Rostislav, prince morave à l'origine de la mission de Cyrille et Méthode

Rostislav, photo: Musée national slovaque

En 2013, l'Europe chrétienne commémore le 1150e anniversaire de la mission d'évangélisation des saints Cyrille et Méthode : deux apôtres originaires de Salonique venus en 863 dans l'Empire de Grande Moravie pour christianiser les populations locales dans une langue slave. Une messe célébrée au Vatican, une série télévisée qui sortira sur le petit écran à l'occasion de la fête nationale de Cyrille et Méthode, le 5 juillet, et d'autres événements culturels et religieux sont dédiés aux frères missionnaires que le pape, Jean-Paul II, avait proclamés, en 1985, co-patrons de l'Europe. Un peu plus dans l'ombre des deux apôtres, le prince morave Rostislav sans lequel il n'y aurait eu ni l'invitation, ni moins encore, la mission d'évangélisation.

Rostislav,  prince morave,  photo: Musée national slovaque
Canonisé en 1994 par l'Eglise orthodoxe de Tchéquie et de Slovaquie, Rostislav est le deuxième prince morave, après Mojmír, à avoir régné de 846 à 870 à la tête de la Grande Moravie. Le premier Etat slave qui ait vu le jour sur notre territoire s'étendait, à l'ouest, au-delà de l'actuel Plateau tchéco-morave, jusqu'à la Slovaquie orientale et une partie de la Hongrie, à l'est, ainsi que le raconte l'historien Vladimír Vavřínek :

« Le Danube forme alors la frontière entre le royaume des Francs orientaux et les territoires slaves. Les rois francs cherchent à s'assurer une supériorité sur les régions voisines, notamment après 843, lorsque la Francie orientale échoit à Louis le Germanique, un des petits-fils de Charlemagne. Rostislav, qui prend le pouvoir en Grande Moravie en 846 est chrétien, et il a prêté serment de fidélité au roi de Francie. Après avoir étendu son influence, Rostislav se fixe un objectif ambitieux : faire de la région héritée de Mojmír un Etat fort et indépendant du royaume des Francs orientaux. »

Michel III
Dans la première moitié du IXe siècle, des missionnaires francs pénètrent en Moravie depuis les évêchés de Ratisbonne et de Passau. Vers 860, Rostislav se décide à demander l'appui du pape Nicolas 1er pour renforcer son Etat et limiter la dépendance de l'épiscopat bavarois. Devant le refus du pape pour l'organisation d'une province ecclésiastique morave autonome, Rostislav se tourne vers le deuxième centre du christianisme en Europe qui se trouve alors à Constantinople. L'empereur byzantin, Michel III, se montre très ouvert envers son appel et lui envoie une mission chrétienne. Ainsi, au début de 863, Rostislav reçoit dans la ville résidentielle de Grande Moravie, Veligrad, deux missionnaires expérimentés qui avaient déjà introduit le christianisme en Dalmatie, en Hongrie, en Pologne et en Crimée :

« N'oublions pas que la Moravie, à l'époque, est pour les Romains la « terre des Barbares » c'est-à-dire hors de leur autorité et qu'elle est en même temps bien éloignée de Byzance. D'autre part, l'empereur Michel est d'accord pour déléguer en Moravie une mission chrétienne, mais avant encore, il veut se persuader que les conditions de création d'une Eglise autonome sont bien réunies. Ainsi donc arrivent en Moravie les deux frères grecs originaires de Salonique où le vieux slave était couramment parlé, après le grec. Leur mission consiste à former des prêtres et à préparer le pays à la création d'un diocèse. »

Cyrille et Méthode,  photo: Radio Prague
A l'arrivée de Cyrille et Méthode en Moravie, l'archevêque de Passau est chassé par Rostislav. Le clergé latin reste présent et le christianisme est propagé selon le rite occidental. Le tournant qui se produit est inattendu et aura des répercussions religieuses, culturelles et politiques de longue durée, comme le souligne Vladimír Vavřínek :

