Il y a 800 ans était publiée la Bulle d’or de Sicile

Bulle d’or de Sicile, photo: CTK

Retour, dans ce magazine historique de Radio Prague, en l’an 1212 : il y a 800 ans de cela, le 26 septembre 1212, était publiée la Bulle d’or de Sicile : il s’agit d’un document essentiel de l’histoire tchèque qui rend le titre de roi de Bohême héréditaire et confère à la Bohême un statut exceptionnel au sein du Saint-Empire romain germanique. A l’occasion du 800e anniversaire de sa publication, la Bulle d’or de Sicile a été exposée du 27 au 30 septembre à Prague, par les Archives nationales de République tchèque.

Bulle d’or de Sicile,  photo: CTK
La Bulle d’or, c’est en fait trois chartes écrites sur parchemin, d’une belle écriture gothique, scellées chacune par une bulle, soit le nom du sceau en or et en argent. Le texte est rédigé en latin. Les trois documents sont datés du 26 septembre 1212 à Bâle. Dans le premier texte, l’empereur romain germanique désigné, Frédéric II, confirme le titre royal obtenu en 1198 par le prince de Bohême, Přemysl Otakar Ier, le déclarant lui et ses héritiers, rois de Bohême. Le deuxième texte de la Bulle d’or de Sicile, destiné au margrave de Moravie Henri, frère de Přemysl Otakar Ier, confirme l’hérédité du titre de margrave pour ses successeurs. Le troisième document confirme les possessions en-dehors de la Bohême, dans le pays de Vogtland, nom historique de la région à la limite de la Saxe et de la Bavière, et ailleurs encore. Selon les deux documents, la Bohême et la Moravie sont un pays autonome et indivisible de l’Empire. L’historien Josef Žemlička évoque le contexte historique de la publication du document :

Josef Žemlička
« Il y a tout juste 800 ans, le notaire Henricus de Parisius commence à écrire le premier texte de la Bulle d’or. Ses protagonistes sont le roi de Sicile et empereur romain germanique désigné Frédéric II, d’une part, et le roi de Bohême Přemysl Otakar Ier, de l’autre. Ce dernier est également le destinataire du texte auquel on va donner le nom de Bulle d’or de Sicile : d’or selon le sceau en électrum, soit un alliage d’or et d’argent, et de Sicile selon le lieu d’exercice du pouvoir de Frédéric. Pour ce qui est du roi Přemysl Otakar Ier, il a pris lui-même le titre de troisième roi de Bohême, en latin Tertius rex Bohemorum. »

Pourquoi le troisième roi, alors que l’histoire de l’Etat tchèque est beaucoup plus ancienne ? Il faut remonter à l’an mil, date de création des piliers de l’organisation politique en Europe centrale et de la première vague de couronnements, ainsi que le raconte le professeur Žemlička :

« Etienne est sacré premier roi de Hongrie avec une couronne envoyée par le pape Sylvestre II et il parvient en même temps à créer un archevêché à Esztergom. De même, la Pologne réussit à faire un premier pas vers le titre de roi et la fondation de l’archevêché à Gniezno. La Bohême manque cette première vague en raison d’une guerre civile qui fait alors rage dans le pays. Pas d’archevêché, ni de royaume. Il n’empêche que pendant les deux siècles suivants, les princes Přemyslides continuent à œuvrer en vue d’obtenir l’attribution de cet honneur. Ainsi, en 1085, Vratislav II reçoit le titre de roi à titre personnel des mains de l’empereur Henri IV. Ce titre n’est que temporaire, il a un caractère de distinction personnelle accordée à Vratislav II, uniquement. Lorsque celui-ci meurt, en janvier 1092, ses successeurs vont régner à nouveau en tant que princes. »

Vladislav II
Il faudra encore plus de 60 ans avant que Vladislav II n’essaie à nouveau d’obtenir la confirmation du titre royal héréditaire. En janvier 1158, à Ratisbonne, il est nommé roi de Bohême par l’empereur romain germanique Frédéric Barberousse. L’espoir d’obtenir le titre de roi héréditaire grandit, or la fin du règne de Vladislav II se termine par un échec pour cette branche de la dynastie Přemyslide. La fin du XIIe siècle est marquée par une décadence politique due à une série de querelles de succession. Cependant, un tournant se produit en 1198, avec l’arrivée au pouvoir de Přemysl Otakar Ier sous lequel la couronne devient héréditaire :

