Quand les Tchèques cherchent l’identité canadienne

Il est évident que c’est la culture qui fait l’identité d’un pays. Cela se reflète dans un recueil des textes de plusieurs auteurs tchèques consacré à la littérature et au cinéma canadien. Le livre intitulé « Nous eux moi (My oni já) » est paru aux éditions Host. Ses auteurs n’ont pas pu éviter d’évoquer le processus de gestation de l’identité canadienne, processus compliqué qui devait aboutir à deux cultures et deux identités assez différentes - celle du Canada anglophone et celle du Québec.

Le livre « Nous eux moi » est l’œuvre commune de six auteurs. L’américaniste Hana Ulmanová précise l’objet de la recherche et la méthode des chercheurs dont les textes ont été réunis dans ce recueil:

«Le matériel primaire de la recherche a été bien sûr la littérature mais aussi le cinéma ce qui est, à mon avis, un excellent choix parce que ce sont deux médias capables de raconter une histoire. Et c’est sur une histoire que le problème de l’identité se reflète le mieux. Le livre est composé d’une façon peu traditionnelle parce qu’il commence par la littérature canadienne de langue française, donc par la littérature d’une minorité dont on peut dire cependant que c’est là où le problème de l’identité a commencé à se former beaucoup plus tôt que dans la littérature canadienne anglophone. C’est d’ailleurs compréhensible parce que c’était et c’est toujours, malgré tout, une littérature minoritaire.»

Citons dans ce contexte une partie de l’entretien accordé à Radio Prague par le poète québécois Pierre Nepveu, entretien où il est aussi question du rôle et de la situation de la littérature québécoise, donc de la littérature minoritaire face au monde anglophone:

«Je suis influencé d’abord par la langue, c’est certain, le choix d’écrire en français en Amérique du nord ne va pas de soi, c’est extrêmement minoritaire, environ 2% de la population. Par un héritage culturel et même religieux on vient tous en général des familles catholiques canadiennes françaises, parce qu’à l’époque on parlait plutôt du Canada français que du Québec. Donc cet héritage-là est présent en moi comme une mémoire littéraire car mon rapport aux poètes québécois qui m’ont précédé est très important. En même temps, mes expériences poétiques sont multiples je dirais notamment que j’ai été très influencé par la poésie américaine, j’ai lu beaucoup de poètes américains et de poètes du Canada anglais également. Mais je suis aussi influencé par la poésie française parce qu’elle est de la même langue, par les poètes français du XXe siècle, les poètes surréalistes, etc.»

Au XIXe siècle, la poésie et la littérature tchèques ont joué un grand rôle dans l’émancipation du peuple tchèque menacé par la germanisation. La poésie et la littérature québécoises ont peut-être joué un rôle semblable face à l’anglophonie. Dans quelle mesure ce rôle reste-t-il actuel?

«C’était une étape fondamentale. Ce mouvement d’affirmation nationale par la poésie s’est produit beaucoup plus tard chez nous, dans l’après-guerre, à partir de 1945. Il y a eu toute une génération de poètes qui ont joué un très grand rôle, notamment le plus connu qui s’appelle Gaston Miron et qui est considéré un peu comme le poète national. Il a écrit son grand livre ‘L’homme rapaillé’ en 1970. Cela a été une étape. Une fois cette étape terminée, on a passé à d’autres thématiques.»


Hana Ulmanová
Le livre «Nous eux moi» est divisé en sept chapitres qui traitent entre autres le processus de formation de l’identité canadienne dans le contexte historique, la littérature franco-canadienne et québécoise, la littérature anglo-canadienne et aussi le cinéma canadien et ses thèmes. Le premier chapitre est consacré à la situation sociale et culturelle du Canada et aux spécificités de ce pays. Hana Ulmanová souligne quelques traits spécifiquement canadiens:

«C’est une situation très compliquée qui est rendue encore plus intéressante par le fait que le Canada est l’un des deux pays du monde où a été adoptée la loi sur le multiculturalisme. C’était en 1988 et le second pays était l’Australie. Le multiculturalisme est donc la politique officielle du Canada et cela déjà depuis assez longtemps. Je pense aussi que quand un collectif d’auteurs tchèques choisit comme objet de recherches le Canada, il peut se produire une liaison très fructueuse de la théorie philosophique française qui examine l’idée de la différence et de la pratique multiculturelle existant aux Etats-Unis.»

Il semble que le Canada, sa culture et sa situation spécifique présentent un intérêt certain pour les lecteurs et les éditeurs tchèques, notamment pour la maison d’édition Host. Déjà en 2005, un des auteurs du livre «Nous eux moi», Petr Kyloušek, avait publié, également aux éditions Host, «L’Histoire de la littérature franco-canadienne et québécoise». Si l’éditeur récidive maintenant avec un sujet qui est en partie identique mais qui cherche à voir le problème dans un contexte plus large, c’est sans doute le signe d’un intérêt d’une plus longue haleine. Hana Ulmanová s’interroge sur la catégorie de lecteurs à laquelle les auteurs du recueil s’adressent en premier lieu:

«Je pense que le livre est destiné probablement avant tout aux étudiants d’université parce que l’introduction théorique examine l’idée de l’identité dans l’esprit des connaissances philosophiques actuelles qui sont avant tout françaises. Evidemment ce qui constitue un grand obstacle c’est le fait que le multiculturalisme et sa terminologie ne sont pas ancrés et établis dans le contexte tchèque et certains termes peuvent paraître étranges au lecteur tchèque. Peut-être le collectif des auteurs pouvait rendre le texte plus facile à comprendre. D’autre part il faut dire que dans tous les chapitres les auteurs citent à titre d’exemple les textes originaux et donc appuient par des exemples tout ce qu’ils disent. Je pense donc que grâce à ces textes même le lecteur moins habitué à la terminologie académique peut comprendre le problème de l’identité canadienne dans toute son ampleur.»