Quand Prague grandissait

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Nous nous penchons aujourd’hui sur un épisode déterminant pour comprendre le visage actuel de Prague : le rattachement de ses faubourgs au tournant des XIXème et XXème siècles. Phénomène majeur dans l’histoire de la capitale tchèque, qui n’a connu d’ « haussmannisation » locale qu’avec l’assainissement du quartier juif. Une évocation d’actualité, puisque le patrimoine industriel de ces anciens quartiers ouvriers est aujourd’hui revalorisé. Une quête d’identité qui prend sa source dans les années 1880...

La Prague que nous arpentons de nos jours remonte à la fin du XIXème siècle. L’affirmation est péremptoire certes. Non, chers auditeurs, nous ne passons pas dix siècles d’histoire sous silence ! Mais c’est à partir des années 1880 que le noyau proprement urbain de Prague commence à prendre la dimension qu’on lui connaît aujourd’hui.

C’est de 1883 à 1901 que le premier cercle des faubourgs est intégré à la ville, soit Holešovice et Libeň. Un projet avait été formulé pour étendre les limites administratives aux autres faubourgs mais il restera, pour l’heure, lettre morte. On le verra plus tard, ce n’est que partie remise… Une légende tenace voudra que ce soit Vienne qui s’y soit opposée mais les Habsbourg ne sont pour rien dans cette affaire ! La raison de cet échec est plus terre-à-terre : les communes de Smíchov et de Karlín craignent tout simplement une augmentation de leurs impôts fonciers en cas d’annexion.

Le terme de « commune » se révèle d’ailleurs déjà impropre puisqu’à partir des années 1870, elles bénéficient du statut de ville, ce qui facilitera, plus tard, leur intégration à Prague. La rapide augmentation de la population pragoise à la fin du XIXème siècle a sans doute motivé le rattachement de ces anciennes communes. L’évolution est symboliquement annoncée par la destruction des remparts de la Nouvelle Ville, vers 1875. Désormais la séparation entre la ville et les faubourgs se fait moins de moins en moins nette.

L’annexion des quartiers périphériques est riche de promesses démographiques. Il suffit d’évoquer les chiffres. Dans les années 1880, la population de Prague intra muros s’élève à environ 160 000 habitants tandis que celle des premiers faubourgs réunis – Smíchov, Karlín, Vinohrady, Holešovice et Žižkov – totalise près de 90 000 personnes, soit plus de la moitié.

Ce sont, pour la plupart, des quartiers de grande industrie et à forte population ouvrière. Avec le rattachement, on aurait pu croire à une plus grande mixité sociale mais c’est à une homogénisation par quartier qu’on assiste.

Il faudra attendre 1922 pour voir l’ensemble de ces anciennes communes devenir des quartiers de Prague. Mais dès la fin du XIXème siècle, elles se transforment elles-mêmes autant qu’elles transforment Prague. Le quartier de Vinohrady est à cet égard emblématique. Cet ancien site de vignobles est divisé en 1875 en deux entités : au nord, Žižkov s’impose comme une grande cité ouvrière, tandis qu’au sud, Vinohrady devient un quartier résidentiel et se couvre d’immeubles de rapport confortables et, on s’en doute, onéreux. De son côté, Holešovice, voit sa population doubler en dix ans sous l’impulsion de l’Exposition universelle qui s’y tient en 1891. On peut encore en admirer le complexe, qui a été conservé.

František Langer
L’écrivain František Langer, qui a vécu à Vinohrady, exprime en termes allégoriques le fulgurant développement de son quartier : « le nouveau faubourg s’accroissait sauvagement et s’étendait dans toutes les directions. C’était une créature toujours affamée, se ruant toujours sur une nouvelle proie. ». A la fin du siècle, le centre historique de Prague se vide peu à peu de sa bourgeoisie, attirée par ces quartiers neufs et parfois riches. Ouvriers et modestes employés s’installent, quant à eux, dans les vieux édifices du centre. Si le rattachement progressif des faubourgs dynamise Prague, il modifie surtout sa topographie sociale. Un phénomène qui s’observe dans les autres grandes capitales européennes à la même époque.

Il faudra attendre l’indépendance tchécoslovaque pour voir Prague étendre ses limites administratives et, par l’intégration de tous les faubourgs, devenir la « grande Prague ». Le 1er janvier 1922, c’est chose faite. La nouvelle capitale de la nouvelle Tchécoslovaquie englobe désormais 37 communes et 19 arrondissements. Prague prend son visage moderne mais garde encore les traits d’une pittoresque diversité, certaines communes étant des villes à part entière, comme Smíchov, et d’autres conservant un caractère rural.

Mais bien vite, quelques problèmes pratiques se posent, ils n’ont d’ailleurs pas tellement changé depuis les premières tentatives d’extension, une trentaine d’années auparavant. Réapparaît ainsi le spectre de l’augmentation des impôts fonciers et de la taxe sur les produits alimentaires, celle-ci étant plus élevée à Prague que dans les anciennes communes. Toutes ces contraintes n’empêchent en tout cas pas l’aboutissement d’un projet de longue haleine.

Aujourd’hui, ces anciens faubourgs connaissent une seconde restructuration, qui, comme un siècle auparavant, devrait donner un coup de fouet économique à la capitale tchèque. La revalorisation du patrimoine passe aussi par un retour vers l’identité historique de ces quartiers. Nous nous sommes rendus dans l’un d’entre eux.

« Quand on se balade aujourd’hui à Holešovice, on a parfois l’impression de revenir au temps de la conquête industrielle. Comme ici, au coin des rues Kommunardů et Tusařova avec cette première usine de thermomètre à eau, parfaitement conservée et construite en 1884 - c’est inscrit sur la façade en brique rouge -, c’est-à-dire au moment du rattachement du quartier à Prague. Elle a été magnifiquement rénovée, avec un petit jardin de roses, passé le portail, qui n’est pas sans évoquer une vision idéalisée des petits lopins de terre ouvriers du XIXème siècle. La cheminée est toujours là, une vision plutôt inattendue et loin d’être sinistre. En haut, elle est recouverte d’une mosaïque alternant briques rouge et noir. On voit aussi une petite mezzanine extérieure avec de petites pyramides en verre. Cette usine illustre bien la revalorisation du patrimoine industriel dans ces anciens faubourgs. Une remise à neuf au goût du jour par des architectes, dans le but d’aménager des commerces qui respectent l’identité du lieu. Ainsi, dans l’usine devant laquelle nous nous trouvons, une partie du bâtiment abrite une boutique proposant des services de photocopie. Comme par magie, à Holešovice comme ailleurs, ces anciennes usines s’intègrent avec harmonie au quartier à ses immeubles Art nouveau. ».