Le phénomène Čaputová : à quand les Tchèques ?

Zuzana Čaputová, photo: ČTK/Václav Šálek

Cette nouvelle revue de la presse tchèque propose d’abord quelques-unes des très nombreuses réactions à la récente élection présidentielle en Slovaquie qui ont alimenté cette semaine les médias. Deux regards ensuite sur Milan Kundera en rapport au 90ème anniversaire de l’écrivain puis le souvenir de l’acte d’Evžen Plocek, la « troisième torche vivante », qui s’est immolé par le feu après Jan Palach le 4 avril 1969 et est demeuré très longtemps méconnu.Enfin, un retour sur l’engagement des universités en faveur de la sensibilisation du public tchèque sur l’Union européenne.

Zuzana Čaputová,  photo: ČTK/Václav Šálek
Le quotidien Lidové noviny rappelle que Zuzana Čaputová est la troisième femme, après Magda Vašáryová et Iveta Radičová, à avoir présenté en Slovaquie sa candidature présidentielle et la première à avoir réussi. Beaucoup sont alors ceux qui saluent notamment cet aspect « féminin » de la victoire de la nouvelle présidente.

« Ce fait ne doit pas cependant amoindrir la grandeur de son succès et dissimuler l’appel à l’honnêteté et à l’équité que l’activiste et juriste Čaputová défendait ce qui constitue un côté plus important encore de cette victoire », souligne le journal. D’autant plus qu’elle a été remportée dans un pays secoué l’année dernière par l’assassinat d’un journaliste et de sa fiancée, portant des signes d’un acte mafieux.

Tout en étant moins sûres d’elles-mêmes, les élites libérales slovaques semblent plus compétentes que celles de la Tchéquie. Le fait qu’elles aient produit une personnalité comme Zuzana Čaputová et uni la partie progressiste de la société en sa faveur en donne un témoignage éloquent. Telle est, selon le commentateur du journal en ligne DeníkReferendum, l’une des principales conclusions à tirer des résultats de l’élection présidentielle slovaque. Il rappelle à ce propos:

« Au lendemain de la naissance de l’Etat slovaque, en 1993, l’élite slovaque a subi une dure épreuve qui, à l’époque, n’avait pas d’équivalent en Europe centrale. Sous le régime de Vladimír Mečiar, en effet, la Slovaquie a failli demeurer en marge des pays s’intégrant dans la famille des démocraties européennes. Une expérience qui a permis à cette élite de s’imposer... La Slovaquie est une nation jeune, ouverte au monde qui cultive sa capacité à absorber les impulsions extérieures. Certes, les Slovaques portent de lourds fardeaux culturels et historiques et leur échiquier politique est habité, aussi, par des figures bizzares, mais ils tiennent compte de ce que rien ne leur est donné gratuitement et que le processus de leur appartenance à l’Europe n’a pas été facile. Par ailleurs, la Slovaquie est l’unique pays de l'ancien bloc soviétique en Europe centrale à avoir adopté l’euro, tant qu’il le pouvait. »

Le magazine Reflex observe pour sa part que la Slovaquie suit des tendenaces modernes : elle a l’euro et une présidente. Il va plus loin encore en suggérant l’hypothèse que les résultats de l’élection présidentielle slovaque confirment la fin de la prédominance des hommes dans la politique et qu’à l’époque du déclin du rôle masculin, ce sont les femmes qui vont prendre les affaires publiques en charge. Il note aussi :

« Certains médias et politologues tchèques, ainsi qu’une partie de l’opinion publique, estiment que la Slovaquie reste un pays catholique et traditionnel où les gens pensent autrement qu’en Tchéquie. En effet, les Slovaques sont beaucoup plus croyants que les Tchèques, mais la conviction que nos voisins soient en majeure partie traditionnalistes et conservateurs relève d’un mythe. A l’heure actuelle, la Slovaquie est un pays plutôt libéral. Et c’est en cela que réside le succès de Zuzana Čaputová ».

90 ans de Milan Kundera : un anniversaire qui ne passe pas inaperçu en Tchéquie

Milan Kundera,  photo: ČTK/Václav Šálek
Depuis des années déjà, Milan Kundera ne fête pas son anniversaire. Pourtant, cela n’empêche pas les autres d’y revenir et de se confier avec leurs émotions, comme l’a fait, par exemple, l’auteur d’un texte rédigé pour la radio publique tchèque et publié sur le site aktualne.cz à l’occasion du 90ème anniversaire de l’écrivain :

« A la fin des années 1950 et au début des années 1960, Milan Kundera faisait partie, avec Arnošt Lustig, Josef Škvorecký et Bohumil Hrabal, des premiers prosateurs tchèques ayant abandonné le vocabulaire instantané et asservi de l’époque. Pour moi, Kundera et Škvorecký demeureront à tout jamais des figures inoubliables qui ont sacrifié en exil jusqu’à leur langue maternelle pour conserver leur liberté intérieure. Milan Kundera se distinguait des autres en créant sa propre poétique partant du roman cartésien à la thèse et s’éloignant principalement de la tradition narrative tchèque. Une autre différence qui était au début de la ‘normalisation’ communiste la sienne, c’est qu’il a refusé d’orner sa vie par la répression et la prison, histoire de créer une image de soi qui se transformerait inévitablement en kitsch. Or, au lieu de se consacrer à la politique, il s’est consacré avec acharnement à la littérature. Il voulait être et il est le continuateur de la grande tradition romancière ironique centreuropéenne, voilà pourquoi il n’appartient qu’à l’histoire du roman ».

