Petr Kral : La poésie est une sorte de vibration intérieure qu'on traduit dans les langues

Petr Kral

Dans la première partie de l'entretien que Petr Kral a accordé à Radio Prague, il s'est présenté comme le poète des villes, comme un passant et observateur du paysage urbain qui s'arrête aussi pour écouter la pulsation des villes et partager leur vie quotidienne. Aujourd'hui, nous allons évoquer une autre facette de l'oeuvre de Petr Kral, un bilingue qui pendant de longues années a mené la double carrière de poète et de traducteur tchèque et français. Il n'a pas reculé non plus devant la traduction de la poésie, entreprise périlleuse à laquelle beaucoup de poètes renoncent par peur de nuire au charme fragile du poème original en le faisant passer d'une langue à l'autre.

Les difficultés et les pièges de ce genre de traduction n'ont pas découragé Petr Kral qui, déjà en 1990, avait publié aux éditions Belin une anthologie de la poésie tchèque moderne et a récidivé encore en 2002, chez Gallimard, avec « Anthologie de la poésie tchèque contemporaine. » Jadis les poètes français et tchèques entretenaient des rapports aussi vifs que fructueux. On connaît l'amitié qui liait les surréalistes français réunis autour d'André Breton avec le groupe surréaliste thèque dominé par Vitezslav Nezval dans les années vingt et trente du siècle dernier. Les deux groupes fraternisaient et ne ménageaient pas leurs efforts pour se connaître mutuellement. Il semble qu'à partir de la rupture entre les surréalistes tchèque et français, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le fossé entre les poésies tchèque et française n'a cessé de s'élargir. Chaque tentative de faire connaître les poètes tchèques en France et les poètes de langue française en Tchéquie est donc précieuse et enrichissante. Les anthologies de Petr Kral comblent une lacune considérable en révélant au lecteur français l'existence de tout un monde poétique et captivant qui, sans ce poète traducteur, resterait condamné à ne pas franchir la barrière des langues.


Vous publiez souvent vos recueils de poésie en français et en tchèque. Viktor Fischl disait qu'il ne pouvait écrire la poésie que dans sa langue maternelle. Est-ce que vous avez une langue dans laquelle vous écrivez la poésie ?

« Oui sans doute, une langue qui serait peut-être quelque chose entre le français, le tchèque et le cinéma muet. Parce que je ne crois pas à une équivalence, sans résidu entre la poésie et une langue dans le sens purement verbal. Il me semble que la poésie est une sorte de vibration intérieure qu'on traduit tant qu'on peut dans les langues ou les moyens d'expression qu'on a à sa disposition, mais qui les déborde tous ou toutes. »

Vous êtes aussi traducteur de poésie. Vous avez publié entre autres une anthologie de la poésie tchèque traduite en français. Aimez-vous traduire votre propre poésie ?

« Mais c'était comme une nécessité. Quand j'étais en France, je me suis mis assez vite à écrire en français, mais je voulais quand même garder le contact avec ma première langue, le tchèque. Donc j'ai très vite ou aussitôt commencé à faire des versions tchèques même des poèmes que j'écrivais en français. Et cela m'est resté. C'est devenu comme ma seconde nature sans que la question d'aimer ou de ne pas aimer se pose vraiment. C'est une sorte de respiration pour moi. »

Est-ce que le poème traduit par vous est encore le même poème ou c'est quelque chose de tellement modifiée que c'est un poème nouveau ?

« Comme je suis l'auteur des deux versions, je peux me permettre certaines licences ou si vous voulez certains écarts par rapport à l'original, quelle que soit la langue de l'original. Mais ce n'est pas vraiment le but recherché. Moi, je cherche la fidélité en traduction. Cependant, il arrive qu'elle ne soit pas possible complètement. Là, je cherche les solutions qui soient équivalentes mais correspondent mieux, qui soient mieux adaptées à la langue, disons, d'accueil. »

Est-ce que le poème en sort enrichi ou appauvri ? Il y en a qui disent que la poésie est intraduisible ... .

« Elle est toujours traduisible d'une manière ou d'une autre, mais bien sûr que la nouvelle version peut l'appauvrir. Souvent elle l'enrichit. Le fait de faire après l'original en tchèque ou en français une autre version dans l'autre langue me permet souvent d'améliorer la première version ou le soi-disant original, de voir certains aspects que je n'avais pas vus, et que sans doute je n'aurais jamais vus si j'étais resté dans une seule langue. Dans ce sens-là le bilinguisme est plutôt enrichissant. »

Quel est votre rapport vis-à-vis de vos lecteurs ? Est-ce que le lecteur est important pour vous ?

« Mais le lecteur est important ne serait-ce que pour que j'apprenne mieux à travers lui ce que j'ai écrit. On ne le sait pas forcément soi même. En même temps on pense d'abord qu'on écrit, je ne dirais même pas pour soi, mais qu'on écrit pour la poésie elle-même, pour l'expression elle-même, et en second lieu seulement on vérifie ce qu'on a écrit. Dans ce sens-là, le lecteur est aussi une donnée relative, il est lointain. L'auditeur idéal c'est un auditoire vide où le vent tournoie, où je dis mon texte à haute voix, pour le vent, pour l'espace qui m'entoure. Mais l'idée que quelqu'un, à l'autre bout de la ville, puisse entendre ma voix, fait quand même partie de l'expérience. »

Entretenez-vous quand même des contacts avec les lecteurs de vos livres?

« Il m'arrive, oui, de recevoir des messages, voire des salutations des lecteurs plus ou moins lointains. Et je leur réponds, ne serait-ce que pour savoir pourquoi ils m'écrivent, et pour connaître qui ils sont. Bref, la poésie est évidement aussi pour susciter des rencontres, même si ce n'est qu'avec un arbre lointain et la silhouette qui se profile en dessous. »