Přemysl Otakar Ier
« Un an à peine après sa seconde arrivée au pouvoir, car il avait été reconnu comme prince suzerain de Bohême dès 1192, Přemysl Otakar Ier se sert de la rivalité entre Otton IV et Philippe de Souabe qui tous les deux avaient été élus roi des Romains. En 1198, Přemysl Otakar reçoit le titre royal héréditaire de Philippe pour son assistance. Après l’assassinat de Philippe et l’interdiction papale imposée à Otton IV, Přemysl Otakar Ier risque de perdre son privilège. Il change alors de camp, quand lui et plusieurs princes convoqués à Nuremberg soutiennent l’élection du jeune roi Frédéric II. C’est ainsi que Přemysl Otakar se voit définitivement confirmer dans ses droits par la Bulle d’or de Sicile publiée par Frédéric à Bâle le 26 septembre 1212. »

Bulle d’or de Sicile
Cet acte impérial reconnaît à Přemysl Otakar Ier et à ses descendants le titre royal héréditaire. Le roi de Bohême est le premier prince-électeur. La Bulle d’or de Sicile concède au roi de Bohême les privilèges suivants : réunir au royaume les possessions qui en avaient été détachées, nommer les évêques du royaume, n’avoir à comparaître qu’aux diètes que l’empereur convoquerait à Nuremberg, Bamberg ou Merseburg. La Bulle n’impose pour seule obligation que de procurer une escorte de 300 cavaliers lors du voyage à Rome de tout empereur allant se faire couronner par le pape.

La question que des historiens se posent est de savoir pourquoi Přemysl Otakar Ier a tant souhaité obtenir la confirmation du titre de roi héréditaire. Pour Josef Žemlička, le phénomène a deux facettes :

Venceslas II
« Tout d’abord, c’est le rayonnement vers l’extérieur : le titre de roi est incontestablement beaucoup plus important, plus respecté, tout comme le fait d’appartenir à la famille des rois d’Europe. Přemysl Otakar Ier sait en profiter dans sa politique dynastique : l’une de ses filles, Margareta, dite Dagmar, est mariée au roi de Danemark Valdemar II. En outre, Přemysl Otakar parvient à établir un lien entre les Přemyslides et la dynastie impériale romaine germanique : son fils, et futur roi Venceslas II, épouse Cunégonde Hohenstaufen, fille de l’empereur Philippe de Souabe. Přemysl Otakar Ier a même pensé marier sa deuxième fille Anežka, la future sainte Agnès de Bohême, à Henri III d’Angleterre, mais l’empereur a mis son véto à ce projet. »

Charles IV
Plus d’un siècle après la première Bulle d’or de Sicile, le roi de Bohême et empereur romain germanique Charles IV promulgue, en 1356, un nouvel acte développant cet acquis. La nouvelle Bulle d’or qui tire son nom de l’acte d’origine donne à l’institution impériale sa forme définitive et attribue le choix du roi aux princes électeurs. Désormais, son contenu fera souvent l’objet de débat entre le souverain et les Etats. Au XIXe siècle, période du Réveil national, la Bulle d’or divise l’opinion : certains la vénèrent comme un acquis suprême des Přemyslides sur l’Empire, d’autres, en revanche, le désapprouvent en tant que symbole de dépendance de la Bohême du voisin allemand. Peu de documents de notre histoire suscitent tant de questions et de contradictions dans leur évaluation, observe pour sa part l’historien Martin Wihoda :

Bulle d’or de Sicile
« Le débat mené ces dernières années a montré que la Bulle d’or peut être abordée sans émotions, de manière objective et impartiale. C’est un document extrêmement intéressant qui a vu le jour dans des circonstances historiques uniques. Durant ses 800 ans d’existence, son destin a reflété des péripéties qui ont créé l’image de notre passé. L’ensemble de privilèges publiés à Bâle est un document qui mérite notre estime... et qui invite à réflexion sur notre passé. »

Document vieux de huit siècles, la Bulle d’or de Sicile n’est exposée qu’à des occasions exceptionnelles. Sa dernière présentation au public remonte à onze ans de cela. Elle est conservée dans les Archives de la couronne de Bohême qui a le statut de monument culturel national.