L’Université, baromètre de l’histoire tchèque

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Depuis quelques jours, le monde universitaire est frappé par le scandale qui touche la faculté de droit de Plzeň, autour de pratiques de corruption pour l’obtention de diplômes. L’occasion aujourd’hui de revenir sur l’histoire, multiséculaire, de l’université tchèque, véritable baromètre des grands moments de l’histoire du pays.

1989
On connaît bien le rôle des étudiants tchèques contre les totalitarismes du siècle passé, lors des manifestations des deux 17 novembre, en 1939 et en 1989. De Jan Opletal à Jan Palach, des 3 000 étudiants déportés dans les camps nazis jusqu’aux torches humaines de 1968-69, le martyrologe tchèque compte de nombreux étudiants en son sein.

Viktor Febler
Si on en parle généralement moins, il faut noter que les universitaires ont eux aussi payé un lourd impôt du sang face à la répression nazie. Autant de noms aujourd’hui oubliés : Viktor Febler, recteur de l’Ecole Polytechnique de Prague, Vladimír Groh, historien de l’Antiquité, Bohumil Baxa, historien du droit, Hynek Pelc, professeur de médecine sociale... La liste n’est pas exhaustive. Au total, le monde universitaire sortira profondément meurtri de l’occupation allemande.

Or les manifestations étudiantes de 1939 et 1989 ne sont pas de simples mouvements d’émotion provoqués par une jeunesse spontanée et survoltée. Ces événements incarnent la continuité d’un rôle phare du monde universitaire tout au long de l’histoire tchèque.

On retrouve ainsi les étudiants en première ligne lors des événements de juin 1848, au cours d’une Révolution aussi éphémère qu’européenne. Alors qu’à Paris, d’où elle est partie, la Révolution est politique et sociale, à Prague, elle marque l’aube des revendications nationalistes. Pour l’heure, la mode est à l’identité slave voire centre-européenne : sur les barricades, les étudiants de la Légion Slavia ou du Svornost portent casque bleu à la polonaise et pantalons collants à la hongroise.

1848
Ces barricades, on les retrouve notamment près du Clementinum, quartier général des étudiants. On compte environ 1 200 insurgés contre 10 000 soldats... La bataille est perdue d’avance mais une figure pittoresque est restée dans les mémoires : l’« Amazone de Prague », serveuse de brasserie et véritable Vlasta moderne, qui combattait au milieu des étudiants.

Durant la seconde moitié du XIXème siècle, l’Université de Prague, qu’elle soit tchèque ou allemande, se place à la pointe du combat nationaliste. Dans les années 1840 pourtant, une voix originale s’élève au sein de l’Université.

Italien par sa mère et allemand par son père, Bernard Bolzano est ordonné prêtre en 1805. La même année, l’Empereur François Ier décide de créer des cours de « science religieuse » à l’Université de Prague, afin de garder la jeunesse étudiante dans le giron du conservatisme religieux. Bolzano occupera cette chaire pendant 15 ans, marquant les étudiants de son influence progressiste. Accusé d’encourager l’esprit de révolte, il est révoqué en 1820.

Sur la question des rapports entre Tchèques et Allemands, Bolzano se pose en partisan de l’union. Selon lui, les deux nations peuvent se retrouver sur la base d’un patriotisme bohême. Ce patriotisme bohême a d’ailleurs bien existé en terres tchèques, des guerres hussites au XVème siècle jusqu’à la Montagne Blanche en 1618. Tchèques et Allemands de Bohême ont souvent été unis par des convictions religieuses communes.

Les idées de Bolzano choqueront certains de ses contemporains et les années 1840 voient s’opposer deux courants : les Bohémistes avec Bolzano, et les Tchécomanes, qui fondent leur nationalisme sur la langue tchèque.

Homme du XVIIIème siècle, nourri aux Lumières et à l’esprit universel, Bolzano apparaît déjà anachronique au XIXème siècle. Il meurt à l’âge de 60 ans, en 1848. Un symbole puisqu’à partir de cette date, les mouvements nationalistes ne cessent de se développer en Bohême-Moravie, à l’instar des rivalités entre universités tchèques et allemandes.

La division de l’Université de Prague entre une partie tchèque et une partie allemande en 1882 voit l’université tchèque prendre son essor. Celui-ci se confirme sous la Première République tchécoslovaque et face au besoin accru de nouvelles compétences. En 1931, l’université tchèque compte 11 000 étudiants, sans compter les écoles techniques.

Cet essor est brutalement stoppé par l’occupation allemande. Ainsi témoignait, l’année dernière au micro de Radio Prague, Jiří Zapletal, étudiant à Brno en novembre 1939, il avait alors 21 ans.

« Après l’arrestation des étudiants des cités universitaires à Prague et leur déportation vers le camps de concentration de Sachsenhausen, la Gestapo de Brno s’est rendue compte de n’avoir arrêté personne de la ville elle-même. Elle est donc allée chercher les noms d’étudiants dans les registres des facultés. C’est ainsi que nous avons été arrêtés et emprisonnés dans la forteresse du Špilberk. »

Créée en 1348, sous Charles IV, l’Université de Prague anticipe à bien des égards la révolution des mentalités que constitue l’Humanisme de la Renaissance. A la fin du XIVème siècle, l’Université est divisée en « nations », qui correspondent au territoire et n’entrent donc pas nécessairement en concordance avec la nation réelle. Sur plus de 3 000 étudiants, les nations sont divisées comme suit : polonaise 17 %, saxonne 18 % (elle incluait également des Suédois), bavaroise 28 % et bohême 15 %.

Dès le Moyen-âge, l’Université affirme donc deux traits constants de Prague tout au long de son histoire : son cosmopolitisme et sa richesse culturelle ; ce sont les artistes italiens à Malá Strana sous la Renaissance, les communautés allemandes et juives jusqu’à 1945 et, aujourd’hui, les nombreux expatriés qui vivent dans la capitale tchèque. De 1848 à 1989, le monde universitaire a joué sa partie à chaque moment-clé de l’histoire tchèque.