Veselí, ou les aventures d’une Pragoise en Moravie profonde

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« Mon âme est comme ce compartiment de train bondé où je ne peux pas respirer et n’arrive pas à ouvrir la vitre, » dit Eliška, personnage principal du roman Veselí, qui retourne en train dans la petite ville de son enfance. On pourrait dire que l’auteure Radka Třeštíková a offert ce roman à Eliška comme un moyen pour ouvrir la vitre bloquée de son âme et pour lui permettre de respirer enfin plus librement.

Un début de carrière plein de promesses

Radka Třeštíková (1981) est juriste de formation. Avant de se consacrer entièrement à la littérature, elle a travaillé pendant sept ans comme juriste d’entreprise. C’est son roman Bábovky (Les kougelhopfs) paru en 2016, dans lequel elle entremêle astucieusement les sorts de douze femmes, qui la propulse au premier plan de la scène littéraire tchèque. En 2017, elle confirme sa réputation avec son roman Osm (Huit) et en 2018, elle récidive avec Veselí, livre qui a pour titre le nom de la petite ville de Moravie où l’auteure est née. Le lecteur de ce roman en vient logiquement à se demander : qui est Eliška ? Est-ce un alter-ego de l’auteure ? S’agit-il d’un roman autobiographique ? Et Radka Třeštíková de répondre :

« Je ne l’ai jamais présenté comme un roman autobiographique. C’est tout simplement de la fiction mais il y a quand même des éléments autobiographiques. Oui, je retourne quand même à l’endroit où j’ai grandi et où il y a toujours la maison où j’ai vécu avec mes parents. Et tout cela laisse une empreinte profonde dans ce livre. »

Radka Třeštíková,  photo: Luboš Vedral,  ČRo

Le retour à l’enfance

C’est donc entre autres un roman sur le retour à l’enfance, plus précisément à ce qu’il reste de l’enfance lorsque nous devenons adultes. Il est évident qu’un tel retour ne peut pas se faire sans déceptions, sans désillusions, sans erreurs et sans faux pas et l’auteure exploite largement toutes ces possibilités. Elle ne ménage pas son héroïne et on dirait qu’elle se délecte à raconter les chocs subis par Eliška qui se heurte au mode de vie de la campagne morave. Dans un style simple et pourtant imagé, Radka Třeštíková jette un regard amusé et souvent quasi sarcastique sur les aventures et les désarrois de cette Pragoise qui « rentre au pays » et qui se sent d’abord comme étrangère dans la ville de son enfance. Voici comment l’auteure résume les aventures vécues par son héroïne après son retour à Veselí :

« C’est l’histoire d’une femme de 33 ans qui s’appelle Eliška et qui ne voit pas d’avenir pour elle à Prague. Elle fait donc ses bagages et retourne chez ses parents dans une petite ville en Moravie, pour habiter dans sa chambre d’enfant. Elle y rencontre ses amies d’enfance et aussi son premier amant qu’elle a quitté justement parce qu’elle voulait partir pour vivre une autre vie. Et maintenant elle retrouve tout ce qu’elle a abandonné. Et elle cherche à se rapprocher de ses parents. C’est un livre surtout sur cela, sur le triangle - le père, la mère, l’enfant. C’est en fait le thème majeur de ce livre. »

Comment sauver une famille qui se désagrège

Photo: Motto
Le premier choc cuisant subi par Eliška après son retour est de découvrir que le mariage de ses parents est en ruines et que bien que sa mère et son père habitent toujours sous le même toit, ils vivent pratiquement séparés. Elle se lance donc dans des tentatives un peu gauches pour rapprocher de nouveau ces parents qui n’arrivent plus à se parler, qui boudent chacun dans un coin de la maison et qui se cherchent de nouveaux partenaires. Et c’est une tâche pleine d’embûches et de situations rocambolesques qui permet cependant à Eliška de découvrir les facettes insoupçonnées du caractère de ses parents. Ce n’est que la maladie grave du père qui finira par ressouder cette famille en apparence désagrégée. Il est évident que Radka Třeštíková s’est inspirée de sa propre vie :

