Paris-Prague 1968 ou les comparaisons abusives

Paris, 1968

Le 22 mars dernier, la France a célébré les débuts du mouvement de mai 68, dont on commémore cette année le 40ème anniversaire. Ce jour-là, les étudiants de Nanterre occupaient la faculté. Au même moment, le Printemps de Prague se développait. Et dans les deux pays, c’était l’image de deux jeunesses révoltées, un symbole qui est resté dans la mémoire collective. Un symbole plus qu’une réalité pourtant…

Paris,  1968
En septembre 1968, Karel Bartošek et ses amis sont rudement accueillis à Paris, se faisant traiter de pro-capitalistes par de jeunes agités. Ce professeur d’histoire de 38 ans avait remis en question la version officielle du récit de la libération de Prague dans ses livres. Après sa participation au Printemps de Prague, il est exclu du Parti. Conspué par ces jeunes extrémistes parisiens, il devait sans soute se sentir comme à la maison !

Paris,  1968
Précisons qu’il s’agissait là d’un groupuscule révolutionnaire isolé, les mouvements troskystes français ayant généralement bien accueillis, au nom de la lutte contre la bureaucratie stalinienne, la vague de contestation tchécoslovaque. Pourtant, l’épisode symbolise les malentendus qui se sont tissés, dans la mémoire collective, entre le mois de mai à Paris et le mois d’août à Prague.

Au-delà du ciment magique de l’année 1968, quoi de commun entre les deux jeunesses à ce moment-là ? Penchons-nous sur ce qu’elles lisent.

A Prague, jeunes et moins jeunes profitent de la relative libéralisation, qui permet à de nombreuses revues de paraître ou de reparaître. Revues littéraires, qui peu à peu, font ressortir des oubliettes les écrivains tchèques et occidentaux autrefois interdits. Revues littéraires qui jouent également et à l’occasion le rôle de revues politiques.

On y parle ainsi des modalités d’une réforme possible, d’un socialisme à visage humain, expression restée célèbre. Mais derrière des propos finalement conventionnels, des intellectuels appartenant au Parti font preuve de la plus grande lucidité. Un philosophe écrit ainsi : «Aucun groupe au pouvoir ne quittera le pouvoir de son plein gré. Il remplacera les méthodes de domination discréditées par d’autres, plus perfectionnées, mais au fond avec les mêmes moyens. » La nécessité d’une démocratie pluraliste est déjà mûre en 1968. L’historien François Fejtö résume bien la tournure que prend, tout au long des années 60, un mouvement issu du Parti. Le printemps de Prague ? « Une tentative parmi les dernières de sauver le système communiste en le rénovant ou, éventuellement, de s’en débarasser. »

Mais l’important n’est pas là : la jeunesse tchèque s’ouvre à nouveau sur l’occident. L’accès à la culture de l’ouest, théâtre, livres, musique, voilà ce qui importe le plus au jeune tchèque de 1968. On est, à Prague, bien plus proche du flower-power de San Fransisco que des barricades et des pavés parisiens. Le jeune hippie de Prague se brosse complètement des cours de marxisme-léninisme dispensés à l’Union de la Jeunesse !

A l’inverse, les étudiants de mai 68 sont hyper-politisés et Pierre Grémion qualifie, non sans amusement, le mouvement d’«été de la Saint-Martin du marxisme». Une revue comme «Tel Quel» représente bien ce tout-politique qui caractérise aussi mai 68.

Lue par des par des intellectuels et des étudiants, cette revue est fondée en 1966 par Philippe Sollers et Jean-Louis Baudry. Ces derniers optent pour la révolution culturelle maoïste. Malgré leur fascination pour l’anti-autoritarisme, ils se rapprochent même un temps du PCF. Face à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars du Pacte de Varsovie en août, la revue ne bronche pas, alors que d’autres, comme les « Lettres Françaises », réagissent.

Le fossé est de taille : tandis que les étudiants parisiens fustigent le capitalisme, la jeunesse pragoise est avide de ce qui vient de l’ouest. Il s’agit d’ailleurs moins de biens matériels que de culture. Au niveau du Parti, des réformistes comme Ota Sik proposent de réintroduire la notion de marché de manière contrôlée dans l’économie.

Miss Prague,  1968,  photo: CTK
Malgré tant de divergence on peut poutant déceler ici et là des points communs entre les deux jeunesses de 1968. Et notamment la thématique sexuelle. Paris, janvier 1968, le ministre de la Jeunesse et des Sports, François Missoffe, vient inaugurer la piscine de Nanterre. A Cohn-Bendit, encore inconnu mais déjà goguenard, qui lui demande ce qu’il compte faire pour les problèmes sexuels des étudiants, le ministre lui répond de plonger dans la piscine ! A quoi le futur leader étudiant réplique que c’est là une réponse typiquement fasciste !

Durant les années 60, la thématique sexuelle est également présente dans les revues tchécoslovaques ou les happenings, nous l’avons déjà évoqué sur nos ondes. Ecrivains et artistes brisent volontiers les tabous de l’austérité officielle. Il faut dire que, sous le régime de Novotny, un rien suffit à être traité de pornographe, un baiser dans un roman par exemple !

Entre mai 68 et le Printemps de Prague, les différences sont nombreuses car origines, contextes et buts des deux mouvement n’ont rien à voir. Reste une lutte commune contre la sclérose : celle, en France, d’une société conservatrice et d’un enseignement dépassé, et en Tchécoslovaquie, d’un régime qui tarde à déstaliniser et d’une idéologie qui ne dupe plus personne.

Il faut enfin se souvenir que le côté spectaculaire des émeutes parisiennes avait quelque peu occulté, aux yeux de l’opinion publique, les événements cruciaux qui se déroulent à Prague au même moment. On s’y intéresse beaucoup plus après la répression qu’avant.