Les œuvres complètes de František Langer: une grande aventure

František Langer

Trois maisons d’édition, Akropolis, Divadelní ústav et Kvarta, se sont associées pour publier les œuvres complètes de l’écrivain tchèque František Langer. Ce projet grandiose n’aurait sans doute jamais été réalisé sans l’énergie et la persévérance de l’éditeur et historien de littérature Vladimír Justl. Aujourd’hui le projet est achevé et les vingt tomes réunissant les ouvrages littéraires, la correspondance et autre textes de František Langer sont à la disposition de tous ceux qui s’intéressent à cet écrivain et dramaturge jadis célèbre injustement tombé dans l’oubli. Les éditeurs à l’origine de ce projet ambitieux ont obtenu le prix Magnesia Litera.

František Langer,  photo: CTK
Qui était František Langer? Quelle a été sa vie, quelle a été son œuvre? L’éditeur Vladimír Justl ne cache pas son admiration pour ce médecin militaire devenu un des plus grands dramaturges tchèques:

«J’avoue avoir depuis toujours un faible pour František Langer. Cette sympathie m’est venue quand j’étais encore très jeune. Cet écrivain visait d’une certaine façon mon âme. Il y a chez lui une espèce très particulière d’humanité, de compréhension pour le rapport entre la faute et le châtiment.»

František Langer est né en 1888 dans une famille juive où les traditions encore respectées étaient déjà en train de s’éteindre. La famille vit dans le beau quartier de Vinohrady et s’intègre rapidement à la société tchèque. Certes, le père de František lit encore à haute voix les prières en hébreux mais ne les comprend probablement plus. Ce marchand de spiritueux est membre d’une dizaine d’associations pragoises, y compris de Sokol, un mouvement qui réunit les patriotes tchèques épris de sport et notamment de gymnastique. František et son frère Jiří fréquentent des écoles tchèques et ont une passion commune – la lecture.

František commence à écrire dès le lycée. En 1907 à l’âge donc de 19 ans, il publie un conte, son début littéraire. Pendant ses études de médecine, il écrit des feuilletons et des critiques, mais aussi des contes et des vers pour de nombreux journaux et revues. Il s’impose bientôt dans la vie littéraire et se lie d’amitié avec de jeunes écrivains de l’époque. Il fréquente les cafés Demínka, Arco et Union et y rencontre les écrivains Jiří Mahen, Stanislav Kostka Neumann, Fráňa Šrámek, Karel Čapek, Viktor Dyk mais aussi des peintres et des sculpteurs de l’avant-garde. C’est avec Jaroslav Hašek que František Langer invente et créée en 1911 le célèbre «Parti du progrès modéré dans les limites de la loi», formation fictive qui leur sert d’instrument pour dénoncer et ridiculiser les défauts de la vie politique tchèque.

En 1914 il achève ses études de médecine et part dans la foulée à la guerre. Il déserte l’armée autrichienne en 1916 et devient médecin en chef du 1er régiment des Légions tchécoslovaques en Russie. Il épouse une Russe avec laquelle il reviendra après la guerre en Tchécoslovaquie, l’Etat qui vient de naître sur les ruines de l’Autriche-Hongrie. L’éditeur Vladimír Justl brosse un portrait quasi idéalisé de cet homme qui partageait sa vie entre la médecine, l’armée et la littérature:

«C’était avant tout un homme très noble. C’était aussi un militaire. Un homme qui ne vous affligeait jamais, qui voulait que les gens soient aimables les uns envers les autres et qui souffrait quand les gens ne se comportaient pas de cette façon. C’était un grand admirateur du président Masaryk, un grand fan de la démocratie. Il était d’origine juive mais c’est un élément qu’il ne prenait pas en considération, comme si ce genre de choses n’existait pas pour lui.»


Après une période néo-classiciste au début de sa carrière, František Langer change de thème et de style. De retour de la Grande Guerre, il commence à s’intéresser aux problèmes de la conscience, de la faute et du châtiment. Autant de thèmes qui s’imposent aussi dans sa création littéraire, dans laquelle il célèbre la vie des simples gens, leur héroïsme sans grandiloquence, leur solidarité. Il se joint aux écrivains de la génération dite «pragmatique» qui s’inspire du livre de Karel Capek « Le pragmatisme ou la Philosophie de la vie pratique ». Dès le début de sa carrière il cultive l’art du conte et publie tout une série de recueils de contes et nouvelles très appréciés par les lecteurs, parmi lesquels « Rêveurs et assassins », «Contes de banlieue » ou encore « Contes philatéliques », un livre qui mettra un point final à sa carrière littéraire et à sa vie.

C’est pourtant dans le théâtre que František Langer trouve le moyen d’expression qui convient le plus à son talent. Il est à l’aise aussi bien dans le drame que dans la comédie et ses pièces en font l’un des deux dramaturges tchèques le plus acclamés de l’entre-deux-guerres, une position qu’il partage avec Karel Čapek. Sa pièce intitulée «La Périphérie », dans laquelle il évoque d’une façon très originale le rapport entre la faute et le châtiment, sera jouée par de nombreux théâtres en Tchécoslovaquie et à l’étranger.

Menacé d’extermination pour son origine juive, František Langer émigre en 1938 en Grande-Bretagne, où il obtient, en tant que colonel, le poste de chef des services médicaux de l’Armée tchécoslovaque en exil. Il revient en Tchécoslovaquie après la guerre, monte en grade, devient général et reçoit le titre d’artiste national. Mais tous ces honneurs ne le protégeront pas de la disgrâce du régime après la prise du pouvoir par les communistes en 1948. Il se tait et ses livres, bien qu’ils ne soient pas interdits, ne paraissent que rarement. Il meurt en 1965.


František Langer
Aujourd’hui, l’édition des œuvres complètes de František Langer, la récolte de toute une vie, est achevée. La réalisation de ce projet a été un processus long et difficile. Vladimír Justl évoque quelques étapes de ce travail de fourmi :

«Nous avons commencé à publier ses œuvres complètes en 2000 mais nous avions préparé ce projet déjà quelques années auparavant. Le critique Josef Vohryzek avait encore participé aux premiers préparatifs. J’ai fait une espèce de premier projet, le professeur Jiří Holý y a ajouté ses notes et nous l’avons présenté au Conseil d’administration. Nous étions huit membres de ce conseil et nous nous sommes lancés à la recherche d’éditeurs. Les vingt volumes de ces œuvres complètes ont été préparés par treize éditeurs et trois traducteurs.»

Même lors des préparatifs à l’édition des œuvres les plus célèbres (contes, pièces de théâtre), il arrivait parfois aux éditeurs de découvrir des fragments de textes inconnus. Cependant, d’après Vladimír Justl, le plus important dans ce projet est probablement qu’il fait découvrir au lecteur d’aujourd’hui les textes écrits par František Langer pour des journaux et revues, son œuvre de publiciste.