Des origines qui en disent long

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On connaît bien l'histoire de la Bohême chrétienne, celle des Premyslides puis de Charles IV. Mais qu'en est-il de la société tchèque pré-chrétienne ? Entre mythes fondateurs et vérités historiques, cette période méconnue aura des répercussions parfois inattendues sur l'histoire tchèque jusqu'à aujourd'hui.

La Bohême-Moravie fait partie des pays européens qui n'ont pas appartenu à l'Empire romain. Le « limes » ou frontière de l'Empire s'arrête au nord du Danube, sur une ligne allant, grosso modo, de Trencin, en Slovaquie actuelle jusqu'à Vienne. A Trencin, on peut voir, encore aujourd'hui, à travers une vitre du 2e étage de l'hôtel Tatra, une inscription en latin sur un rocher : "Pour la victoire des empereurs et les 855 soldats de la 2e légion... ", célébration de la victoire des Romains sur les Quades en 179.

La topographie des routes et des champs en Bohême en a été affectée jusqu'à aujourd'hui. Dans les pays qui appartenait à l'Imperium, les Romains avaient transmis leur rationalité dans le tracé des routes, toutes en angles droits. Au Moyen-Age, lors des défrichements, qui, en France comme en Espagne, voient l'homme gagner des terres cultivables sur la forêt, les champs aménagés suivent ce tracé. Il suffit de survoler aujourd'hui le territoire tchèque pour s'apercevoir que les formes géométriques des champs sont, au contraire, plus en courbes.

L'environnement naturel a également déterminé en partie le destin industriel de la Bohême, de l'époque des Habsbourg jusqu'à celle de Staline. Dès le néolithique, la forêt de Bohême est constituée de quatre massifs montagneux, regroupés sous l'appellation de « quadrilatère de Bohême ». Le territoire est riche en métaux : mines d'argent et d'uranium de Jachymov, monts métallifères de Karlovy Vary et bassin houillier de Kladno.

Vers 400 avant J.-C., les Celtes, venus d'Europe occidentale, s'installent en Bohême et en Autriche. Ils amènent avec eux l'usage des outils et des arts du feu et apportent une amélioration globale du niveau de vie. C'est d'ailleurs le peuple celte des Boiens, qui donnera son nom à la Bohême. De cette époque, les fouilles archéologiques ont révélé l'existence d'une cité à Zavist, au sud de Prague. Certains historiens, comme Jean Bérenger, avancent que le mélange des peuples slaves et celtes a eu des conséquences morphologiques que l'on retrouve chez les Tchèques aujourd'hui. Les Celtes seront bientôt remplacés par les peuples germaniques, Quades et Marcomans, jusqu'au IIe siècle avant J.-C.

Puis ce sont enfin les Slaves qui s'installent en Europe centrale au VIe siècle, en occupant les terres laissées vacantes par le départ des Germains : l'Allemagne orientale, la Bohême et la Slovaquie occidentale. Les Slaves sont eux-mêmes poussés par l'avancée des Avars, un peuple de cavaliers asiatiques dont ils seront les vassaux.

La société slave païenne était divisée en trois classes : au sommet, une artistocratie de chefs de clans, puis une classe moyenne d'hommes libres, paysans, et, en bas de l'échelle, les esclaves et prisonniers de guerre.

Grande Moravie.
La religion des Slaves était fondée sur l'animisme et le culte des morts. Après une période de démonologie (l'âme des morts est supposée s'envoler avec un démon), on passe au panthéisme. C'est également le cas des Germains à la même époque. Notons que la religion ne donnait lieu à aucune hiérarchie sacerdotale. Au XVe siècle, cette absence de hiérarchie religieuse sera une revendication importante des hussites, eux qui auraient brûlé vifs ces barbares païens !

En 630, Samo, un chef franc, instaure la première monarchie slave, étendant, durant 30 ans, sa domination sur les tribus tchèques et moraves. Mais les Avars mettent fin à l'expérience. Pour un Etat slave viable, il faudra attendre le VIIIe siècle et la naissance du royaume de Grande Moravie.

Les premières sources écrites sur les origines des Tchèques remontent au XIe siècle. En 1315, l'historien Dalimil retranscrit un récit des origines, en utilisant surtout de vieilles légendes. La rigueur n'est pas de mise et la naissance du peuple tchèque et de Prague obéissent à un mythe créateur.

Il y a très longtemps de cela, deux frères, Cech et Lech amenèrent leurs tribus jusqu'au sommet du mont Rip, en Bohême. Lech, fondateur de la Pologne, décida de continuer vers le Nord. Quant à Cech, Tchèque, il resta sur place... Formulés au Moyen-Age, ces mythes originels reflètent bien leur temps et sont fortement inspirés des récits bibliques. Cech et Lech ne sont pas sans évoquer deux autres nations issues d'un tronc commun : Isaac et Ismaël, le peuple juif et le peuple arabe.

Krok, chef de la tribu tchèque et également prophète à ses heures, écoute les dieux qui lui indiquent la falaise de Vysehrad pour y édifier une forteresse. A sa mort, ce sera l'une de ses trois filles, Libuse, qui, ayant hérité de ses dons, présidera l'assemblée des chefs. Mais c'est à un homme, son époux Premysl le Laboureur, qu'elle remettra ses pouvoirs.

Ces récits médiévaux servent bien sûr à légitimer la suprématie de la dynastie des Premyslides. Ils n'en conservent pas moins un fort pouvoir d'évocation pour les Tchèques au cours de leur histoire. Rappelons le livre de Frantisek Palacky, « Histoire de la nation tchèque ». L'historien y mentionne le caractère électif et non héréditaire du chef dans la société slave primitive, opposant, non sans arrières pensées, le caractère démocratique des Tchèques à l'autoritarisme des peuples germaniques. Précisons que nous sommes au XIXe siècle, en pleine affirmation des nationalismes.

Edouard Benes, quant à lui, fera une allusion étonnante à la prophétesse Libuse en septembre 1938, en pleine crise de Munich. Ecoutons-le : "Ne craignez pas pour la nation ou pour l'Etat dont les racines sont solides et profondes. Pensez à la prophétie de la princesse Libuse qui a dit : ma chère patrie tchèque ne mourra jamais".