Le groupe de Visegrád a 25 ans

La fondation du groupe de Visegrád en 1991, photo: Péter Antall, CC BY-SA 3.0 Unported
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Le 15 février 1991, les dirigeants de la Hongrie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie cosignaient une déclaration marquant la naissance d’un groupe informel visant à renforcer la coopération politique entre les trois pays, le groupe de Visegrád, selon le nom de ce bourg hongrois où eut lieu la rencontre. Le V4, tel qu’il est parfois nommé maintenant que la Tchéquie et la Slovaquie ont remplacé la défunte Tchécoslovaquie, représente par sa superficie et sa population un pays comme la France. Il n’en a certes pas le poids politique mais constitue une donnée géopolitique qu’il faut prendre en compte au sein de l’Union européenne. A l’occasion du 25e anniversaire du groupe, Jana Vargovčíková, doctorante en politologie entre Paris et Prague, affiliée au CEFRES, a accepté pour Radio Prague de revenir sur la jeune histoire du V4.

La fondation du groupe de Visegrád en 1991,  photo: Péter Antall,  CC BY-SA 3.0 Unported
« Il ne faut pas céder aujourd’hui à une illusion rétrospective qui nous ferait croire aujourd’hui que le groupe Visegrád était donné comme un projet de longue vie dès le début. Car, au début, même si les initiateurs sont des personnalités fortes comme Václav Havel, Lech Wałęsa ou József Antall pour la Hongrie, ni la longévité, ni la priorité pour le groupe Visegrád sur de nombreux autres projets régionaux qui sont en train de se dessiner à l’époque, ne sont gagnées. La Pologne s’investit dans cinq ou six projets comparables. La Hongrie regarde bien plus vers le sud, ce qui est logique au début des années 1990, où la Yougoslavie est en train de se défaire. La Hongrie a aussi des soucis en termes de sécurité face aux conflits qui surgissent en ex-Yougoslavie, et donc elle se tourne beaucoup plus vers la Slovénie, puis la Croatie. La Tchéquie, quant à elle, notamment après que Václav Klaus accède au pouvoir, donne beaucoup plus la priorité aux partenariats avec l’Autriche ou l’Allemagne. Donc, après un élan au début, qui est sans doute un peu entraîné par un enthousiasme général pour la démocratisation dans la région, il y a un gel, une « mort cérébrale » comme l’a nommée un diplomate impliqué dans cette coopération, du groupe Visegrád pour quatre à cinq ans, allant de 1994 jusqu’à 1998. »

Qu’est-ce qui a fait justement que le groupe de Visegrád, parmi toutes les entités qui se créent à cette époque, prédomine encore aujourd’hui ?

Jana Vargovčíková,  photo: Amnesty International
« C’est un peu paradoxal et c’est sans doute dû à deux choses au moins. D’un côté, il y a les incitations externes à la coopération de ces quatre pays. C’est-à-dire que la Commission européenne, ainsi que les Etats-Unis, dans le cadre des processus d’adhésion à l’Otan et à l’Union européenne, encouragent de manière explicite et active la coopération de ces quatre pays, car il est bien plus simple et préférable d’avoir un bloc de partenaires, d’interlocuteurs qui se coordonnent entre eux, qui s’entendent entre eux, qui renforcent leur coopération réciproque, plutôt que d’avoir à faire à des pays individuels à cette époque. Après, il y a un deuxième facteur, et c’est là que cela devient un peu paradoxal car nous savons bien que le groupe de Visegrád est de droit critiqué pour son aspect très, très faible en matière de politique dans un sens fort. Or, comparé à ces autres initiatives régionales, il a quand même dans sa naissance, très symbolique, un élément, une certaine vision d’intégration de l’Europe centrale, d’une renaissance de l’Europe centrale politique. C’est cela, on pourrait dire, qui lui donne une force au-delà des conditions momentanées politiques, c’est-à-dire, est-ce que les gouvernements, est-ce que les premiers ministres s’entendent à une époque donnée ou pas. Ce qui n’a pas été le cas effectivement à l’époque de Václav Klaus et de Vladimír Mečiar ; ce qui a davantage été le cas vers la fin des années 1990. Mais il y a cette vision d’espace politique de l’Europe centrale malgré une faiblesse politique factuelle. »

A l’occasion du vingtième anniversaire de ce groupe, vous aviez publié un article dans lequel vous identifiez trois retournements dans l’histoire de ce groupe. Quels sont ces retournements, dont vous avez déjà esquissé certains traits ?

Václav Klaus et Vladimír Mečiar | Photo: Archives de la ville de Brno
« Le premier retournement est celui qui intervient avec la séparation de la Tchécoslovaquie et donc l’arrivée au pouvoir de Václav Klaus et de Vladimír Mečiar, où donc, non seulement les deux pays se distancient, mais se désintéressent aussi d’un approfondissement par une coopération politique. Il faut tout de même ajouter qu’après la séparation de la Tchécoslovaquie, et donc d’un refroidissement de la coopération au sein du groupe Visegrád, la Pologne et la Hongrie font des efforts tout de même pour rester beaucoup plus proches que d’autres partenaires du groupe.

