Une vague de micro-drames déferle sur la Radio publique tchèque

Autrefois très populaire, le théâtre radiophonique, aussi appelé le radio-théâtre, a fini par être éclipsé par les émissions dramatiques de la télévision et le cinéma. Actuellement, la Radio publique tchèque (Český rozhlas) tente d’insuffler une nouvelle dynamique à ce genre un peu oublié en proposant à ses auditeurs une nouvelle formule d’émission. Les auditeurs ont désormais la possibilité d’écouter chaque jour une pièce radiophonique très courte de une à deux minutes. Et depuis le 1er octobre dernier, ces pièces brèvissimes déferlent sur les ondes.

Les quinze stations nationales et régionales de la Radio tchèque, y compris les émissions internationales de Radio Prague, participent à ce projet. Pour les auteurs de ces petites pièces de rien du tout, la concision est de rigueur. Ils sont tenus de réduire à l’extrême leurs moyens d’expression, d’utiliser les répliques les plus courtes possibles et de se passer complètement de commentaires. Comme jadis les auteurs japonais du haiku, ces poèmes extrêmement brefs conçus pour saisir l’évanescence des choses, les dramaturges qui participent au projet de la Radio tchèque doivent choisir des thèmes peuvant être exprimés en peu de mots et d’une seule traite. Le réalisateur Petr Mančal, un des participants au projet, ne cache pas les difficultés d’une telle entreprise :

Petr Mančal
« Je dois reconnaître que comprimer dans une séquence aussi limitée non seulement un texte mais également les effets sonores qui doivent en faire partie, est une tâche très exigeante. Mais il est bien d’être confronté à une telle tâche. »

C’est la responsable de programmation de la station culturelle Vltava, Kateřina Rathouská, qui a eu l’idée de lancer un tel projet. Elle-même est l’auteur de plusieurs de ces micro-drames :

« L’idée est née il y a quelques années lorsque je participais au Drama-workshop EBU à Oslo. C’est là que j’ai entendu ces courtes pièces de théâtre radiophonique. Plus tard, j’ai fait la connaissance de la responsable de programmation de la station Deutschland Radio Kultur et, dès 2009, nous avons créé avec Aleš Brzák et Michal Rataj trois premières petites pièces destinées à être diffusées en tchèque et en allemand par les radios tchèque et allemande. »

Kateřina Rathouská
Cependant, après ces débuts prometteurs, Kateřina Rathouská est partie en congé maternité et le projet est passé aux oubliettes. Il n’a revu le jour que suite au retour de Kateřina Rathouská à la radio en 2011 pour finalement prendre une ampleur considérable :

« Ce sont des pièces d’une durée de une à deux minutes. Nous avons déjà enregistré quelques 120 pièces et la durée de la majorité de ces pièces est de 1’20 à 1’40. C’est la durée la plus fréquente, mais nous avons aussi une pièce qui ne dure que 34 secondes. A la radio allemande, la durée des pièces ne doit pas dépasser, je pense, 52 secondes, et ils ont aussi des pièces qui durent à peine 10 ou 12 secondes. Chez nous, cela n’existe pas pour le moment. J’ai cherché à adapter un peu le projet aux conditions tchèques. Les pièces ont donc une histoire, elles évoquent une situation, il y a deux ou trois personnages … »

Selon Kateřina Rathouská, parmi les artistes connus qui ont pris part à cette grande série d’émissions figurent notamment le romancier Miloš Urban, les dramaturges Daniela Fischerová et David Drábek, mais aussi d’autres personnalités :

