La Grand-mère à Noël

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Il y a des coutumes, des images, des chants, des histoires, des contes et des livres que Noël fait resurgir dans notre mémoire. Pour les Tchèques, l'un de ces livres qui exhalent l'atmosphère de vielles traditions et donc aussi celle de Noël, qui font resurgir ce qu'on appelle le bon vieux temps, et qui les ramènent à l'enfance de leurs arrière-arrière-grands-parents, c'est La Grand-mère de Bozena Nemcova. En ouvrant ce roman, on plonge directement dans le passé teint d'une douce illusion. La romancière, qui a vécu essentiellement dans la première moitié du XIXe siècle, a écrit ce livre fondamental de la littérature tchèque à un moment bien difficile de sa vie. Face à la misère et à la maladie, elle s'est réfugiée dans la belle période de son enfance, dans les années vingt du XIXe siècle, passée dans la contrée de Ceska Skalice en Bohême du Nord. En rendant un chaleureux hommage à sa grand-mère, personnification de la sagesse et de la gentillesse du peuple, elle a magnifié et idéalisé le temps de sa jeunesse sans lui ôter une multitude de détails réalistes qui composent une véritable chronique de la vie à la campagne tchèque. C'est avec la grand-mère de Bozena Nemcova que je vous propose de découvrir ces vieilles traditions dont certaines ont survécu jusqu'à nos jours.

Aujourd'hui encore les environs de la ville de Ceska Skalice, la contrée surnommée Vallée de Grand-mère, a quelque chose d'idyllique. Tout y rappelle des épisodes du roman de Bozena Nemcova - la vielle maison en bois au bord de la rivière qu'on appelait la Vieille blanchisserie, un vieux moulin du XVIIIe siècle ou le château de Ratiborice, une élégante bâtisse empire construite par la duchesse de Sagan qui, elle aussi, a servi de modèle à un des personnages du roman. Sous le nom de Madame la Princesse, elle y personnifie une aristocratie éclairée qui n'est pas indifférente au sort du peuple.

Imaginons donc tout ce petit monde, la grand-mère, sa petite-fille Barunka, personnage dans lequel la romancière s'est représentée elle-même, ses parents, sa petite soeur et ses petits frères, des chiens et des animaux domestiques, à la Vieille blanchisserie sous la neige. L'année touche à sa fin et Noël approche...


"C'était la coutume au moulin comme à la vénerie et aussi bien à la Vieille Blanchisserie, de donner à manger et à boire, tout son soûl à quiconque y venait les jours de Noël et de Fête-Dieu ; et plutôt que de n'y recevoir personne à table, grand-mère serait allé inviter un hôte sur le grand chemin. (...) Le jour de Noël tout être recevait son noël ; car la volaille et le bétail même avaient aussi leur part des gâteaux au jour. Après le souper du jour, la grand-mère prenait de chaque aliment qu'il y avait, un petit morceau dont elle jetait la moitié dans l'étang, tandis qu'elle enterrait l'autre moitié dans le verger au pied d'un arbre; c'était pour que l'eau reste pure et saine toute l'année, et la terre féconde; enfin elle jeta toutes les miettes dans le feu pour que cet élément ne fût pas nuisible."

Dans la chambre, les jeunes filles fondent du plomb et de la cire. On met de petites chandelles dans des coquilles de noix et on les fait voguer sur l'eau dans un bassin. Parfois on pousse secrètement le bassin pour agiter les coquilles qui représentent les barques de la vie. Chacun des membres de la famille a une coquille et quand ces petites barques se dirigent vers le milieux du bassin, les enfants sont contents parce qu'ils en déduisent qu'ils iront loin dans le monde. Puis on coupe aussi des pommes pour trouver à l'intérieur une étoile formée de pépins. Si l'étoile est intacte, cela signifie une longue vie.

"Est-ce que l'enfant Jésus nous apportera quelque chose?" demandèrent les enfants secrètement à grand-mère. (...) "Je ne peux pas le savoir; vous entendrez si l'on sonne," leur répondit la grand-mère. Les enfants se placèrent près de la fenêtre, pensant que le petit Jésus devait passer auprès, et qu'ils l'entendraient. "Comment ne savez-vous pas qu'on ne peut pas voir ni entendre l'enfant Jésus?" demanda grand-mère. "C'est au ciel qu'il est assis sur un trône de lumière et qu'il adresse aux enfants sages des cadeaux que portent ses anges en descendant sur des nuages d'or. Vous n'entendez alors que la sonnerie des clochettes."

Les enfants, impatients, n'arrêtent pas de regarder par la fenêtre tout en écoutant ce que la grand-mère leur dit. Et tout à coup une lumière mystérieuse inonde les fenêtres et l'on entend du dehors le son des cloches.

"Les enfants joignirent les mains, Adèle dit à demi voix. "Grand-mère, cette lumière c'était bien l'enfant Jésus, n'est-ce pas?" La grand-mère répondit par un oui. Au même instant, leur mère parut à la porte de la chambre, pour leur annoncer que l'enfant Jésus leur avait mis les cadeaux dans la petite chambre de grand-mère. C'en fut un remue-ménage, c'en fut aussi une joie quand ils virent un bel arbre de Noël orné, éclairé par une multitude de petites bougies, et chargé aussi d'une multitude de petits présents. La grand-mère ne connaissait pas cet usage ; il ne s'était point pratiqué dans son pays ; il lui plut pourtant; et même dès longtemps avant Noël elle rappelait à sa fille le soin de faire couper l'arbre et l'aidait à l'orner."

Après la distribution des cadeaux on entend résonner du dehors la trompe du berger, car Noël c'est aussi une fête des cantiques. Le berger joue d'abord la mélodie de son cantique et ensuite il chante lui-même : "Levez-vous pasteurs, à la bonne nouvelle que le Sauveur nous est né à Bethléem, dans une étable ..." Et la grand-mère sort pour mettre dans la gibecière du berger une jolie récompense.