Radka Denemarková : J’écris pour arriver à vivre ma vie

En 1945 une jeune fille revient d’un camp de concentration dans son village natal. Elle espère retrouver dans sa maison le repos et la paix mais elle n’y trouve que la haine mortelle. Elle croit que les horreurs de la guerre sont finies et ne sait pas encore que pour elle la guerre ne sera jamais terminée car la longue suite de ses peines n’a fait que commencer. Elle ne sait pas encore qu’elle deviendra une bête à chasser. C’est par cette horrible déception que s’ouvre le roman « L’argent d’Hitler » dans lequel son auteur Radka Denemarková tente de plonger jusqu’aux profondeurs inexplorables de l’amertume. Son roman a obtenu en avril 2007 le prix Magnesia Litera. Voici la reprise d’une émission que nous avons consacrée à ce roman à cette occasion.

L’héroïne du roman s’appelle Gita Lauschmannová. C’est une jeune fille juive de langue allemande qui a beaucoup souffert dans le camp d’extermination mais n’a pas perdu une certaine force vitale et le courage pour résister. Ses parents sont morts dans le camp et quand elle revient à son village elle apprend que la villa de sa famille ne lui appartient plus. Les voisins de la famille qui se sont appropriés cette maison, cherchent à tout prix de se débarrasser de cette intruse qui devient pour eux la personnification de leur mauvaise conscience. Ils la battent, la séquestrent et finiraient sans doute par la tuer, s’il n’y avait pas parmi eux une femme qui ne peux pas assister à une telle horreur et cherche à sauver la fille à l’insu des autres. C’est grâce à elle que la jeune fille réussira finalement à s’enfuir, c’est grâce à elle qu’elle reviendra, un demi siècle plus tard dans le village, pour dire la vérité et demander la justice. Une fois de plus elle se heurtera à l’hostilité et l’hypocrisie mais cette fois-ci elle sera plus forte et ne se laissera pas faire. Radka Denemarková évoque les sources et les inspirations qui ont donnée naissance à son roman :

«Quand j’ai achevé mon premier livre, je voulais écrire une histoire modèle d’une femme dans le monde des hommes, une histoire sur les problèmes dont nous souffrons dans la société tchèque à l’époque actuelle. Alors je me suis mise à l’écrire. A l’origine cela a du être l’histoire d’une femme d’un certain âge qui se souvient. C’était en 2003 et à ce moment-là, j’ai lu dans le magazine Respect un article sur la famille Fischmann. On n’a pas restitué aux membres de cette famille les biens dans la commune de Puklice auxquels ils avaient le droit. Je me suis demandée alors pourquoi, nous, les Tchèques, faisons de telles choses. Et j’ai décidé de mêler dans le roman aussi ce genre d’affaires, nos cadavres dans le placard. J’ai donc emprunté à la réalité quelques données fondamentales : une jeune fille juive originaire d’une famille allemande qui a passé sa jeunesse en Bohême. Tout le reste est, bien sûr, la fiction. »


Radka Denemarková
En 1945 Gita Lauschmannova échappe donc aux voisin qui voulaient la liquider, elle se réfugie chez une tante à Prague mais elle n’est pas à bout de se peines. Les rechutes tragiques continueront à dévaster sa vie ultérieure et ébranler son esprit. Gita qui recommencera à croire à la possibilité du bonheur perdra dans les circonstances on ne peut plus cruelles son enfant et son mari. Radka Denemarková accumule dans la vie de son héroïne tant d’épreuves que cela serait intolérable et improbable si elle ne le racontait pas avec talent et ne savait pas subjuguer son lecteur. Son style saccadé, son texte qui se décompose en d’innombrables petites séquences comme des éclats de verre composant une mosaïque, sont des instruments d’une rare efficacité.

«Je me suis dit que cela ne devrait pas être un petit casse-croûte, mais une arête dans la gorge. Et puis il y a une autre chose qui ne concerne pas la trame de mon livre, et c’est le travail avec la langue. Quand on se dit, je vais essayer l’efficacité de la langue, on doit écrire « avec une pincette » et choisir les mots en gardant la tête froide. Il y a très peu de ceux qui se rendent compte qu’il est plus difficile d’écrire de cette façon parce qu’on doit réfléchir beaucoup pour que le texte soit efficace. »

Gita Lauschmannová ne se lasse pas de rouvrir de vielles blessures et de chercher la vérité sous les montagnes d’oubli. L’historie de cette femme qui refuse finalement d’être dédommagée pour ne pas recevoir l’argent quelle considère toujours comme « l’argent d’Hitler » permet à Radka Denemarková de parler des thèmes qui ne la laissent pas indifférente.

«J’écris parce que je réalise ce qui me gêne. Je suis gênée par la situation où l’on ne parle pas des choses dont on devrait parler. Je pense que toutes les affaires qui n’ont pas été réglées et qui restent dans notre subconscient, filtrent dans notre réalité d’aujourd’hui. Je ne veux punir personne, on ne peut pas punir le passé, mais je veux au moins nommer les choses. Il y a des choses qu’on ne peut pas réparer, mais on peut au moins les nommer.»


Radka Denemarková est née en 1968 donc longtemps après la période cruelle qu’elle décrit au début de son roman. Après les études de langues elle a travaillé à l’Institut de littérature tchèque mais aussi comme responsable du programme du Théâtre Na Zábradlí à Prague. Elle est auteur de monographies et des scénarios des films documentaires sur plusieurs personnalités de la culture tchèque. Traductrice, elle traduit de l’allemand des essais et des pièces de théâtre. Son premier roman est paru en 2005, l’année suivante elle a récidivé avec « L’Argent d’Hitler « et actuellement elle écrit son troisième roman qui sera intitulé « Comment se débarrasser des surplus de tendresse ». Elle ne peut pas se plaindre du manque d’intérêt du public:

«Je dois dire que ce qui m’a surtout surpris c’était le retentissement suscité par mon livre qui sortira bientôt en six langues, le fait que le livre suscite l’attention des éditeurs et des lecteurs étrangers. C’était aussi le cas de mon premier livre et je pense donc qu’il y a une énergie et qu’on le sent. J’évoque les rapports entre les hommes. Mon premier livre raconte les rapports parents - enfants, ici il s’agit de l’histoire d’une vie. (…) Je ne pense pas que ce succès puisse changer ma vie, parce que je fais toujours ce que je veux, et j’essayais toujours de faire autre chose, j’ai fait des traductions, j’ai fait du théâtre. Dans mon travail je m’intéresse toujours aux gens qui ont quelque chose d’intéressant pour moi. Pourquoi j’écris ? Pour arriver à vivre ma vie.»


Redifussion du 04/07/2009