Trois personnalités littéraires au micro de Radio Prague International

Photo illustrative: congerdesign / Pixabay, CC0

La fin de l’année qui approche, c’est l’heure du bilan. Voici un choix d’entretiens que nous avons diffusés dans la rubrique littéraire au cours de l’année 2019 et qui méritent d’être réentendus. Nous vous proposons d’écouter des extraits d’interviews que nous ont accordés l’auteur franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy, l’écrivain Jan Rubeš qui nous a parlé de Milan Kundera et finalement la romancière française Delphine de Vigan.

Miguel Bonnefoy et le trésor caché des Caraïbes

« Si les étoiles étaient en or, je creuserais le ciel », dit l’un des personnages du roman Sucre noir, roman sur la recherche obsédante d’un trésor mais aussi sur les valeurs véritables de la vie. L’auteur de ce roman au style exubérant et hautement poétique s’appelle Miguel Bonnefoy (1986). A l’occasion du salon Le Monde du livre 2019 l’auteur est venu présenter aux lecteurs la traduction tchèque de son livre et il a parlé au micro de Radio Prague de la recherche des trésors qui est le thème majeur de son livre :

« Comme tout le monde, et vous le dites si bien, moi aussi j’ai eu une enfance et une adolescence où j’ai lu des livres qui ont à voir avec des romans d’aventures, des romans de piraterie, des romans de flibustiers, des romans dans lesquels on retrouve des chercheurs d’or classiques, des chercheurs de trésors. Mais l’histoire du trésor ici est au-delà du trésor, c’est une métaphore. Il s’agissait plutôt d’utiliser une sorte d’allégorie, une sorte de parabole et de montrer que dans l’intérieur, dans les gorges de la terre vénézuélienne, dort un trésor qui n’est pas le trésor des pirates des Caraïbes mais un trésor beaucoup plus puissant, beaucoup plus douloureux qui est celui du pétrole vénézuélien. »

Ce sont les femmes, Serena et Eva, qui sont les personnages les plus forts, les plus énergiques et les plus impressionnants de votre roman. Les caractères de ces deux héroïnes ont-ils été inspirés par les femmes des Caraïbes ?

« Absolument, d’un côté il y a un hommage à certaines figures féminines classiques qu’on trouve au XIXe siècle où paraissent des Thérèse Raquin, des Gervaise, des Nana ou, bien entendu, mademoiselle de Maupin, madame Bovary. Mais déjà dans la littérature caribéenne on peut trouver des figures fortes. Romulo Gallego a écrit un très beau livre qui s’appelle Doña Bárbara où on trouve déjà cette femme puissante, forte, cette espèce de ‘barbarie’ de l’humanité qui se retrouve au milieu d’une ferme et qui tient tête à la civilisation qui avance, à la corruption, à la douleur. Avec Serena et Eva Fuego il s’agissait de rendre hommage à ces femmes-là. Et puis moi, je viens d’une grande famille dans laquelle toutes les femmes sont fortes, autonomes, intelligentes et puissantes et il était évident pour moi que le personnage le plus important du livre a toujours été et sera toujours la femme. »

Milan Kundera, le destin d’un intellectuel de la seconde moitié du XXe siècle

Le 1er avril 1929, naissait à Brno Milan Kundera. Aujourd’hui le célèbre romancier et polémiste vit en France et dans sa personne et dans son œuvre se marient les littératures tchèques et française et les cultures centre-européenne et occidentale. A l’occasion de son 90e anniversaire, nous avons évoqué certains aspects de l’œuvre et de la personnalité de Milan Kundera avec l’écrivain et ancien professeur de l’Université libre de Bruxelles Jan Rubeš :

« Tout d’abord, je crois que Milan Kundera est un écrivain assez connu pour qu’on détaille sa vie et l’importance de son œuvre littéraire. Disons que c’est quelqu’un qui représente pour moi le destin d’un intellectuel centre-européen dans la seconde moitié du XXe siècle à la fois en tant qu’intellectuel, en tant qu’exilé, en tant que quelqu’un qui se bat contre les totalitarismes et qui essaye de revenir à l’importance de la culture que celle-ci représente pour notre société dans son évolution actuelle, évolution qui se manifeste par la globalisation, l’effacement de l’individu, le business. Donc c’est le défenseur des valeurs culturelles dans le monde actuel. »

Pouvons-nous dire que ce sont aussi les grands thèmes de l’œuvre de Milan Kundera ? Comment évoluait sa vision du monde ?

« Je pense que dans un certain sens dans ses romans et dans ses essais - parce qu’il ne faut pas oublier que Kundera n’est pas seulement un grand romancier mais aussi l’auteur de divers essais sur la société, sur la littérature, sur l’histoire - Kundera défend l’intégrité de l’homme. Dans ce sens il est peut-être un des rares intellectuels qui a réussi à préserver cette vision qui date des années 1960, de l’époque où il a vécu encore en Tchécoslovaquie. On parlait du socialisme à visage humain et il réussit à défendre cette vision sous une forme nouvelle beaucoup plus moderne après s’être installé en France où il parle beaucoup de l’intégrité de l’homme, de la défense de l’intimité qui risquent de disparaître aujourd’hui dans la société actuelle. »

Les Loyautés de Delphine de Vigan, roman sur les subtilités de la violence domestique

Fin février, l’écrivaine Delphine de Vigan a visité pour la première fois la République tchèque, pays où elle avait pourtant déjà de nombreux lecteurs et où avait été traduite et publiée la majorité de ses œuvres. Elle est venue, comme elle dit, pour accompagner son roman intitulé Les Loyautés. Delphine de Vigan a présenté son livre aussi au micro de Radio Prague et a parlé entre autres de diverses formes de la violence domestique qui est l’un des thèmes de son roman et a évoqué dans ce contexte sa propre vie :

« Je pense qu’elle est fréquente à des degrés divers. En tout cas le conflit de loyautés dans lequel peut être pris un enfant parce qu’il a des parents séparés, est, en fait, quasiment automatique. Et il existe d’ailleurs aussi au sein des familles dont les parents ne sont pas séparés. Il peut prendre des proportions plus au moins inquiétantes et graves. Je suis vraiment persuadée que dès lors que les parents se séparent, l’enfant intègre qu’il ne peut pas raconter forcément ce qui se passe chez maman, chez papa. Et souvent les enfants ont la volonté de séparer d’une manière assez radicale les deux univers qui deviennent les leurs.

Oui, mes parents étaient séparés. Ils se sont séparés quand j’étais enfant. C’est quelque chose que j’ai ressenti très fortement y compris d’ailleurs le très grand inconfort pour ne pas dire la douleur d’entendre un de mes parents dénigrer en permanence l’autre, dire du mal, ressasser, revenir sur ce qui s’était passé. C’est très douloureux pour un enfant et souvent les parents ne s’en rendent pas compte.

Quand la vie a fait qu’on s’est séparé avec le père de mes enfants, étant tous les deux enfants des parents divorcés nous avons été plutôt attentifs à ça, et pourtant j’ai senti que mes enfants étaient parfois dans cet inconfort, que c’était compliqué pour eux, qu’ils se demandaient s’ils pouvaient raconter ce qui se passait chez l’un, ou chez l’autre. Il y a une sorte d’interdit qui est tout de suite intégré par les enfants, même quand cet interdit n’est pas forcément demandé par les parents. Voilà, une autre chose qui m’a souvent frappée, c’est que les enfants ne parlent pas et appellent assez rarement au secours, surtout quand il s’agit d’une forme de violence souterraine, psychologique, qui ne se voit pas, qui ne laisse pas de traces. »