« Je pense qu’on peut mieux s’identifier avec ce livre quand on a déjà des parents d’un certain âge, qu’on se rend compte de la futilité du temps et du fait que les parents ne nous sont pas donnés pour toujours. A 18 ans, on le prend encore automatiquement comme tout à fait normal et évident. Quand il n’y a pas de tragédie dans une famille, vous avez tout simplement deux parents et vous êtes souvent désagréable avec eux, vous ne vous entendez pas avec eux et vous les fuyez. Ce n’est qu’après la trentaine que vous commencez à leur prêter un peu plus d’attention, quand ils ont déjà des problèmes de santé et vous commencez à vous inquiéter pour eux. Donc je crois que ce sont les lecteurs de cette catégorie qui peuvent plus facilement s’identifier avec ce récit. »

Les désarrois d’une Pragoise à la campagne

Radka Třeštíková,  photo: Adam Kebrt,  ČRo
La maladie du père intervient lourdement dans une suite d’événements plutôt risibles et l’auteure change de ton. La farce tourne à la tragédie qui pèsera pratiquement sur toute la seconde partie du roman et y apportera des thèmes plus sérieux et plus profonds. Mais la vie n’arrête pas son cours. Eliška continue à patauger dans ses problèmes sentimentaux et matériels et n’arrive pas à trouver un équilibre dans sa vie.

Tiraillée entre deux hommes, Standa, un jeune spécialiste des fosses septiques, et Hynek, son amour de jeunesse, elle n’arrive pas à se décider. Standa lui semble quand même un peu trop terre-à-terre, Hynek a l’inconvénient d’être marié et père d’une petite fille. Elle passe de l’un à l’autre, couche avec l’un et l’autre et sa vie n’en devient que plus compliquée. Le petit magasin d’articles de pêche qu’elle a ouvert dans la ville est au bord de la faillite et sa mère envisage de partir avec un ami en Australie. C’est cette mère encore jolie, une femme qui aime sa fille d’un amour rude et possessif mais sincère qui est l’un des personnages les plus accomplis de ce roman. Radka Třeštíková lui a sans doute donné beaucoup de traits de sa propre mère :

« C’est ma mère qui a été la première lectrice de ce livre et sa décision a été essentielle pour moi. Si elle m’avait dit qu’il ne fallait pas le publier, le livre ne serait pas paru. Mais elle l’a finalement beaucoup aimé. Elle m’a écrit que ce livre nous faisait aborder des choses jamais dites. Alors je me suis dit que le livre valait la peine, même si les lecteurs ne l’appréciaient pas tellement. Ce que je désirais dire, ce que je voulais exprimer entre les lignes, ma mère l’a lu et compris et c’est très important pour moi. »

L’image satirique de la Moravie profonde

Le roman Veselí est cependant aussi un tableau haut en couleurs de la vie à la campagne, d’un monde encore assez traditionnel mais qui réagit à sa façon aux impératifs de la vie moderne. C’est un monde où les gens sont encore ouverts et naturels, mais souvent aussi grossiers et sans scrupules, un monde marqué par l’alcool, le chômage et l’obésité qui guette ses habitants.

L’auteure tire beaucoup de pages amusantes de la collision entre les préjugés des campagnards et ceux des citadins représentés ici par Eliška. Et elle renforce encore le caractère comique des situations par le contraste entre le dialecte morave de la majorité des personnages du roman et la terminologie moderne qui se glisse inévitablement dans leur langage. Le comique et le tragique se côtoient donc dans ce texte qui n’en est que plus amusant. Et Radka Třeštíková avoue que c’étaient les pages humoristiques qui lui ont coûté le plus d’efforts :

« Ce texte ne me fait pas rire. Je crois qu’en général nous ne rions pas beaucoup de nos propres histoires. Surtout quand vous devez les lire encore et toujours pour trouver une bonne pointe. Et je dois dire que j’étais plus épuisée après avoir écrit la première moitié du livre, celle qui est plus humoristique, qu’après avoir écrit la seconde partie. Il n’est pas facile de conserver toujours ce style moqueur, hyperbolique et un peu grotesque quand vous êtes par exemple fatiguée ou de mauvaise humeur. C’était extrêmement difficile. Alors je me suis dit que j’allais maintenant écrire un livre où il n’y aurait aucune plaisanterie. »