Il y a deux ou trois pages seulement – j’étais trop occupée. J’étais occupée à organiser la grève dans notre lycée, puis les manifestations. Il se passait trop de choses pour écrire dans mon journal. »

« Mais j’ai réussi à recoller les morceaux de mes souvenirs ; je pense que le résultat est assez authentique. »

« Du mal à le raconter à nos enfants »

Pensez-vous que ce soit un blocage ? Vous me disiez avant cet entretien que vos camarades de classe de l’époque ont également du mal à avoir des souvenirs concrets des événements…

Magdalena Platzová,  photo: Site officiel de Prague Writers’ Festival
« La plupart de mes copains m’ont dit qu’ils ne se souviennent de rien. Ils se souviennent d’émotions et de quelques images fortes également. Pour le reste, ils ne se souviennent de rien et ont même du mal à raconter ce qui s’est passé à leurs enfants qui leur posent des questions. Mon livre est en fait pour les adolescents, pas pour leur raconter les faits, même s’il y en a évidemment, mais pour leur faire vivre cette expérience. »

« Je pense que c’est vraiment important de pouvoir faire comprendre ce qu’était la vie dans ce pays fermé. J’écris beaucoup sur la colère et la frustration d’une vie avec des perspectives très limitées. On ne pouvait pas beaucoup espérer, attendre de sa vie quelque chose, choisir ce qu’on allait étudier… Personnellement, j’étais très frustrée par cela. »

« Après, quand la situation s’est débloquée, c’était éblouissant d’avoir un futur à nouveau, tout d’un coup. Les choses prenaient soudainement du sens alors qu’il n’y avait pas beaucoup de sens avant. Quand vous n’avez pas la liberté de bouger, de penser, de parler, il n’y a pas trop de sens. »

Dissidents, štrúdl et goulash

Vous l’aviez d’autant moins cette liberté que vous faisiez partie d’une famille de la dissidence…

« Oui, je pouvais voir la différence entre le monde extérieur et la maison, où on se disait la vérité et tout sur l’occupation russe. A cause de cela peut-être j’étais encore plus en colère que mes camarades qui avaient moins ce contraste entre le mensonge absurde et débile de l’extérieur et la sphère privée. »

Cela pouvait être source de stress pour les enfants ou adolescents comme vous d’entendre à la maison des informations mais avec comme consigne de ne pas les répéter dehors…

« Oui, mais mes parents n’ont jamais donné ce genre de consignes. Cependant, quand j’étais petite je devais dire à l’école que ma mère était au foyer pour ne pas dire qu’elle était écrivaine. Cela me faisait honte ! Toutes les autres mamans travaillaient… Mais après je disais en secret à tout le monde qu’elle était journaliste, mais elle avait été bannie de tous les journaux. »

« Je me souviens également qu’au lycée dans les années 1980, j’ai même fait une présentation sur 1968. Avec ma sœur, je pense qu’on était assez intelligentes pour savoir ce qu’on pouvait et ce qu’on ne pouvait pas dire dehors. »

Etiez-vous entourés de ces amis dissidents à la maison ?

« Il y avait des réunions de dissidents à la maison, oui. »

Quels souvenirs en gardez-vous ?

« Il y avait toujours quelque chose de bon à manger ! Ma mère mettait les petits plats dans les grands, avec du štrúdl, du goulash, tout ce qu’on n’avait pas si souvent en temps normal. Ils s’enfermaient dans notre salon. Je me souviens d’une fois avec la lecture d’une pièce de théâtre de Milan Uhde à laquelle on a pu assister. Pour les discussions nous n’étions pas là. En plus ils faisaient attention car tous les appartements étaient sur écoute. »

« Je ne sais pas si le nôtre était sur écoute ; notre ligne téléphonique l’était. Mais ma mère n’a pas signé la Charte 77, donc elle n’a pas été emprisonnée. Elle était interrogée de temps en temps par la police secrète. Notre logement n’a pas été fouillé – on n’était pas un foyer de dissidents ‘hardcore’ comme d’autres foyers, chez les Němec par exemple. »

Le 17 novembre,  1989 | Photo: Archives de l’Université Charles

« Peur pour ma vie »

Une image de vous est restée parmi les rares images tournées le 17 novembre 1989 sur Národní třída – on vous voit les larmes aux yeux en train de crier « Máme holý ruce » (« Nous avons les mains nues »). Quel souvenir avez-vous de cette journée historique ?

« Le 17 novembre, c’est un traumatisme total : j’ai eu vraiment très très peur. Quand j’ai écrit sur cette journée j’ai revécu cette peur. J’avais peur pour ma vie, c’était très violent, on ne pouvait pas s’échapper, il y avait ces hommes en uniformes et armés qui nous ont battus. J’ai paniqué – j’ai peur de la violence physique. »

Etiez-vous seule ?

« Oui j’étais seule, mais j’ai retrouvé une copine et son père. A la fin, les policiers ont formé une sorte de corridor par lequel on pouvait s’échapper mais dans lequel ils frappaient vraiment dur à la matraque en même temps. J’avais trop peur pour passer, mais son père nous a prises sous ses bras et nous a tirées de là, en prenant sûrement quelques coups à notre place pour nous protéger. Je pense que j’étais déjà à moitié inconsciente, pétrifiée par la peur. Je me souviens juste qu’il nous a sorties de ce piège. »

Magdaléna Platzová (en manteau rouge) devant les forces de l'ordre Národní třída à Prague le 17 novembre 1989 (à 0:04)