Après, le deuxième retournement est un retournement politique, une petite renaissance, un dégel, après une vague d’élections dans la région, qui font qu’arrivent au pouvoir de nouvelles forces politiques. Pour la Slovaquie notamment, le retournement est dramatique, car c’est la fin de l’ère Vladimír Mečiar, la fin d’une ère d’isolation de la Slovaquie. Et donc les quatre pays commencent à coopérer de manière très active, notamment autour de leur adhésion à l’Union européenne et à l’Otan. Ils essaient de se consulter, de partager les informations, de se conseiller. Mais il est intéressant qu’après ces premières années, il arrive une période où chacun commence à jouer pour son propre compte. C’est assez curieux, les diplomates évoquent le fait qu’à partir d’un moment, les informations sont beaucoup moins partagées. On sent que les quatre pays deviennent en quelque sorte rivaux dans ce processus d’adhésion, chacun croyant qu’il pourrait éventuellement adhérer avant les autres. De manière un peu curieuse, on peut évoquer le fait que c’était bien la Hongrie qui était le pionnier, le candidat avec le plus de chance d’adhérer le premier avant tous les autres, économiquement et politiquement le plus en avant dans les processus d’adhésion.

Ensuite, le dernier retournement, c’est l’adhésion notamment à l’Union européenne, où, un des principaux motifs antérieurs de la coopération, cet échange d’informations, de conseils, de soutien réciproque dans les processus d’adhésion, disparaît. Il faut donc se poser la question de savoir si le groupe peut « servir à autre chose ». Et après quelques années de consultations stratégiques, de réflexions, il se dessine en effet un projet, certes modeste, certains diront trop modeste, pour un groupe de Visegrád au sein de l’Union européenne. »

Quel est la définition de ce nouvel objectif que poursuit le groupe, son objectif principal ayant été achevé ?

Photo: ČT24
« Le groupe Visegrád est souvent vu comme un groupe de pression ou de lobby au sein de l’Union européenne, qui se consulte avant les importants sommets européens ou avant les rencontres ministérielles particulièrement stratégiques. Il est quand même un peu plus que cela, mais politiquement il demeure une alliance d’intérêts on pourrait dire, une alliance où ne sont pas produites des positions communes. Lorsque les quatre pays présentent des demandes communes au sein de l’Union européenne, ce sont, dans la grande majorité sinon la totalité des cas, des positions qui naissent d’intérêts préexistants. Il n’y a pas réellement de concertation, mais plutôt de coordination d’intérêts communs au sein du groupe Visegrád. A part quelques cas extrêmes, comme le moment où Viktor Orbán en 2002 a évoqué les décrets Beneš et donc a attaqué en ce sens la République tchèque et la Slovaquie, il n’y a pas d’expression de désaccords par le groupe Visegrád ou d’expression publique dans le groupe Visegrád. Il n’est mobilisé que pour amplifier la voix de ces quatre pays lorsque cela est tactique politiquement. Cela reste un objectif ou une fonction d’outil politique accessoire.

Viktor Orbán,  photo: Commission européenne
Maintenant, depuis cinq-six ans, il existe également des structures institutionnelles au sein du groupe Visegrád, ce qui n’était de loin pas le cas avant. Donc il existe un fonds international Visegrád qui finance des projets de coopération, des projets très concrets, culturels, d’échange intellectuel, ce qui donne une vie continue au groupe Visegrád. Mais politiquement la question se pose. A l’époque où Viktor Orbán a donc attaqué les deux autres pays du groupe, ceux-ci ont eu effectivement recours à une expression de désaccord. Ils ont annulé leur présence à un sommet du groupe qui était en vue juste après cette déclaration de Viktor Orbán. Ceci n’est pas réellement survenu depuis. Un test possible serait de savoir s’il y aura à l’avenir des sujets autres que les décrets Beneš qui pourraient faire de la plateforme Visegrád un terrain de contestation politique, d’affrontement et d’une expression de désaccord, parce que finalement, une vraie alliance ou une vraie coopération politique devrait également pouvoir construire un espace d’expression de désaccord qui est indispensable pour qu’il y ait débat. Sinon on reste seulement dans le domaine de la coordination des intérêts. »

Outre cela, qu’ajouteriez-vous aujourd’hui au texte que vous avez écrit à l’occasion des vingt ans du groupe de Visegrád ? Enfin, comment est-il possible de comprendre l’utilisation de cet outil « groupe de Visegrád » dans le cadre de la question de la crise des réfugiés ?

Photo: Site officiel du Gouvernement
« Dans le cadre de la crise des réfugiés, la mobilisation de l’étendard groupe de Visegrád a été assez classique finalement. C’était bien une concordance d’intérêts de court terme qui a permis aux quatre pays d’utiliser le label Visegrád pour amplifier leur voix dans le cadre d’une négociation à l’échelle de l’Union européenne. A cet égard, c’est tout à fait classique. Après, il s’agit évidemment d’un sujet très important avec une dimension éthique et morale qui est inséparable des tactiques politiques et il s’agirait là d’une autre évaluation.

Après sur la question de savoir s’il y a quelque chose qui a changé au cours des cinq dernières années : comme nous l’avons dit, la vie au sein du groupe Visegrád changeait de façon assez dramatique selon les constellations politiques respectives dans les quatre pays. Nous arrivons avec le début de l’année 2016, déjà à la fin de l’année 2015, à une constellation politique, disons, assez explosive. La Hongrie et la Pologne ont élu des gouvernements très conservateurs et qui se présentent comme très réticents à une intégration européenne plus poussée. La République tchèque demeure dirigée par un gouvernement social-démocrate.

La Slovaquie va avoir des élections parlementaires prochainement, à peu près dans un mois. Il sera très intéressant donc de voir si, à force que pourraient s’approfondir les divergences politiques entre ces quatre pays, il y aurait effectivement des manifestations de désaccord, ou des distanciations publiques sur certains sujets, soit des sujets de politique européenne, ou de position à l’égard de l’Union européenne, ou bien de politique culturelle, du respect des règles constitutionnelles… C’est donc les tests qui seront dus à cette constellation politique nouvelle qui seront très intéressants à observer dans les années à venir. »