« Parmi les noms inattendus, je citerais par exemple le chroniqueur du quotidien économique Hospodářské noviny Jindřich Šídlo, qui a écrit trois pièces. Il est surprenant de constater qu’il ne s’agit pas de pièces sur des thèmes politiques mais inspirées de la vie intime de l’auteur. (…) Nous avons aussi quelques collaborateurs externes. Par exemple, le scénariste et réalisateur de cinéma Robert Sedláček a écrit pour nous neuf pièces et les a également enregistrées. Il a été assisté par Milan Rataj, qui a participé à ce projet en tant que réalisateur musical ou designer du son. De même, le metteur en scène Jiří Adámek a préparé plusieurs pièces et nous venons de terminer l’enregistrement d’une série de micro-drames d’une minute écrits par la comédienne Johana Švarcová qui seront diffusés l’année prochaine. »

Les auteurs de ces micro-drames se recrutent donc dans les sphères les plus diverses de la scène culturelle tchèque et Kateřina Rathouská constate que la palette des sujets de leurs pièces est très large :

« Au fond, cela peut être n’importe quoi. Les personnages de ces pièces ne doivent même pas être nécessairement des êtres humains. Moi, par exemple, j’ai écrit une pièce qui est un entretien entre un sapin de Noël et les décorations accrochées sur ses branches. Des objets peuvent donc également être les protagonistes de ces micro-drames. Néanmoins, les auteurs s’inspirent souvent de situations qu’ils ont vécues dans leur propre vie de tous les jours. »

La palette des genres de ces micro-drames est donc quasi-illimitée. Il s’agit de comédies, tragédies, sketchs satiriques, histoires d’horreur, histoires de la vie, pièces romantiques, numéros de cabaret. Certaines pièces ressemblent à des spots de publicité, d’autres respectent la forme d’une pièce de théâtre et débouchent sur un dénouement inattendu. Les auteurs cherchent évidemment à amuser leur public mais ont aussi l’ambition de dire beaucoup plus, de toucher à certains problèmes de la société, de jeter une lumière crue sur nos faiblesses, notre égoïsme, nos petites lâchetés quotidiennes et sur les absurdités de notre existence. Beaucoup de pièces reflètent aussi notre incapacité à nous entendre et à nous écouter mutuellement.

Ainsi la pièce de Dora Viceníková intitulée « Le fils » raconte le désarroi d’un petit garçon qui se pose beaucoup de questions sur le monde et auquel ses parents, indifférents et trop occupés, sont incapables de répondre. Dans la pièce « La Grotte » de Kateřina Malečová-Suková, un homme s’extasie devant les fresques admirables laissées dans une grotte par une civilisation préhistorique, avant d’apprendre que ces chefs-d’œuvre seront recouverts d’une couche de peinture blanche parce que la grotte sera transformée en cave à vin. Dans la pièce que Jiří Šídlo a intitulée « Tu as aimé ? », une femme cherche à faire dire à son mari qu’il a aimé le plat qu’elle lui avait préparé mais ne réussit à provoquer chez lui qu’un accès de colère. Miloš Urban, dans son mini-drame « Nouvelle », met en scène un jeune mari qui multiplie les achats de nouvelles voiture sans parvenir à combler le vide dans la vie de sa femme névrosée parce qu’elle n’arrive pas avoir d’enfant. Dans son sketch « L’Icône du succès », Jana Železná ne fait qu’accumuler les slogans que nous entendons quotidiennement dans les médias et le monde du travail. En réunissant ces appels répétés qui visent à nous motiver et nous suggèrent la nécessité d’avoir du succès, elle dévoile l’absurdité de l’enthousiasme obligatoire et artificiel.

Photo: Khalil Baalbaki
Chaque petite pièce peut être donc considérée comme un élément minuscule d’une mosaïque gigantesque qui reflète notre vie. Le public lui aussi sera invité à s’engager dans ce projet. La radio lance un concours et invite les auditeurs à écrire eux-mêmes des petites pièces d’une minute sur les problèmes qu’ils jugent intéressants. Les trois meilleures œuvres issues de ce concours seront enregistrées par des artistes professionnels et diffusées sur les ondes. Les auditeurs pourront donc, eux aussi, vivre leur « minute de gloire ».