Rinaldo, un chevalier imaginé par le Tasse et magnifié par Händel

'Rinaldo', photo: www.narodni-divadlo.cz

Le grand poème chevaleresque « La Jérusalem délivrée », chef d’œuvre du Tasse, est devenu une source d’inspiration intarissable pour plusieurs générations d’artistes et a inspiré toute une pléiade de compositeurs d’opéra. Les plus grands maîtres d’art lyrique dont Lully, Vivaldi, Händel, et plus tard Haydn et Rossini ont mis en musique différents épisodes du poème dans lequel le Tasse évoque la première croisade. Et encore au début du XXe siècle Antonín Dvořak compose son dernier opéra Armida sur un sujet tiré de ce poème. La première de l’opéra Rinaldo de Georg Friedrich Händel basé sur l’histoire du chevalier Renaud, héros de « La Jérusalem délivrée », figure, ce samedi, au programme du Théâtre national de Prague. C’est une occasion pour s’entretenir avec la metteuse en scène Louise Moaty sur cette production mais aussi sur les sources littéraires de cette oeuvre.

Selon les statistiques Händel est le deuxième compositeur d’opéra le plus joué actuellement dans le monde. Comment expliquez-vous cet engouement pour les opéras de Händel?

«Je pense que c’est aussi un engouement lié à la grande place que Händel accorde à la voix. C’est quelque chose qui est lié à la musique. D’après moi, Händel est un compositeur qui écrivait pour le chant et du coup il me paraît normal aussi que l’opéra lui fasse toute sa place. Voilà, c’est ma vision des choses.»

Avez-vous décidé de faire une espèce de reconstitution de la première de l’opéra Rinaldo qui a avait eu lieu à Londres ou est-ce une conception moderne?

«Ce n’est pas une reconstitution, mais il s’agit quand même de travailler dans l’esthétique baroque, c’est-à-dire, comme les instrumentistes utilisent des instruments anciens, d’utiliser aussi les instruments pour qui ces textes, ces chants et cette musique ont été écrits. Nos instruments, ce sont les corps des chanteurs qui sont développés jusqu’aux bouts des doigts et accompagnent le chant d’une gestuelle. Donc il y a tout un travail là-dessus. Nous travaillons aussi selon certains codes de représentations comme la frontalité - le fait de jouer face aux spectateurs, ce qui donne au public une place très importante puisque c’est lui qui est au centre des rapports, et le fait de jouer aux bougies. S’y ajoute aussi un travail de la scénographie et des costumes et tout cela permet de faire revivre, non pas de reconstituer, non pas de reconstruire la première représentation, mais plutôt de faire revivre un esprit, une énergie qui est propre à l’esthétique de cette époque et à laquelle on essaie de s’inscrire tout en gardant notre liberté de regard contemporain aussi sur cette forme.»

Voulez-vous raconter dans votre production l’histoire de Rinaldo telle qu’elle est racontée par le Tasse ou aimeriez-vous donner à l’opéra une autre signification, une signification moderne?

«J’ai vraiment envie de raconter l’histoire de Rinaldo parce que j’ai été très touchée par « La Jérusalem délivrée » du Tasse que j’ai adorée et que je considère comme, je dirais, le fondateur de notre civilisation. Du coup, j’ai vraiment eu envie de travailler dans son esprit et de raconter son histoire. Evidemment avec la situation actuelle dans le monde on pourrait aussi être tenté de faire de cet opéra une Jérusalem moderne, contemporaine, avec la guerre. Mais je n’ai pas choisi cette option… (rires)»

Avez-vous trouvé à Prague les interprètes capables de donner tout ce qu’il faut à cette musique qui est très difficile à interpréter, à cause, entre autres, de l’ornementation vocale? Avez-vous préparé ces chanteurs et ces danseurs d’une façon spéciale?

«J’ai été très agréablement surprise par équipe de chanteurs que je trouve vraiment super à mes yeux et mes oreilles de novice dans ce genre de musique. Je trouve qu’ils chantent admirablement bien et la plupart avaient déjà travaillé avec le chef d’orchestre Václav Luks. Si je ne me trompe pas, tous connaissaient déjà le style baroque et en tout cas, ils l’interprètent remarquablement bien. En tous cas, je suis assez contente d’autre part du casting lui-même parce que je trouve que les chanteurs sont assez bien accordés avec les personnages. Vous verrez qu’Armide est une belle Armide et qu’Argante est bien venu pour jouer Argente etc. Et je les ai trouvés aussi très réceptifs au travail de gestuelle et de théâtre baroque. Je crois ne pas me tromper en disant qu’ils attendaient aussi de rencontrer ce travail et certains avaient déjà travaillé avec des metteurs en scène spécialistes de ce style.»

Quelle est votre conception du personnage d’Armide. Nous savons que c’est une sorcière mais a-t-elle aussi des traits sympathiques?

«Oui, c’est d’ailleurs aussi dans la tradition de ‘La Jérusalem délivrée’ et on le voit même dans le livret dont l’auteur s’est inspiré du poème du Tasse pour écrire par exemple la célèbre plainte d’Armide ‘Ah, crudel’ où elle apparaît très sympathique parce qu’elle est touchée par l’amour et on la voit donc sous un jour très humain et très touchant. Je pense que c’est un personnage magnifique parce que très complet. Elle a toute une palette de sentiments qui vont de la tristesse que lui cause son rejet par Rinaldo jusqu’à la colère. Elle est très dense, c’est un beau personnage à interpréter.

De façon générale, je n’ai pas voulu traiter les musulmans en faisant les gentils et les méchants, les méchants étant les musulmans. C’est aussi ce qui m’a frappée quand je lisais «La Jérusalem délivrée’. J’ai vraiment réalisé qu’on était là au fondement de l’Europe et que toutes les nations européennes se sont réunies pour faire cette sorte de marche vers Jérusalem et venir à la rencontre d’une autre civilisation. Ces descriptions dans le livre sont étonnantes. Et c’est aussi ce que j’avais envie de montrer. Je voulais présenter tous les musulmans non pas d’une façon superficielle comme les méchants musulmans dans l’opéra de Händel mais leur donner aussi une force, de montrer que c’était toute une civilisation. »

Quelle est la place de la danse dans votre production?

«Dès le départ il fallait pour moi qu’il y ait de la danse. En écoutant cette musique je trouve évident qu’il y a de la danse, qu’elle a été écrite pour la danse. Et puis la musique de Händel me donne l’impression de pouvoir faire bouger l’espace et de faire bouger les corps dans cet espace. C’est clair, Händel était venu à Londres avec des danseurs français pour interpréter cet opéra, donc cela m’a paru important et évident que la danse y ait une place. Voilà.»