Une tradition tchèque des timbres présidentiels

Photo: ČT24

C’est une bien étrange tradition, qu’on retrouve seulement dans quelques pays, en Slovaquie, en Estonie, dans certains régimes autoritaires, ou bien donc en République tchèque : à chaque nouveau président, un timbre à son effigie est édité. Un usage en vigueur depuis 1920 et l’édition d’un timbre à l’effigie de Tomáš Garrigue Masaryk, un usage qui permet de traverser un siècle d’histoire tchèque et slovaque.

Une survivance de la monarchie

Martin Říha,  photo: Ondřej Tomšů
Aussi bizarre que cela puisse paraître, de nombreux Tchèques, et avant eux des Tchécoslovaques, ont donc pu occasionnellement lécher le visage de leur plus haut dirigeant, en tout cas le timbre à son effigie, avant de l’expédier au destinataire de leur choix. Peu nombreux sont les pays à permettre une telle pratique et, Martin Říha, du Musée de la poste, explique pourquoi :

« Ces pays sont peu nombreux parce que cette tradition a en fait été créée artificiellement. Traditionnellement, ce sont des monarques, des rois et des reines qui apparaissent sur les timbres postaux, et cela dès 1840, quand le timbre est apparu et qu’on a utilité l’effigie de la reine Victoria, en tant que symbole de l’Etat et de la puissance de l’Empire britannique. C’est là qu’est née une tradition qu’a respectée la monarchie. Et, en fait, cela a été une survivance au moment de la République, puisque le président était élu et qu’il ne pouvait plus jouer le même rôle. »

Sous la Première République tchécoslovaque, le président est élu par les membres du Parlement. La première élection organisée en accord avec les règles de la constitution régissant le nouvel Etat a lieu à la fin du mois de mai 1920. Déjà élu par acclamation par les membres de l’Assemblée nationale née peu après la déclaration d’indépendance en novembre 1918, Tomáš Garrigue Masaryk est réélu avec une large majorité pour un premier mandat de sept ans, renouvelé en 1927 et en 1934.

Un timbre pour tous les présidents, ou presque

Photo: ČT24
Après Masaryk, qui abdique en 1935, tous ses successeurs au poste de président de la République, en Tchécoslovaquie comme en Tchéquie, ont donc eu droit à l’édition d’un timbre à leur effigie, et parfois même à plusieurs reprises, en cas de réélection. Tous ou presque, comme le précise Martin Říha :

« Il y a eu un timbre pour chacun des présidents, à l’exception d’Emil Hácha. Cela s’explique par l’évolution de la situation avant la Seconde Guerre mondiale et pendant le conflit. Emil Hácha a été élu en novembre 1938, après les accords de Munich, au début de la Deuxième République tchécoslovaque. Il y avait alors bien d’autres soucis. Ensuite, cela a été l’époque du protectorat allemand de Bohême-Moravie et ces timbres n’avaient pas la moindre chance d’être édités. »

A l’inverse, d’autres chefs de l’Etat ont eu droit à la confection d’un timbre… dont l’édition n’a jamais été rendue publique. Le portrait à reproduire, aujourd’hui généralement une photographie, est en effet choisi très rapidement après une élection par le nouveau président et son équipe. Mais s’engage ensuite un processus de plusieurs mois, parfois de plusieurs années, avant que le timbre présidentiel ne voie effectivement le jour et la couleur d’une enveloppe. Et durant cette longue période, il peut s’en passer des choses. Le second timbre à l’effigie de Ludvík Svoboda, réélu au poste de président de la République socialiste tchécoslovaque en 1973, a fait les frais de cet inévitable délai :

« Il y a une rareté intéressante avec le timbre de Ludvík Svoboda en 1975. Ce timbre était prêt et imprimé, mais le président a été démis de ses fonctions en raison de son état de santé et il a donc été décidé de jeter ce timbre à la poubelle. L’édition était énorme, parce qu’à l’époque, ces timbres étaient édités à plusieurs millions d’exemplaires, et tous ont été jetés à la poubelle. Mais bien sûr, certains exemplaires ont pu échapper à la destruction et, dans ce cas, ces timbres ont ensuite pris une grande valeur. »

Une œuvre d’art

En général toutefois, du fait de la quantité énorme de timbres mis sur le marché lors d’une émission, les timbres présidentiels n’ont pas une grande valeur pour les collectionneurs. Leur confection est cependant généralement confiée à des artistes reconnus. C’était le cas pour le timbre conçu pour Tomáš Garrigue Masaryk en 1920. Martin Říha :

« La tradition des timbres tchécoslovaques reposent sur le fait que des artistes fameux ont été sollicités pour leur création. Par exemple, le portrait de Masaryk a été créé en 1920 par Max Švabinský. Sur la base de ce portrait, les graveurs Eduard Karel, Karel Seizinger ou Bohumil Heinz ont réalisé des gravures impeccables, sur la base desquelles ont été imprimées des gravures sur acier. Plus tard, les portraits ont été réalisés sur la base de photographies. C’est le cas ces derniers temps, à l’exception du portrait de Václav Klaus, conçu par Václav Kulhánek. Mais ce projet de timbre a dû être refait car il n’était pas assez ‘digne’ entre guillemets, et donc son édition a été retardée. »

La découverte des timbres présidentiels est ainsi une entrée comme une autre pour se plonger dans l’histoire de la politique, de l’art, ou des techniques des pays tchèques depuis un siècle. C’est ce qu’ambitionne de montrer une exposition créée à l’occasion du centenaire de la Tchécoslovaquie et visible au Musée de la poste à Prague à partir de la mi-novembre prochain.