En voyage avec Franz Kafka

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Les vacances sont là et c’est le temps des voyages. Cette émission se veut aussi une invitation au voyage, un voyage littéraire en compagnie de l’homme qui a révolutionné la littérature du XXe siècle. C’est grâce à Judita Matyášová et Jan Jindra, auteurs d’un livre sorti aux éditions Academia, que nous pouvons retracer aujourd’hui les voyages de Franz Kafka et voir sur les photos l’état actuel des lieux que l’écrivain a visités.

En feuilletant le livre « En voyage avec Franz Kafka », le lecteur se rend compte que le grand écrivain n’était pas ce qu’on appelle un sédentaire. Une soixantaine de photos de Jan Jindra avec des commentaires de Judita Matyášová montrent des villes, des villages, des maisons, des appartements et des paysages liés au nom de l’auteur du « Procès » et du « Château ». Tous ces lieux sont mentionnés dans les documents sur la vie et l’œuvre de Kafka. Cette suite de photos forme un ensemble qui est aussi une espèce de biographie. Elle raconte à sa manière la vie d’un homme qui malgré sa gloire posthume reste encore un célèbre inconnu. Pour l’auteur des textes de ce livre, Judita Matyášová, il n’a pas été facile de faire le choix des localités photographiées, choix qui devaient obéir à deux critères :

« Il devait y avoir encore quelque chose d’authentique de l’époque de Kafka qui était photographiable et il fallait trouver aussi quelque chose comme l’histoire du site photographié. Nous avons décidé de présenter les voyages de Franz Kafka dans l’ordre chronologique. Mais bien sûr le lecteur n’est pas obligé de respecter cet ordre et peut sauter d’un passage à l’autre. Nous y présentons 65 lieux visités par Kafka qui sont situés à Prague et en Bohême, mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Italie, en France et en Suisse. »

Nous pouvons donc suivre pas à pas l’existence de l’écrivain depuis son début dans la Vieille-Ville de Prague. Nous découvrons les localités que des membres de sa famille ont habité bien avant sa naissance, sa maison natale, les écoles qu’il a fréquentées, les appartements qu’il a habités. Le livre nous amène dans les villages de Roztoky et de Liběchov où le petit Franz passait ses vacances, dans les cafés et les théâtres de Prague. Certaines maisons sont délabrées ou complètement remaniées mais il y en a beaucoup qui ont gardé leur aspect du début du XXe siècle. Judita Matyášová rappelle que d’autres maisons dans lesquelles s’est déroulée la vie de Franz Kafka ont été démolies ou sont menacées de démolition :

«Je dois dire que nous avons réussi à photographier deux endroits à la dernière minute. Il s’agit de l’ancien bureau de Franz Kafka à la Caisse d’assurance Generali, place Venceslas à Prague, et la seconde localité se trouve en Allemagne, à Graal-Müritz. Il s’agissait d’une espèce de colonie de vacances où Kafka a rencontré son dernier amour, Dora Diamant. C’était deux ou trois baraques en bois et la ville avait besoin de ce terrain pour y faire des travaux de construction. Les baraques ont donc été démolies.»


Franz Kafka aimait voyager. Il a entrepris plusieurs voyages avec son ami Max Brod et son frère Otto. C’est avec eux qu’il s’est rendu à Riva del Garda en Italie en 1909 et à Paris, ville qui l’a beaucoup impressionné et qu’il a visitée successivement dans les années 1910 et 1911. Sur les photos, l’hôtel où l’écrivain est descendu lors de sa deuxième visite de la capitale française est pratiquement inchangé, mais il faut dire que la photo a été prise juste avant une reconstruction générale de l’immeuble. Parmi les autres destinations de Franz Kafka il y avait par exemple Vérone, Venise, Zurich, Lucerne, Berlin, Dresde, Weimar et Vienne. Cependant, Judita Matyášová ne voulait pas consacrer son livre uniquement à Kafka:

«Le livre est, si j’ose dire, beaucoup plus complexe parce qu’il montre la situation historique et la gloire des sites que l’écrivain a visités. En ce qui concerne la personnalité du romancier, j’ai été surtout intriguée par le fait qu’il ne s’intéressait pas seulement à la culture comme d’aucuns pourraient le penser mais que l’éventail de ses intérêts était beaucoup plus large.»


Les intérêts de Franz Kafka étaient nombreux. Il s’intéressait vivement à toutes les inventions modernes, par exemple au cinéma ou aux avions. C’est à Brescia en Italie qu’il a fait son unique reportage après avoir assisté à un meeting aérien qui lui a permis de voir pour la première dans sa vie les «aéroplanes» et les aviateurs dont le célèbre Blériot. La photo de Brescia permet à Judith Matyášová de rappeler une autre facette de la personnalité du romancier:

«Ce qui est intéressant de savoir dans ce contexte, c’est que le travail que Franz Kafka exécutait l’obligeait à penser comme un technicien. Il devait examiner les détails techniques de diverses machines et ce reportage fait ressortir justement ces aspects-là. Il suivait par exemple des cours de mécanique et son regard est donc celui de quelqu’un qui est assez instruit dans ce domaine.»

Les photos témoignent également de la partie moins connue de l’existence de l’écrivain, celle d’employé dynamique de la caisse d’assurance « Assicurazioni Generali » jeune homme qui, d’après Judita Matyášová, semblait promis à une brillante carrière:

«Son travail consistait surtout à examiner les conditions et la sécurité du travail dans les usines. Evidemment les usines étaient des propriétés privées. Les industriels payaient à la caisse d’assurance une certaine somme dont le montant était fixé selon certaines données. Mais la réalité était souvent bien différente de ces données officielles. Dans les usines il y avait par exemple des machines usées ce qui provoquait des accidents de travail. Le travail de Kafka n’était donc pas du tout rébarbatif, au contraire. Il a rapidement réussi à progresser dans sa carrière. On lui a confié les territoires de Bohême du Nord qui, à son époque, étaient très prospères. Surtout les villes de Liberec et de Jablonec étaient en ce temps-là de véritables puissances industrielles.»

A la fin du livre se multiplient des photos de sanatoriums où Franz Kafka s’est rendu pour soigner sa tuberculose. Nous savons aujourd’hui que c’était un effort voué à l’échec et que la maladie allait emporter l’écrivain à l’âge de 40 ans. Pour plusieurs générations de lecteurs Kafka personnifiera l’angoisse et la frustration. Le livre de Jan Jindra et de Judita Matyášová démontre cependant que l’auteur du Procès n’était pas qu’un ascète de la littérature replié sur lui-même mais un homme dont la vie était riche et variée, qui aimait les voyages et admirait le progrès technique et qui, malgré ses angoisses, restait ouvert au monde.