Nazis en Bohême : des plans à court terme, des plans à long terme

Les troupes allemandes entrent à Prague le 15 mars 1939

Alors qu'une exposition à Prague rappelle la vie sous le régime nazi dans les pays tchèques et les 70 ans du décès du chef du protectorat Heydrich à la suite d’un attentat réalisé par la résistance tchèque, nous vous proposons de revenir sur la vie des membres du parti nazi dans le protectorat de Bohême-Moravie, et plus particulièrement sur l’un des principaux protagonistes : Adolf Eichmann.

Les troupes allemandes entrent à Prague le 15 mars 1939
Question slave, question tchèque, voici des aspects méconnus de l’idéologie des nazis et de leurs projets en Europe centrale et orientale. Certes, et c’est la différence avec la question juive, lorsque Heydrich évoque ses projets pour l’avenir des Slaves, il s’agit surtout de mobilisation idéologique. Nous sommes dans un plan à long terme, repoussé à l’après-guerre.

Mais on sait aussi que l’une des spécificités du nazisme, c’est ce passage si rapide du verbe à la réalité, du fantasme idéologique à la réalisation pratique. Le journaliste Stanislav Motl évoquait avec nous la question slave :

« Dans le Protectorat de Bohême-Moravie, les Tchèques étaient divisés en trois groupes. En premier, les irrécupérables. Pour eux, c’était la liquidation immédiate. C’était le cas des Juifs, des communistes, des sociaux-démocrates et des intellectuels. Liquidation. Le deuxième groupe devait être épargné et rester en vie. Mais ces gens devaient être enrôlés pour le travail forcé, de la Mer du Nord jusqu’à la Patagonie en Amérique latine. Et puis il y avait un troisième groupe : celui des Tchèques germanisables. »

S’il s’agissait là d’un plan à long terme, Stanislav Motl rappelle que des examens raciaux avaient déjà commencé à être pratiqués pendant la guerre :

« Des tests ont commencé à être entrepris par les nazis. Je repense à l’un de ses protagonistes. C’était le chef des Jeunesses hitlériennes pour la Bohême-Moravie. Puis il est devenu le secrétaire personnel de Reinhard Heydrich. Après la guerre, il fera carrière au Bundestag, le Parlement ouest-allemand. Il fut député jusqu’aux années 1970. Il avait écrit une thèse sur la manière de germaniser la nation tchèque. Il y soutenait par exemple que les plus aptes à cette germanisation n’était pas les habitants de Bohême mais les Moraves. »

Et ces tests concernaient autant les adultes que les enfants...

« Il y a eu aussi des tests sur les enfants. Cela a commencé par exemple avec Lidice (1942). Lorsque les enfants, séparés de leurs mères, furent emmenés à l’école, on leur dit qu’on pratiquerait sur eux des tests. C’était une équipe de médecins de Prague qui devait s’en occuper. Ils devaient mesurer les têtes,etc... On a beaucoup écrit sur ce sujet, mais surtout en Allemagne. A la mort d’Heydrich, une fondation à son nom est créée, qui doit s’occuper de l’évaluation de la qualité raciale des Tchèques. Il y a des histoires folles. Comme par exemple ce médecin qui travaillait à la germanisation des Tchèques. Il vivra ensuite en RDA, Allemagne de l’Est, dont il deviendra le chef de la délégation auprès de Staline... »

Pour les Juifs, la question devait en revanche trouver une réponse immédiate et ce sera le génocide, déjà bien avancé avant même la fin de la guerre. D’où cette idée, connue mais encore sujette à débat parmi les historiens, de la fondation, par les nazis, d’un musée de la race disparue à Prague. Pour Stanislav Motl, la réalité de ce projet ne fait aucun doute.

« Cette histoire de projet d’un Musée juif à Prague est avérée. Il s’agissait, dans l’esprit de ses concepteurs, d’une sorte de skanzen de la race disparue ! Beaucoup de pièces devaient provenir de Pologne, d’Ukraine, etc... De pays où la communauté juive était importante avant guerre ».

Pourquoi Prague ?

« Prague était perçue comme une ville allemande par excellence. C’était la Golden Stadt, la ville dorée. C’était donc un choix symbolique. Aux yeux des nazis, Prague représente d’abord une vieille ville allemande, une ville des origines. Ils ne se sentaient pas à l’aise à Varsovie, ou même à Moscou. Mais Prague était leur ville. Par une ironie de l’histoire, Prague est aujourd’hui un centre du patrimoine juif en Europe à cause de ce projet. C’est parce qu’ils voulaient y établir ce musée que les nazis épargnèrent de la destruction la plupart des monuments juifs à Prague ».

En 1946, nous l’avons vu, dans un précédent chapitre, les autorités tchécoslovaques déclarent n’avoir rien à reprocher à Eichmann sur leur territoire. Plus généralement, il est encore inconnu jusqu’aux années 1950. Pourtant, il eut un rôle direct en Bohême-Moravie et pas seulement en Pologne ou Hongrie, comme en témoigne l’historien Michal Frankl :

Adolf Eichmann
« Le rôle d’Eichmann dans le génocide des Juifs tchèques est aujourd’hui bien connu et largement documenté dans la littérature. Cela dans deux domaines. Tout d’abord, Eichmann participa à la création de l’Office pour l’Emigration des Juifs à Prague en 1939, fondé sur le modèle de l’Office viennois, qui était une oeuvre d’Eichmann. Il avait amené à Prague quelques membres de son équipe. Au début, Eichmann dirigeait officiellement l’Office à Prague même si, en fait, il n’a jamais vraiment vécu dans la capitale tchèque » .

Mais la réelle portée de la responsabilité d’Eichmann dans le génocide juif appraît en filigrane dès avant la tenue de son procès à Jérusalem, en 1961.

« Plus tard, quand il est découvert, dans les années 1950 - on ne savait encore rien sur lui - il devient, à côté de Mengele, l’icône de la Solution finale de la question juive. C’est alors que certains historiens tchèques, comme Václav Král, font le lien entre Eichmann et Heydrich. La deuxième implication d’Heydrich dans le sort des Juifs Pragois se trouve au ghetto de Terezín. Le ghetto était placé sous la responsabilité des SS. Eichmann s’y rendait assez souvent et avait beaucoup d’influence sur le développement du ghetto. Il y possédait un bureau, que les détenus devaient nettoyer ».

« L’un des détenus les plus âgés de Terezín, Benjamin Murmurstein, se rappelait très bien d’Eichmann. De manière symptomatique, Murmurstein, témoin-clé, ne sera pas invité à Jérusalem lors du procès Eichmann en 1961. En effet, il représentait un aspect encore tabou en Israël à cette éqoque : celui des Conseils juifs, créés dans les ghettos par les Allemands. Ces Conseils passaient pour avoir collaboré, ce qui, dans la réalité, ne fut pas vrai ».


Rediffuison du 18/05/11