« Cyrille, qui s’appelait à l’origine Constantin avant de devenir moine, décide que si la parole de Dieu doit être révélée au peuple barbare, il faut apporter une langue compréhensible à l'ensemble de la population locale. Pour parvenir à ses fins, Cyrille invente un alphabet glagolitique qui permettra aux frères de créer une langue écrite, le vieux slave appelé aussi le slavon, et de traduire dans cette langue l'Ancien Testament. Au Moyen-âge, c'était la seule traduction de la Bible dans une langue vernaculaire, à l'exception de celle entreprise au IVe siècle par Wulfila dans la langue des Goths. Pendant leur séjour en Grande Moravie, les apôtres de Salonique terminent la traduction des liturgies ce qui permettra de célébrer les cérémonies religieuses en langue slave et non plus en latin comme cela était le cas jusque là. Ils rédigent aussi le premier code civil slave. La traduction des Evangiles et des textes liturgiques favorisera un rayonnement du christianisme, permettra à Cyrille et Méthode d’ordonner prêtres eux-mêmes les sujets de l'Etat de Grande Moravie et facilitera la formation de nombreux disciples locaux. »

Grande Moravie,  photo: Wikimedia Commons Free Domain
En 1994, l'Eglise orthodoxe de Tchéquie et de Slovaquie qui se considère comme héritière de la mission de Cyrille et Méthode a canonisé le prince morave Rostislav. En quoi consiste la sainteté de ce dernier ? La question est posée au secrétaire de l'Eglise orthodoxe, Ondřej Chrást:

« En canonisant Rostislav, nous avons voulu attirer l'attention sur la personne de celui qui se trouve derrière la mission de Cyrille et Méthode, qui est l'artisan même de l'œuvre d'évangélisation. L'importance de cette mission réside dans l'utilisation d'une langue locale, le vieux slave. Les différentes missions ayant déployé leurs activités en Grande Moravie avant l'arrivée de Cyrille et Méthode y propageaient le christianisme selon le rite occidental, dans trois langues officiellement reconnues : le grec, l'hébreu, et le latin. Rostislav est le premier souverain qui a compris, avec l'aide du patriarche érudit de Constantinople, Photios, qu'on ne pouvait pas prêcher l'Evangile sans une langue compréhensible par les populations locales. »

Vladimír Vavřínek,  photo: fratelli franciscani,  Google+
La mission des deux frères terminée, les conflits entre la Grande Moravie et le royaume des Francs s'aggravent. Rostislav est victime d'une trahison et sa vie se termine sans gloire. Vladimír Vavřínek raconte :

« En 864, Rostislav est assiégé par les Francs au château de Děvín et est contraint de capituler. Cela ne l'empêche pas de continuer à œuvrer en vue d'une indépendance politique de son Empire. Mais à partir de 867, la situation change à Constantinople, Michel III est assassiné et le patriarche Photius démis de ses fonctions. Cyrille et Méthode se rendent alors auprès du pape à Rome où Cyrille meurt, en 869. L'année suivante, Méthode est nommé archevêque en Pannonie. Appelé à Rome en 880, il est consacré évêque de la Grande Moravie et c'est ici qu'il meurt, en 885. L'empire de Rostislav est pillé par les troupes de Louis le Germanique. Victime d'une trahison de la part de son neveu, Svatopluk, Rostislav est livré aux Francs, traduit devant le tribunal, rendu aveugle et il finit ses jours dans un couvent. »

Prince Svatopluk
Sous le règne du prince Svatopluk, l'essor de l'Empire de Grande Moravie atteint son apogée, incluant, en plus de la Moravie, la Slovaquie, la Bohême, une partie du territoire des Serbes de Lusace, la Silésie, la région de Cracovie et celle du lac Balaton en Pannonie. Après la mort de Méthode, Svatopluk interdit la liturgie slave et chasse ses disciples du pays. Ces derniers trouvent refuge en Croatie et en Bulgarie, d'où leur culture se propage vers la Russie. Après 906, les sources historiques ne font plus mention de la Grande Moravie. Le latin est rétabli comme langue d'Eglise. Un double culte, en latin et en vieux-slave, subsiste pourtant dans le pays. Les héritiers de la liturgie de Cyrille et Méthode sont, entre autres, le monastère de Sázava, en Bohême centrale, le monastère d'Emmaüs de Prague ou le monastère de Rajhrad en Moravie du sud.