« Toute librairie sérieuse dans n’importe quel pays du monde propose des livres de l’écrivain tchèque Milan Kundera. Aucun autre auteur tchèque ne jouit d’un retentissement mondial et d’une renommée comparable. Ceci dit, il semble que parmi les pays culturels, c’est la Tchèquie qui accepte Milan Kundera le moins bien et qui manifeste la moindre volonté de réfléchir sur son oeuvre, de l’étudier et d’en discuter », constate l’auteur d’une note publiée dans le journal en ligne Neviditelný Pes pour conclure :

« Cette tâche incombera à ceux qui viendront lorsque Milan Kundera ne sera plus parmi nous. Mais à l’heure actuelle il est vivant et en bonne santé et il ne reste qu’à lui souhaiter un bon anniversaire. Et aussi à le remercier de représenter merveilleusement la culture tchèque. En visitant une librairie à l’étranger et en feuilletant les livres de Kundera, on peut être étonné de voir qu’il est effectivement présenté comme un écrivain tchèque. Evidemment, dans une autre langue qu’en tchèque ».

Evžen Plocek – une « torche vivante » oubliée

Evžen Plocek,  photo: Archives d'Evžen Plocek
C’est un Vendredi saint, le 4 avril 1969, et la place centrale de Jihlava, ville située sur les Hauteurs tchéco-moraves, qu’Evžen Plocek, 39 ans, a choisi pour s’immoler par le feu suivant l’exemple de ses prédécesseurs devenus plus « célèbres », Jan Palach et Jan Zajíc. L’auteur d’un texte publié dans l’édition de jeudi du quotidien Mladá fronta Dnes souligne que cet acte avait pourtant les mêmes motivations que les leurs. Il s’agissait, selon lui, d’une tentative désespérée d’éveiller la nation et de dénoncer la situation dans un pays humilié par l’écrasement du Printemps de Prague par les troupes du Pacte de Varsovie. Et de préciser :

« Aujourd’hui, c’est le petit-fils d’Evžen Plocek qui conserve son legs et réunit toutes sortes de documents se rapportant à cet événement tragique. En même temps, il combat pour la reconnaissance de son grand-père qui, de son avis, lui revient. Force est de constater que le nom de la ‘torche vivante numéro 3’ demeura très longtemps méconnu en dehors de Jihlava et que cela dure, dans une certaine mesure, encore aujourd’hui. Mais même dans cette ville, Evžen Plocek, qui était communiste réformateur, a dû attendre jusqu’à l’année 2017 pour devenir son citoyen d’honneur à titre posthume. »

Deux signes d’une plus grande appréciation de Evžen Plocek sont pourtant apparus: un documentaire réalisé et diffusé par la télévision publique tchèque et une attestation oficielle du Ministère de la Défense de ce que son acte avait un caractère politique. Le journal observe en outre que le président Miloš Zeman refuse d’accorder à Plocek une distinction car, d’après sa déclaration, « à la différence de Jan Palach et de Jan Zajíc, de forts doutes planent sur les motivations de son acte».

Les universités s’engagent en faveur de la cause européenne

Photo illustrative: Mediamodifier,  Pixabay,  Pixabay License
« Craignant la sortie de la Tchéquie de l’Union européenne, les universités ne veulent plus accepter la situation où certains politiciens tchèques diffusent des informations imprécises sinon mensongères à son sujet. Leurs représentants s’emploient désormais à discuter avec les gens, tant dans les écoles que dans les brasseries, afin de sensibiliser les Tchèques à l’importance de l’appartenance européenne pour la sécurité et la prospérité du pays. » C’est en ces termes que le quotidien économique Hospodářské noviny informe d’une nouvelle initiative lancée par les milieux universitaires et à propos de laquelle il a aussi écrit :

« Peut-on croire qu’un éventuel Czexit est impossible, tout simplement parce que la majorité des partis politiques locaux et la majeure partie des Tchèques n’en veulent pas ? Tel est peut-être en ce moment le cas. Mais dans une longue perspective, un optimisme exagéré n’est pas de rigueur, car la Tchéquie est le pays membre le plus sceptique de l’UE. On sait bien que tout peut arriver. Même en Grande-Bretagne, en 2016, rien ne donnait à supposer un Brexit. Voilà pourquoi il faut saluer l’initiative des écoles supérieures tchèques. Faire quelque chose vaut toujours mieux que de ne rien faire ».

Cela dit, le commentateur se déclare prudent en ce qui concerne l’efficacité de cet engagement car, pour lui, l’une des causes de l’euroscepticisme tchèque est économiquement motivée. Une condition que les universités ne peuvent nullement influencer.