L’héritage de la Charte 77: entretien avec l’historien Jiří Hnilica

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A l’occasion de la « Semaine de la Charte 77 » qui commémore à Prague jusqu’au 18 mars les 35 ans de sa rédaction, nous vous proposons aujourd’hui dans notre rubrique hebdomadaire consacrée à l’histoire, un entretien avec l’historien Jiří Hnilica qui revient sur l’héritage de la Charte 77.

« Parler d’un héritage du passé communiste dans la société actuelle, c’est toujours un peu compliqué puisque la société tchèque se positionne difficilement vis-à-vis de cet héritage qui est à double tranchant, notamment en ce qui concerne la personnalité de Václav Havel ou avec la Charte 77. Quel est en fait le message de ces événements qui se sont déroulés à l’époque de la normalisation ? Je pense que l’héritage est à la fois symbolique, il s’agit d’un événement symbolique de la lutte contre le communisme, mais même cette lutte contre le régime totalitaire n’est pas bien définie. »

Vous dites que c’est un héritage qui est à double tranchant. Pourquoi, selon vous, la lutte contre le communisme n’a pas été assez bien définie ?

Charte 77
« Je pense qu’il y a un débat dans la société tchèque qui ne s’est pas ouvert tout de suite après la chute du régime mais dans la deuxième moitié des années 1990. C’est le débat sur l’anticommunisme étant donné que pendant l’époque communiste, la majorité de la société était située dans la ‘zone grise’ comme on l’appelle. Il y avait plus d’un million d’adhérents au parti communiste et en quelque sorte, la majorité de la société s’était corrompue avec le régime. Par conséquent, définir la lutte contre le communisme de manière suffisamment claire pour savoir où commence la lutte et l’engagement anti communiste et où commence la corruption par le régime est très difficile pour la société. »

Est-ce qu’après 1990, le regard de la société change par rapport à ce mouvement qui s’arrête après 1992 au moment où les initiateurs principaux de la Charte 77, ceux qui sont toujours en vie, considèrent que la lutte est terminée ; notamment en raison du fait que les droits de l’homme sont à nouveau respectés par la Tchécoslovaquie puis la République tchèque ?

« Je pense que le mouvement de la Charte 77 était surtout et avant tout un mouvement intellectuel. Il n’a jamais été un mouvement de masse comme l’a été Solidarność en Pologne par exemple. Donc, la place d’un mouvement intellectuel était en quelque sorte mise en cause dans la société tchèque après la chute du régime socialiste surtout dans la deuxième moitié des années 1990. Il y a l’exemple très forts de Ladislav Bátora dont on a souvent parlé, avec sa célèbre pancarte sur laquelle était écrit :’les intellectuels allez au diable !’. Avant le décès de Havel, les intellectuels dans la société tchèque n’avait plus la même position qu’à l’époque communiste et, il est évident que le mouvement de la Charte 77 en faisait partie et son héritage aussi. »

Du point de la transmission du message de la Charte après 1990, est ce que vous pensez qu’il y a suffisamment de relais, que ce texte est suffisamment connu par les jeunes générations notamment celles qui sont nées peu avant 1989 ou juste après ?

« Je pense qu’il y a en général, surtout dans la jeune génération une montée de l’intérêt pour tout ce qui était le communisme, d’autant plus que cette époque là commence à être enseignée dans les écoles. Parmi les chapitres de cette histoire, la Charte 77 en fait partie. Savoir ensuite quel est le travail des enseignants sur cette période, il faut voir en détail avec eux, car c’est une question qui fait réellement débat c’est-à-dire, répondre à la question suivante : comment enseigner le passé communiste aujourd’hui dans les écoles ? »

Parce que c’est une initiative qui revient au professeur et que ce n’est pas encore dans un programme officiel qui serait respecté par tous les enseignants de l’histoire ?

« C’est exactement cela. Mais heureusement il n’existe pas une seule manière d’enseigner le passé communiste car ce serait le symbole, pour exagérer un peu, d’une autre idéologie. C’est vrai en revanche ce que l’un des principaux objectif de l’Institut d’étude des régimes totalitaires est de proposer aux enseignants les matériaux qu’ils peuvent utiliser. Or, on sait que la production de cet institut est très critiquée par les historiens… »

Est-ce que vous pouvez rappeler pourquoi les travaux de cet institut sont critiqués par la communauté des historiens ?

« On considère qu’ils sont trop précipités et trop rapides, notamment du point de vue du contenu des recherches, de l’existence d’erreurs et d’un manque de recul vis-à-vis des sujets. »

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Ce sont eux qui sont les principaux organisateurs de la commémoration chaque année de la Charte 77. Est-ce que vous avez l’impression que cette semaine de la Charte à de l’écho auprès des historiens, des spécialistes de cette période comme auprès de la société tchèque dans son ensemble ?

« Je pense que cet écho est sensible surtout dans le public des spécialistes. Je ne dirais pas que la ‘Semaine de la Charte 77 » a de l’écho pour toute la société tchèque. On revient en quelque sorte dans le passé, quand la Charte était un mouvement intellectuel, un mouvement limité avec un grand message moral mais qui ne s’est pas forcément diffusé dans toute la société. Le texte de la Charte ne circulait pas. »

Le Charte était un message pour se battre pour les droits fondamentaux de l’humain, les droits de l’homme, du citoyen.

Le discours de la Charte était considéré comme un discours porté par des intellectuels. Est-ce qu’il est toujours considéré comme tel aujourd’hui ?

« Le Charte était un message pour se battre pour les droits fondamentaux de l’humain, les droits de l’homme, du citoyen. Nous avons l’impression de vivre une époque de liberté acquise, naturelle. Nous sommes libres et disposons de nos droits etc. Comme si le quotidien avec la crise notamment avait réorienté les intérêts de la société qui considère, sans doute, qu’il n’est plus nécessaire d’aborder le sujet des droits de l’homme. »